A gauche, combien de divisions ?

L’image était belle : autour du leader de ”La France Insoumise”, des visages venus de tous les horizons de la gauche entonnant la Marseillaise et faisant avec leurs doigts de V de la victoire*. Pour ceux que les divisions de la gauche tout au long de la campagne présidentielle avait plongés dans la désespérance, quel réconfort ! Las, il n’aura pas fallu plus de 48h pour que l’édifice se lézarde. Samedi, la journée de la NUPES aura-t-elle été la journée des dupes ? 

Ce qui s’est passé à Vénissieux est emblématique des fractures et des contradictions que porte en elle la coalition opportuniste que Jean-Luc Mélanchon a constituée après son échec à la présidentielle. L’investiture dans cette ville de la banlieue lyonnaise d’un ”insoumis” dont les engagements et les propos** sont contraires à la tradition universaliste et anti-raciste de la gauche est symptomatique de la complaisance de ce mouvement à l’égard de ceux qui n’ont de cesse de distiller leur haine des autres et de la France. La détermination d’une élue communiste à affronter cet individu faisant observer que se soumettre à cette décision d’investiture serait renier ses propres engagements et les combats de toute une vie ; la fermeté du soutien qu’elle a obtenu du leader du PC Fabien Roussel, montrent assez que dans son OPA sur la gauche, Jean-Luc Mélanchon n’avait aucune vision de ce que pourrait être une coalition digne de l’espoir qu’elle suscitait. Au final, le candidat des ”insoumis” a battu en retraite, retirant sa candidature après la polémique provoquée par son parachutage. A Paris, dans le Nord, en Dordogne, en région lyonnaise et ailleurs, d’autres dissidences voient le jour, signes que l’alliance contractée voilà une semaine n’a d’union que le nom. De 2012 à 2017, François Hollande a subi les assauts des frondeurs qui l’ont réduit à l’impuissance. En 2022, c’est avant même le premier tour des législatives où il espère prendre sa revanche que Jean-Luc Mélanchon observe les lézardes qui menacent déjà son propre édifice. 

Au surplus, tout cela était prévisible car l’accord électoral, certes souhaité par les électeurs, mais imposé par les ”insoumis” et annoncé à grand renfort de tambours et de trompettes souffre de deux faiblesses insurmontables.

La première tient à la nature même du partage des circonscriptions entre formations politiques. En l’espèce, celui-ci s’attache à l’arithmétique électorale issue du premier tour de la présidentielle, et répond à l’obsession de chaque formation de pouvoir constituer un groupe à l’Assemblée Nationale. Mais lorsqu’un tel partage ne tient compte ni des réalités de terrain ni de l’équation personnelle des candidats potentiels, il ne faut pas s’étonner que la vraie vie se refuse à entrer dans les cases prévues par les apparatchiks. KO debout après leurs résultats calamiteux à la présidentielle, écologistes, communistes et socialistes se sont livrés pieds et poings liés à celui qui, seul, avait tiré son épingle du jeu.  Tout cela dans le seul espoir de sauver les meubles et retrouver quelques moyens financiers et politiques leur permettant de survivre. Et ils ont subi sans broncher les humiliations imposées par un tribun colérique qui entendait les réduire à la portion congrue. Les logiques d’appareil l’ont emporté. Au mépris de tout le reste. Démarche non seulement peu glorieuse mais de plus à l’efficacité douteuse, on le constate déjà aujourd’hui.  

La seconde faiblesse est plus grave car non seulement elle est source de divisions à venir, mais pire : promesse d’une incapacité future à gouverner. C’est à dire mener une politique cohérente et prendre les décisions qui s’imposent face aux défis qui nous attendent. Sur l’Europe, sur la politique étrangère, notamment au sujet de la ligne de conduite à suivre à l’égard de la Russie de Poutine et de l’Ukraine, tout oppose les socialistes et les écologistes à la France Insoumise. Sur le modèle républicain, la laïcité, l’intégration des populations issues de l’immigration, sur l’économie, que de divergences aujourd’hui mises sous le tapis. Il fallait être aveugle pour ne pas le voir ! 

Mais l’aveuglement ne date pas d’hier ! En effet, ce manque de lucidité était déjà perceptible dans les appels au vote utile avant le premier tour de la présidentielle. En acceptant de voter pour un homme avec lequel ils avaient de profonds désaccords, nombre d’électeurs de gauche lui ont, sans le savoir, donné un blanc-seing. Peu ou prou, ils se sont comportés comme des actionnaires tentés par l’appât du gain et apportant leurs actions d’une société à celui qui se livre à une OPA inamicale… Ils ont cru renouer avec l’espoir, ils n’auront fait que contribuer à l’effondrement du PS et d’EELV et retarder la nécessaire réflexion en vue de la rénovation de la gauche. Aujourd’hui, il va leur falloir boire le calice jusqu’à la lie, aller de divisions en désillusions avant que ne se mettent enfin au travail ceux qui auront pour ambition de concevoir un vrai projet de gauche social, universaliste, soucieux de la planète et  porteur d’un futur désirable pour tous. En attendant, nous serons contraints de continuer à compter : la gauche, combien de divisions ?

* Etrange image d’ailleurs si l’on se souvient que nombre de ces personnalités nous avaient habitués à les voir lever le poing, chanter ”l’Internationale” et ne pas ménager leurs critiques à l’égard de la France et de la République…

** Des propos qui lui ont valu une condamnation en Justice pour injure raciale… 

 

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Bonnet blanc et blanc bonnet ?

Le pire n’est pas certain. Mais il n’est pas exclu non plus ! Car enfin, peut-on sérieusement laisser croire qu’entre Le Pen et Macron, ce serait ”bonnet blanc et blanc bonnet” ? Non, nous ne sommes pas en 1969 où, lors du second tour de la présidentielle, le gaulliste conservateur Georges Pompidou affrontait le centriste Alain Poher ! Un affrontement sans risque pour notre démocratie. Oui, le communiste Jacques Duclos qui avait obtenu plus de 21% des suffrages au 1er tour pouvait alors inviter à l’abstention lors du second tour en renvoyant dos à dos les deux finalistes avec cette formule restée célèbre.

Sans doute peut-on comprendre le désenchantement de ceux qui ne se reconnaissent pas dans le choix qui s’offre à nous pour ce second tour. Mais ceux-là peuvent-ils se laisser guider par leur seul ressentiment ? Ont-ils seulement lu le programme de la candidate de la droite extrême ? En nous parlant de pouvoir d’achat, elle tente de faire oublier les mesures phares que contient son programme : réformes institutionnelles et changements profonds de notre état de droit qui menacent notre démocratie. En appelant ses chats à la rescousse, elle camoufle son dessein de repli frileux à l’intérieur de nos frontières, son abandon de toute ambition européenne dans une sorte de ”frexit” qui ne dirait pas son nom, son alignement sur la politique de Poutine… 

Enfumage ! La patriote qu’elle prétend être nous prépare un avenir médiocre, celui d’une province de seconde zone en échange d’une promesse d’ordre, et de reflux des ”étrangers” présentés comme la cause de tous nos maux. Enfumage encore celui auquel se sont livrés ceux qui comme Eric Zemmour, par la violence de leurs propos, l’ont fait apparaître comme une candidate modérée.  Enfumage enfin la dénonciation d’une ”dictature macronienne” dont le pass sanitaire serait l’expression la plus aboutie. Ceux qui ont tenu de tels propos devraient regarder du côté de Shanghaï pour comprendre la manière dont un pouvoir totalitaire gère la pandémie !..  

Qu’Emmanuel Macron ne soit pas exempt de reproche, c’est incontestable. Mais enfin, peut on sérieusement prétendre qu’il représenterait une menace pour nos institutions et notre démocratie ? A l’heure du bilan, ses erreurs, ses maladresses, son arrogance parfois comptent-elles autant que la menace de la prise de pouvoir par un clan qui réécrit l’histoire, occulte son passé vichyssois, ses complicités jamais démenties avec des groupuscules nazis et les factieux de l’OAS, les alliances nauséabondes qui l’accompagnent encore et toujours depuis des décennies ?  

Alors, Jean-Luc Mélanchon peut bien essayer de jouer à saute-mouton avec le second tour de la présidentielle en rêvant déjà à l’après législatives. En dédaignant le vote du 24 avril, il montre que seule l’intéresse l’OPA qu’il a déjà partiellement réussie sur la gauche et qu’il entend désormais élargir en se positionnant comme le seul opposant à celui ou celle que les urnes consacreront dimanche au soir. Et apparemment, peu lui importe que ce soit la candidate du pire. Décidément, il est des raisonnements à courte vue qui discréditent à jamais ceux qui les tiennent !

Alors- oui, il est temps de se rappeler ces vers du poème d’Aragon ”La rose et le réséda” écrit en 1943 :  

Quand les blés sont sous la grêle

Fou qui fait le délicat

Fou qui songe à ses querelles

Au coeur du commun combat”…

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Voter ”utile” et perdre son âme…

On ne pouvait y échapper ! L’éparpillement des électorats de droite comme de gauche conduisent, à quelques jours de l’échéance, à la multiplication des appels au ”vote utile”. En d’autres termes, un vote qui abandonnerait les ”petits” candidats, ceux qui ne peuvent espérer faire mieux que recueillir entre 2 et 5% des voix, au profit de ceux qui s’approchent ou dépassent 10% des intentions de vote. Bien sûr, notre démocratie présente cette particularité de permettre à des groupuscules rassemblant quelques centaines de militants à peine de participer à la course à l’Elysée. Et ce faisant, de disposer d’une tribune sans commune mesure avec leur poids politique réel. Mais il y a comme une sorte de mépris de la part de ceux dont l’injonction semble nous dire : ”fini de jouer, passons aux choses sérieuses !”

 Alors faut-il s’y résigner ? Et pour quelles mauvaises raisons ?

A droite, le vote ”utile” serait de se tourner vers le polémiste qui, depuis des mois, ne cesse de donner des coups de buttoir à une société déjà bien fragile, sans s’être montré capable d’endosser les habits de présidentiable. Tout cela afin de hâter une recomposition de la droite. Pour atteindre cet objectif, il lui faut ”siphonner” l’électorat de Valérie Pécresse et démontrer ainsi qu’il n’y a plus d’avenir pour la droite modérée. L’objectif exprimé sans détour est de mettre un terme au ”cordon sanitaire” qui sépare encore cette droite et la droite extrême, lequel conduit encore ses électeurs à se refuser à voter pour Le Pen. Bien évidemment, cette recomposition ne se ferait qu’autour des thèses qu’il développe. Ceux qui ont vécu comme une blessure la campagne de 2017 et l’échec de François Fillon, ceux qui éprouvent depuis lors du ressentiment, estimant que la victoire qui leur était due leur a été ”volée”, sont évidemment visés par cet appel au ”vote utile”. A l’évidence cependant, céder à cette tentation serait signer l’arrêt de mort de cette droite modérée. Ce serait la livrer pieds et poings liés entre les mains de ceux qui n’ont aucun scrupule à réécrire l’histoire et à travestir la réalité. Ce serait accepter de camoufler derrière une apparence de ”bon sens” des projets profondément anti-démocratiques et en rupture complète avec les valeurs de notre République.

Eric Zemmour, par la radicalité de son discours, par la haine savamment distillée tout au long de sa campagne, a fourni à Marine Le Pen une apparence de respectabilité. Faudrait-il aujourd’hui tomber dans l’ultime piège qu’il nous tend ?

Le même mécanisme est à l’oeuvre à gauche. Traumatisés par le souvenir du 21 avril 2002 et l’échec de Lionel Jospin, meurtris par le naufrage du Parti socialiste en 2017, par la vacuité des idées et la calamiteuse campagne d’Anne Hidalgo, nombreux sont les électeurs de gauche pour qui, aujourd’hui, le ”vote utile” serait de mettre un bulletin au nom de Jean-Luc Mélanchon dans l’urne. Sans doute rêvent-ils ainsi de bousculer la prophétie du second tour annoncé Le Pen-Macron. Une manière d’exorciser cette fatalité, comme si ce bulletin de vote était un gri-gri doté de pouvoirs magiques ! Mais ont-ils oublié la part active que ce même Mélanchon a prise dans cet effondrement ? Sont-ils aveugles au point de ne pas voir que sa complaisance constante à l’égard des communautarismes de tout poil va à l’encontre de l’universalisme républicain ? Ne l’ont-ils jamais entendus affirmer qu’il préférait Poutine ou Castro à Angela Merkel, preuve de son aversion pour la démocratie ? Ont-ils la mémoire courte au point de ne pas se souvenir qu’en 2017, il avait répugné choisir entre Macron et le Pen au second tour ?

Oui, la gauche est orpheline. Lui faut-il pour autant se livrer dimanche à cet homme qui n’a de cesse que de vouloir imposer sa loi ?

Cette question du ”vote utile” qui est aussi celle du moindre mal en politique, se pose parce que l’alternative que l’on nous annonce n’est guère enthousiasmante, reconnaissons-le. Mais, et c’est une nouveauté, elle se pose cette fois en d’autres termes. C’est la conception que l’on a de la démocratie, sa survie même qui sont en cause. Pas les étranges considérations politiciennes auxquelles se se livrent ceux qui en appellent à cette manière de se déterminer. A droite comme à gauche, la question du ”vote utile” peut donc aujourd’hui se résumer en une formule : faut-il accepter de perdre ou se résigner à perdre son âme ? Et la poser ainsi, c’est déjà y répondre…

 

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Requiem pour un monde qui s’effondre ?

Il est revenu le temps du malheur sur notre continent. Le temps où le fracas des bombes étouffe les pleurs des enfants dont les rires se sont tus. Où des femmes et leurs nouveaux-nés meurent broyés sous les décombres d’une maternité frappée par un missile. Où des vieillards atterrés revivent le film de leur enfance en regardant les maisons de leur village en flammes. Des femmes et des hommes fiers de leur nation ont pris les armes pour défendre leurs villes. Des corps sans vie attendent d’être jetés dans des fosses communes sans que nul ne puisse faire mémoire de leurs noms, tandis que dans la cave d’un immeuble, une violoniste privée d’orchestre improvise un concert pour ses voisins réfugiés dans la lumière blafarde de cet abri. Des couples se séparent, redoutant cet instant où ils vont emporter à jamais le goût de ce dernier baiser ; craignant que leur étreinte ne soit celle du dernier À Dieu. Et des milliers de visages épuisés laissent couler leurs larmes après avoir parcouru des centaines de kilomètres et atteint la frontière où des mains tendues leur disent que la fraternité n’est pas un vain mot.

La guerre nous semblait d’autant plus irréelle qu’elle était lointaine, réservée à l’Afrique ou au Moyen-Orient. Aujourd’hui, elle frappe à notre porte. 

Comment ne pas être saisi par ce malheur qui défile quotidiennement sur nos écrans ? Comment ne pas être solidaire d’un peuple debout face à l’envahisseur ? Comment ne pas saluer le courage de ceux qui, à  Saint Petersbourg ou à Moscou, osent rompre le silence et défier le maître du Kremlin ? Avons-nous oublié qu’avant Kharkiv, Marioupol, ou Mykolaïv, il y avait eu Alep, Palmyre et tant d’autres villes martyres ; que nous occidentaux, avons voilà quelques mois, laissé l’ombre de la terreur s’installer à Kaboul ? Avons nous oublié que nous avions fermé les yeux et nos frontières devant des flots de réfugiés venus de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan, du Darfour ou du Mali, fuyant la guerre et les persécutions, la famine et la misère ? Avions-nous renoncé à l’exigence de fraternité qui figure pourtant aux frontons de nos mairies ? 

Demain, à la guerre qui se déroule à quelques centaines de kilomètres de nos frontières, s’ajouteront la flambée des prix et les pénuries alimentaires dont seront victimes les plus démunis, chez nous comme de l’autre côté de la Méditerranée. Nos démocraties ont tout à redouter des émeutes de la faim qui les ébranleront comme elles ont marqué le début des ”printemps arabes” qui se sont le plus souvent tragiquement terminés. Saurons-nous alors partager un peu de ce pain qui manquera à tant de nos frères humains ? Saurons-nous renoncer à la torpeur satisfaite de nos égoïsmes, à ce confort douillet qui affaiblit nos corps comme il assoupit nos consciences ?

Les temps nous invitent à la lucidité pour tirer les leçons de nos erreurs passées, renoncer à notre arrogance et ouvrir les yeux sur les changements du monde qui s’opèrent devant nous. Ils nous invitent à l’humilité pour reconnaître nos faiblesses et cesser de nous croire autorisés à donner des leçons de morale à tous. Ils nous invitent à la fidélité aux valeurs qui ont été les nôtres et avec lesquelles nous avons trop souvent trouvé des accommodements peu glorieux. Ils nous invitent enfin à la vigilance pour ne pas tomber dans les pièges que nous tendent à la fois les autocrates, les apprentis dictateurs et les apôtres de la bien-pensance.  

A Kiev, des femmes et des hommes nous donnent une leçon de courage. Aurons-nous seulement celui de faire des choix exigeants pour que l’effort ne repose pas, une fois de plus, sur les épaules des plus fragiles ? Saurons-nous montrer que nous avons la force morale d’affronter les épreuves à venir en retrouvant l’esprit de solidarité qui, aujourd’hui, fait tant défaut à nos sociétés ?  

Oui, c’est la paix du monde qui se joue en Ukraine, aux frontières de la Pologne, de la Moldavie et des républiques Baltes. Avec elle, c’est un peu de l’avenir de la démocratie qui se joue à Kiev et à Odessa. Mais c’est notre avenir qui se joue dans la manière dont nous serons capables ou pas de prendre notre part aux changements du monde. Dans un futur proche, il nous faudra choisir : sombrer ou faire preuve de force d’âme…

 

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Les idiots utiles de M. Poutine…

De Zemmour et Marine le Pen à Mélanchon et leurs soutiens, on assiste à des contorsions verbales visant à expliquer que, même si Poutine est l’agresseur, les malheurs qui frappent l’Ukraine sont la conséquence directe des provocations ukrainiennes et des fautes des occidentaux. Cela ferait sourire si n’étaient en jeu des vies humaines, la liberté, la démocratie et l’existence même d’une nation. Cela ferait sourire si le déséquilibre des forces en présence n’était à ce point criant.

Ils pourront toujours argumenter sur la menace que représenterait l’OTAN* pour la Russie. Ont-ils donc la mémoire courte au point d’oublier que précisément l’OTAN avait pour but de protéger l’Europe occidentale, laquelle pouvait non sans raison, se sentir menacée par un empire soviétique alors au faîte de sa puissance ? A moins qu’ils fassent peu de cas des tragédies subies au cours de leur histoire par les habitants de Varsovie, Prague et Budapest, etc. qui ont vu les chars russes leur imposer leur loi et réprimer dans le sang toute velléité d’indépendance. Ils n’ont pas oublié, eux ! Et ils savaient bien que la fin de l’empire soviétique ne signifiait pas pour autant la disparition de la puissance et des ambitions russes. Pas étonnant qu’ils aient alors voulu, tout à la fois, rejoindre l’OTAN et l’Union européenne… 

Peut-être aurait-il fallu réformer l’OTAN après la chute du Mur de Berlin et la disparition du Pacte de Varsovie. Mais sauf à vouloir réécrire l’histoire, si l’on fait preuve de réalisme et de lucidité, si l’on se refuse aussi à croire que tout serait blanc d’un côté et noir de l’autre, il faut cependant affirmer clairement que trouver des excuses pour l’invasion de l’Ukraine, c’est entrer dans le jeu de la paranoïa poutinienne. C’est aussi accepter implicitement que certains peuples ne puissent exercer librement leurs choix en les plaçant de fait dans la dépendance d’un puissant voisin. C’est enfin les abandonner, c’est à dire choisir pour eux la soumission et, pour nous occidentaux, le confort de l’indifférence.

Ce qui se joue en Ukraine, c’est précisément la capacité pour les peuples dont l’histoire est intimement liée à celle du peuple russe, de s’affranchir de la tutelle de Moscou ; de progresser sur la voie d’une vie démocratique, de disposer de médias libres, tandis que la dictature impose le silence à la population de Russie. Il ne nous appartient pas, à nous occidentaux, de définir la manière dont ces peuples pourraient trouver la voie d’une cohabitation pacifique. Rappelons nous seulement qu’il nous aura fallu deux guerres et des millions de morts au XXème siècle pour que s’engage la construction d’une Union Européenne qui n’abolisse pas nos différences mais, malgré les difficultés, en fasse une richesse.

Le drame auquel nous assistons nous conduit inévitablement à nous poser dès à présent la question des limites de notre inaction sur le plan militaire. La rhétorique poutinienne emploie le terme de ”génocide” (au sujet des populations russophones du Donbass en particulier) pour justifier cette opération ”spéciale”. Faut-il s’attendre demain à ce que les mêmes termes soient employés pour justifier une intervention russe en Estonie, Lituanie ou Lettonie, pays dont une part de la population est russophone et tous trois membres de l’OTAN ? Et faut-il s’attendre à ce que d’autres étranges justifications sur une prétendue continuité territoriale expliquent une intrusion russe sur le sol de la Lettonie ou de la Pologne afin de ”libérer” l’enclave russe de Kaliningrad coincée entre ces deux pays ? Dans un cas comme dans l’autre, que diraient alors ces beaux esprits qui admirent d’autant plus Poutine que celui-ci exerce un pouvoir autoritaire qu’ils appellent de leurs voeux ? Jusqu’à quelle extrémité seront-ils les adeptes de l’esprit munichois ?

Le maître du Kremlin n’a que mépris pour les démocraties, régimes coupables de faiblesse à ses yeux. Pour lui, installer un pouvoir fantoche à Kiev, c’est non seulement une manière de combattre le risque de contagion démocratique, mais aussi restaurer la grandeur impériale. Au risque de menacer l’Europe toute entière. Depuis le début de l’agression russe en Ukraine, les nations européennes ont redécouvert qu’elles ne pouvaient avoir de destin que commun. C’est sans doute ce que ne peuvent supporter les Zemmour, Le Pen, Mélanchon et consorts car, au fond, ils n’ont d’autre ambition que de placer la France dans un splendide isolement. Et pour cela, il leur faut demeurer les ”idiots utiles” de Poutine.

* OTAN que l’on disait moribond il n’y a pas si longtemps et que, paradoxalement, les menaces de Poutine n’ont fait que renforcer.

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Après l’Ukraine, après Poutine ?…

Que restera-t-il de l’Ukraine après une guerre que les russes voulaient rapide et qui pourrait peu à peu se transformer en bourbier ? Des corps martyrisés, des victimes par milliers, des centaines de milliers de personnes déplacées, des villes jonchées de ruines, des infrastructures détruites, un état séquestré par une armée étrangère. Mais, au fond des âmes meurtries, resteront intactes la soif de liberté, la quête d’une dignité bafouée. Le coeur de cette nation continuera de battre malgré le sang répandu. Poutine croyait pouvoir rayer de la carte un pays, le démanteler, le soumettre. Il aura renforcé son sentiment national. Le ferment d’une libération à venir. Mais avant cela, l’irréparable de tant de vies brisées…

Que restera-t-il de l’Europe après la tragédie qui se joue à ses frontières ? Une unité que l’on attendait jusque-là en vain. Une lucidité enfin soulagée de la naïveté et de l’aveuglement dont font preuve les pacifistes bêlants et les idiots utiles du Kremlin. La conscience d’un destin commun raffermie par l’émotion partagée face au courage d’un peuple agressé par un ennemi bien supérieur en force et en nombre. La volonté de concilier les exigences de maintien du dialogue avec la fermeté sur ce qui ne saurait être négociable. La prise de conscience de l’impérieuse nécessité de la défense de nos démocraties sans attendre l’aide d’un hypothétique ”bouclier américain. Le sursaut moral qui s’impose pour taire nos basses querelles et faire la différence entre les démocrates et ceux qui ne conçoivent le pouvoir que comme l’exercice d’une force brutale. La certitude enfin qu’il nous faut être armés intellectuellement, moralement et militairement pour être en mesure de comprendre les menaces qui sont à nos portes et y faire face sans faiblir. Mais que de temps perdu ! Que de légèretés, que d’impuissance qui nous mettent aujourd’hui la rage au coeur !…  

Et après cela, que restera-t-il de Poutine ? Il a rêvé de restaurer la grandeur de la Russie et de lui redonner un empire. Il aura multiplié les crimes contre l’humanité et fait honte à nombre de ses compatriotes. Il laissera le souvenir d’un autocrate cynique qui au fil du temps fait grandir l’inquiétude dans la plupart des grandes capitales de ce monde, y compris chez ceux qui jusque-là le soutenaient. Il ne sera qu’un nom de plus sur la trop longue liste de ces grands criminels de l’Histoire, après ceux de Staline, Hitler, Mao, Saddam Hussein, Khadafi, Bachar el-Assad…

 

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Les parrainages contre la démocratie ?

A coup sûr, et parce que l’initiative venait de lui, elle devait susciter des commentaires ironiques. Et pourtant ! Pourtant, le lancement par François Bayrou du collectif des élus garants de la démocratie et intitulé ”Notre démocratie” mérite mieux que des sarcasmes. Certains ironiseront sur le fait qu’il adopte une posture de sauveur. D’autres y verront une manoeuvre justifiée par quelques calculs bien médiocres sur la nécessité de diviser à la fois la droite et la gauche pour mieux assurer la victoire d’Emmanuel Macron en avril prochain. Mais qu’importent les grincheux, et d’ailleurs peu importe aussi que cette initiative ne parvienne pas à résoudre totalement le problème auquel elle entend s’attaquer : celui-ci vaut mieux que des petites phrases assassines !

En effet, dans notre République, il ne suffit pas de se proclamer candidat, encore faut-il y parvenir. Faire campagne, faire salle comble lors de meetings est une chose. Obtenir les parrainages nécessaires en est une autre. Or, à la date où ce billet est publié, outre le Président sortant, seuls les deux candidates des grands partis largement représentés  sur le terrain (Parti socialiste et Républicains) sont assurés de pouvoir se présenter*. Et Yannick Jadot, Jean-Luc Mélanchon, Marine Le Pen et Eric Zemmour ne sont pas assurés de disposer du nombre suffisant de parrainages. Pour eux, le temps presse car ceux-ci doivent parvenir au Conseil Constitutionnel au plus tard le 4 mars !

S’ils ne pouvaient se présenter, nous nous serions à coup sûr confrontés à une crise majeure pour notre démocratie. La légitimité du scrutin serait mise en cause. Les partisans des uns et des autres auraient tôt fait de dénoncer au mieux un déni de démocratie, au pire un complot visant des candidats présentés comme la femme ou l’homme ”à abattre”. Et l’abstention atteindrait des niveaux record**. Voilà cinq ans, certains avaient cru pouvoir se convaincre que leur champion François Fillon avait été éliminé au premier tour à la suite d’une machination dans laquelle on trouvait pêle-mêle des sarkozystes, un supposé ”cabinet noir” de François Hollande, et Bercy agissant en sous-main pour un certain Macron… Sans jamais accepter d’envisager que François Fillon ait pu alors être lui-même son meilleur ennemi, ceux-là ont gardé le souvenir amer d’une élection qui, à leurs yeux, leur a été volée. Gardons-nous aujourd’hui d’un scénario pire encore avec des candidats qui ne pourraient pas l’être, ce qui donnerait chez nous du grain à moudre aux émules de Trump !

Le système des parrainages a été mis en place pour éviter la multiplication de candidats fantaisistes. Il impose à toute candidature la signature de quelques 500 élus locaux pour être officiellement reconnue par le Conseil Constitutionnel. Ce sont ainsi 42 000 élus qui peuvent être sollicités pour accorder leur parrainage. Et ceux-ci doivent provenir d’au moins 30 départements. Or, force est de le reconnaître, ce système connaît aujourd’hui ses limites. Si Yannick Jadot, Jean-Luc Mélanchon, ou Marine Le Pen, peinent à les obtenir malgré leur poids électoral et le nombre de parlementaires dont disposent leurs mouvements, si Eric Zemmour n’y parvient pas non plus, cela signifie que le système a des effets pervers que n’imaginaient pas ses concepteurs. Et loin de vivifier la démocratie, il l’enferme dans des contraintes qui ne profitent qu’à l’establishment.

Bien sûr, obtenir des parrainages est plus difficiles pour ceux qui ne disposent pas d’un nombre conséquent d’élus de terrain. Mais d’autres considérations entrent en ligne de compte. On assiste ainsi à des manoeuvres peu glorieuses, menaces à peine voilées ou chantages aux subventions. Autant dire des pratiques qui n’ont rien de commun avec le jeu démocratique. Enfin, le fait que les noms des élus soient rendus publics ne fait qu’ajouter à la difficulté. En effet, pour un élu modéré, accorder son parrainage à Jean-Luc Mélanchon ou plus encore à Marine Le Pen, au motif qu’une famille politique représentant de 10 à 20% des voix est légitime pour concourir à l’élection présidentielle, est souvent mal compris par ses électeurs. Ceux-ci confondent parrainage et soutien, comme si c’était leur propre voix que ces élus apportaient. Et ces incompréhensions se traduisent par des critiques adressées parfois avec violence.

Bien évidemment, on ne saurait changer les règles du jeu en cours de route. Cependant observons qu’en 2007, le comité de réflexion sur la modernisation des institutions présidé par Edouard Balladur avait proposé d’abandonner le système des parrainages au profit d’un collège de 100 000 élus. Et en 2012, la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidé par Lionel Jospin avait suggéré de le remplacer par un parrainage citoyen. Le constat ne date donc pas d’hier, et les idées pour remédier aux défauts du système ne manquent pas. Mais depuis, rien n’a été fait pour le corriger***. 

Le lancement du collectif d’élus ”Notre Démocratie”, par son caractère transpartisan, rejoint d’une certaine manière l’idée lancée par Edouard Balladur. Il ne règlera pas pour autant le problème posé par la publicité faite aux noms de ceux qui accorderont leur parrainage. De surcroît, il pose une autre question : si l’une des conditions est que les candidats auxquels il pourra apporter des parrainages doivent atteindre 10% des intentions de vote dans les sondages, qu’en est-il de ceux qui, comme Jean-Luc Mélanchon oscillent entre 9 et 10 % ? Et faut-il se résoudre à éliminer ceux qui se situent en dessous comme Yannick Jadot et quelques autres ?..

Pour intéressante qu’elle soit, l’idée de ce collectif ne peut donc régler tous les problèmes posés par les imperfections de notre système. Un changement radical mettant en place des règles permettant un large consensus s’impose. Après les élections du printemps, le plus tôt sera le mieux. En tout cas, avant 2027 ou 2032. En espérant qu’il ne sera pas trop tard…

* Illustration de l’absurdité de la situation : créditée de moins de 3% des intentions de vote, Anne Hidalgo n’a éprouvé aucune difficulté à obtenir ses 500 parrainages !

** Sans compter que gouverner dans ce contexte serait exercice impossible…

*** Nicolas Sarkozy ne s’est pas emparé des réflexions du comité Balladur. François Hollande ne s’est pas plus intéressé à la proposition de Lionel Jospin. Quant à Emmanuel Macron entre crise des ”gilets jaunes” et pandémie, il n’a guère pris le temps de s’y consacrer.

 

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Une ”Primaire » pour un naufrage ?

Suffit-il de l’emporter dans une ”primaire populaire” * pour se considérer comme la candidate légitime de la gauche ? Suffit-il de citer René Char ou Condorcet dans un discours pour faire vibrer le ”peuple de gauche” et balayer le spectre de la division ? Peut-être se rêvait-elle en femme providentielle, mais en essuyant le rejet de ses concurrents, elle se heurte à une réalité qu’elle avait feint d’ignorer. Or, les rêves ne forgent pas un destin. Christiane Taubira ne sera donc qu’une candidate de plus, ajoutant de la division à la division, et contribuant ainsi à un désastre annoncé. 

Bien sûr, elle peut toujours rejeter la faute sur les autres. Il suffit d’ailleurs d’apprécier les egos démesurés de certains de ses concurrents pour estimer qu’elle n’a pas tout à fait tort. Il suffit aussi de se rappeler qu’en décembre, Anne Hidalgo en appelait assez clairement à une primaire et de constater qu’aujourd’hui, elle en rejette à la fois le principe et le verdict. Pour autant, ce n’est pas parce qu’avec l’aplomb qui la caractérise, l’ancienne Garde des Sceaux a réponse à tout qu’elle peut faire mordre la poussière aux Jadot, Mélanchon, Roussel ou Hidalgo. En 2002, elle avait contribué à écarter Lionel Jospin du second tour de la présidentielle. Vingt ans plus tard, elle pourrait réussir l’exploit de faire disparaître le PS de l’échiquier politique. Et dire que, voilà dix ans, la gauche détenait presque tous les leviers de commande de notre République et qu’elle se trouve aujourd’hui éparpillée ”façon puzzle”, comme dirait Audiard ! Et ses meilleurs représentants peinent à dépasser 10% d’intentions de vote dans les sondages. Mais comment en est-on arrivé là ? 

Nous pourrions revenir sur les grandes fractures qui ont marqué la gauche depuis vingt ans ou davantage. Accuser François Mitterrand, les années Tapie, la soumission de la social-démocratie au capitalisme dérégulé façon Thatcher ou Reagan. Nous pourrions évoquer l’effondrement du bloc communiste en Europe de l’Est qui, en faisant disparaître la menace soviétique, a affaibli le clivage droite-gauche. On pourrait aussi rappeler la phrase de Lionel Jospin constatant que ”l’Etat ne peut pas tout”, un aveu d’impuissance et de soumission de la politique à l’économie qui ruinait toute idée de volontarisme en politique. On pourrait enfin évoquer les années Hollande qui avaient commencé par ”mon ennemi c’est la finance” et se sont conclues dans l’inaction. Mais cela ne suffit pas. 

Pendant toutes ces années, l’esprit de chapelle s’est renforcé. La ”gauche plurielle”, concept qui a permis à Lionel Jospin de gouverner pendant cinq ans, a éclaté avant l’échéance de 2002 avec le résultat que l’on sait. Les ”frondeurs” ont ensuite réussi à priver François Hollande d’une candidature à sa propre succession. Dans le même temps, la dissidence des ”insoumis” menée par un adepte de la révolution à la mode sud-américaine rendait impossible toute réconciliation. Et les écologistes qui en raison de l’urgence climatique auraient dû élargir leur assise, se sont enfoncés dans une dérive sectaire, tout en imposant leur loi à ceux qui, telle Anne Hidalgo, avaient passé alliance avec eux pour conserver leur mandat. 

Dans ce paysage, chacun est sûr de détenir la vérité, chacun est pétri de ces certitudes qui rendent fou et inapte à conquérir le pouvoir.

Petits calculs de boutiquiers de la politique, médiocre comptabilité électorale, querelles d’egos, aveuglements, tout cela n’a fait que conduire la gauche à la situation dans laquelle elle se trouve aujourd’hui. Cependant, il y a pire encore. A la surabondance des candidats, répond la vacuité des idées. Depuis les années 90 et la fin de l’ère Mitterrand, qu’ont fait les partis de gauche et singulièrement le PS pour penser les changements qui ont bouleversé le monde ? Rien, ou si peu !

Alors Premier secrétaire du PS, François Hollande était si convaincu qu’engager la réflexion menacerait la cohésion de son parti, qu’il a tout fait pour éviter d’ouvrir des débats. Rien sur les conséquences de la mondialisation, l’émergence de la Chine, de l’Inde et du Brésil, ou sur les bouleversements géo-politiques. Rien ou si peu sur les défis climatiques et environnementaux, les mutations économiques et technologiques, l’indépendance énergétique, la désindustrialisation dans notre pays, l’affaiblissement de notre système éducatif… Rien sur les flux migratoires et leurs conséquences démographiques, sociales religieuses et culturelles… Elu grâce à la conjonction des haines anti-Sarkozy, François Hollande n’a su que gérer les affaires courantes et a laissé passer le train de l’histoire tandis que son parti se berçait d’illusions en croyant gagner en cohérence ce qu’il perdait à coup sûr en influence et en adhérents.

Alors, la gauche a remisé au rang des accessoires ce qui faisait son ADN : la quête du progrès social, la réduction des injustices, et une vision universaliste. Ses incantations d’aujourd’hui sur le pouvoir d’achat ne trompent plus qu’elle-même. Et pour camoufler ses reniements, elle a adhéré à toutes les thèses communautaristes afin de flatter celles et ceux qui, à tort ou à raison, se sentent discriminés à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur origine, de la couleur de leur peau ou de leur religion. Loin de tracer les perspectives d’un bien commun transcendant les différences, elle s’est soumise à la logique du ressentiment et à l’individualisme dominant. Elle a enfin fermé les yeux devant les thèses nauséabondes de la cancel culture par peur d’être en retard d’un combat. 

Elle a ainsi abandonné sa raison d’être, sans se rendre compte que cela ruinait les espoirs que ses électeurs avaient mis en elle. Elle a remplacé une réflexion qui l’aurait conduite à des aggiornamentos par des injonctions morales à l’adresse de ceux qui prenaient leurs distances, comme s’il fallait ajouter le mépris à l’abandon.  Pas étonnant que ses électeurs aient déserté les urnes ou, pire, rejoint les rangs de ceux qui votaient pour Marine Le Pen ! 

La gauche avait lâché le peuple. Celui-ci l’abandonnait. Cela dit assez sa responsabilité, et en particulier celle du Parti Socialiste dans la montée du populisme. 

Après le naufrage de la IV° République, il avait fallu attendre 1981 (23 ans !) pour que la gauche redécouvre l’exercice du pouvoir. Aujourd’hui, en refusant toute logique qui pourrait faire émerger un projet commun, chacun des candidats qui s’en réclame prépare le naufrage du printemps à venir. Pendant ce temps, la droite extrême impose ses thématiques dans les débats et certains rêvent d’un retour à une France du passé. Habituée à ne pas voir le monde changer, la gauche est aujourd’hui incapable d’offrir une alternative. Alors, pour sortir de la spirale infernale dans laquelle elle est plongée, faudra-t-il attendre que les Mélanchon, Taubira ou Hidalgo et autres fossoyeurs de la gauche partent à la retraite ? Qui les remplacera ? Quand et pour quoi faire ? 

* Au demeurant, voilà un bien étrange scrutin que celui de cette ”Primaire populaire” dont les résultats ne se mesurent pas en nombre de voix obtenu par chaque candidat mais se résument à des mentions qui leur sont attribuées !

 

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Les ”emmerdeurs” et le bien commun

Un Président ne devrait pas dire ça… On se souvient du titre du livre de deux journalistes du ”Monde” consacré aux confidences de François Hollande sur son quinquennat de François Hollande et qui a contribué, pour lui, à l’impossibilité de se représenter. On se souvient aussi du ”casse-toi, pauvre c…” lâché par Nicolas Sarkozy*. Il y a quelques jours, c’était au tour d’Emmanuel Macron de parler ”cash” avec des lecteurs d’un quotidien et d’affirmer qu’il voulait ”emmerder” nos compatriotes rétifs à la vaccination anti-covid. Ce faisant, il se situait dans la droite ligne de ses deux prédécesseurs et omettait qu’un langage aussi cru ne fait que rabaisser la fonction présidentielle. Au passage, il suscitait une polémique de plus dans une campagne qui n’avait pas vraiment besoin de ça. 

On peut, bien sûr, s’interroger sur l’attitude de ceux qui, ayant refusé la vaccination, se trouvent hospitalisés, en détresse respiratoire, et occupent des lits en réanimation. On peut s’indigner du fait que 5% d’entre eux disposent de faux pass-sanitaires, ce qui en fait des ”délinquants sanitaires”. Tout cela illustre au fond la déliquescence de la notion de bien commun qui a laissé place au chacun pour soi…

Ah, qu’il était beau, le temps du premier confinement ! Nous étions alors unanimes pour applaudir les soignants. Les rues étaient vides. Le silence régnait dans nos villes. Et, sous l’effet d’une sidération collective face à la première vague de la pandémie, avec les morts qui se succédaient, nous étions respectueux des règles ô combien contraignantes qui nous étaient imposées. Sauver des vies, désencombrer les hôpitaux, alléger la tâche de ceux qui se retrouvaient en ”première ligne”, tout cela nous apparaissait comme une évidence. C’était l’intérêt de la collectivité toute entière. 

Aujourd’hui, tout cela est oublié. Les gestes barrière sont négligés. Certains se croient plus malins que les autres ou y voient un geste de défi à l’autorité et abandonnent le port du masque lors de rassemblements** festifs ou cultuels. L’opposition militante à la vaccination*** est devenu un acte de rébellion contre le pouvoir. Tout cela au mépris des plus fragiles, de ceux qui souffrent de pathologies qui, combinées au Covid, peuvent les conduire aux portes de la mort. Ceux-là, ils n’en ont cure. Répétant de façon incantatoire le mot de liberté, ils sont persuadés pouvoir toujours s’en tirer parce qu’ils se croient plus forts que les autres. Mais au passage, ils contaminent, tombent malades, occupent des lits d’hôpitaux, privent de soins ou d’opérations des malades atteints d’autres pathologies et auxquels ils font perdre des chances de guérison et de survie. Leur attitude s’apparente ainsi à de la non-assistance à personnes en danger. Alors, comme Emmanuel Macron, nous sommes tentés de penser que les ”emmerdeurs”, ce sont eux. 

Pourtant, la phrase lancée par le Président de la République est loin de résoudre le problème. Pire, elle l’aggrave. En effet, loin de rappeler ce qu’est le bien commun, loin de tenter de convaincre, le Chef de l’Etat a traité la question en Père Fouettard. Et désigné les rétifs à la vindicte générale. A l’individualisme forcené des uns, il répond par des menaces. Des propos qui rendent inaudible tout appel à la responsabilité de chacun. Ainsi, quoi qu’il en pense, il contribue au délitement de la notion de bien commun en cette période à haut risque. Dans le même temps, les protocoles sanitaires à géométrie variable assénés chaque soir ou presque dans nos journaux télévisés rendent incompréhensible la bonne gestion de la pandémie et les comportements à adopter, en particulier pour les enfants et en milieu scolaire. Tout cela ne fait que rendre confuse la parole de nos gouvernants et, au bout du compte, la cantonnent à l’affirmation d’interdits et de sanctions.    

Au printemps 2020, nous dissertions à n’en plus finir sur les ondes et dans les colonnes de nos journaux sur ce que serait ”le monde d’après”. L’intérêt général était la priorité. Les mots d’entraide et de solidarité étaient à l’honneur. Aujourd’hui, ils semblent avoir déserté  notre vocabulaire. Quel désenchantement !..   

* Et nombre de ceux qui l’avaient défendu à l’époque ne mâchent pas leurs mots pour critiquer aujourd’hui les propos d’Emmanuel Macron. Mais passons…

** Dans combien de lieux de culte, des familles entières sont venues assister aux célébrations de Noël sans porter de masque ? Pourtant, se comporter ainsi ne leur serait pas venu à l’esprit dans les magasins où ils sont allés quelques jours plus tôt faire leurs achats pour les fêtes… 

*** Pourtant, chacun sait que la vaccination des enfants contre certaines maladies est obligatoire pour leur scolarisation, et rares sont ceux qui s’en offusquent. Oublie-t-on que c’est la vaccination qui a permis l’éradication de maladies telles que la variole ? 

 

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Fin d’année à l’EHPAD…

Ils ont été ce que nous sommes. Ils sont ce que nous serons. Les voilà, voûtés, le pas hésitant, la silhouette fragile, les mains tremblotantes, cachés dans des résidences où ils font l’objet de l’attention de ceux à qui nous les avons confiés. Leurs yeux étonnés traversent un présent qu’ils ne comprennent plus. Leurs regards s’illuminent lorsque par bonheur un visage aimé, trop longtemps attendu, les rejoint pour une heure ou deux avant de les laisser seuls avec ce trésor qu’est le souvenir de ces moments volés au trop lent écoulement des jours. Et pourtant…

Pourtant, ils gardent au fond de leur mémoire tant de richesses à partager. Histoires d’un passé qui nous dirait le rude bonheur des temps anciens. Douces évocations des amours enfuis, des tendresses disparues, des printemps lumineux où il faisait bon flâner le long d’une rivière, des soirées d’hiver où l’on savait se blottir au coin du feux en repoussant l’heure où il faudrait rejoindre un lit froid et humide. Témoignages des heures sombres qu’ils ont traversées avec leurs regards d’enfants, ces heures qui ont déchiré le pays, où la violence, le feu et le sang ont fait prendre la mesure du prix de la liberté. Ils sauraient mieux que quiconque vous raconter la légèreté d’un soir de 14 juillet ; les congés payés qu’ils n’ont pas connus, eux dont le travail de la terre exigeait leurs bras et leur sueur ; les bonheurs partagés une fois les moissons rentrées ou lorsqu’une bête avait été bien vendue. Ils vous raconteraient la vie de leurs villages rythmée au son des cloches qui leur donnait les heures autant que les nouvelles. Des nouvelles légères et joyeuses comme celles des baptêmes et des mariages, tristes comme le glas qui leur annonçait le décès d’un ancien, graves comme le tocsin qui les appelait à combattre le feu ou leur avait annoncé la guerre. Ils vous raconteraient l’excitation des jours de marché, les palabres à n’en plus finir pour se plaindre du temps qu’il fait, de la pluie attendue ou de la fièvre qui a emporté un veau nouveau-né. Ils vous réciteraient les prières qu’ils n’ont pas oubliées, le catéchisme de leur enfance auquel ils restent attachés comme les dernières certitudes auxquelles peut se raccrocher leur monde qui semble prendre eau de toute part.

Oh, ils ne sont pas de ceux qui vous diraient « c’était mieux avant ! ». Ils savent trop la rudesse de la vie de leurs parents, de celle qu’ils ont vécu. Ils savent trop le prix des vies usées par le travail. Leurs mains crevassées disent trop les morsures du gel, le froid de l’eau, la terre qui les a meurtries jusqu’au sang. Ils savent la lente économie qui leur a permis de s’offrir un meilleur chauffage, le luxe des toilettes dans la maison, et ils se souviennent encore de leur étonnement lorsqu’ils ont pu prendre leur première douche, eux qui, jusque-là, se lavaient sommairement devant une cuvette. Et que dire de l’irruption de la télévision dans leurs foyers qui leur a fait découvrir un monde qu’ils ignoraient, qui les a projetés dans une communauté planétaire autant qu’elle a atomisé leurs communautés villageoises. Et puis, ils l’ont vu de près, cette misère qui a emporté trop de leurs amis. Cette misère dont ils n’auraient jamais imaginé devoir se plaindre. Et d’ailleurs, à qui ? Non, ce n’était pas mieux avant !

Alors, ils restent là, sans se plaindre non plus de leur sort. Ils savent que leurs enfants ont des vies compliquées ; que l’éloignement, le travail, le rythme trépidant et les exigences de la vie moderne ne laisse guère de place pour eux dans le quotidien de ces enfants et petits-enfants. Ils ne les jugent pas. Résignés, ils acceptent. Ils se souviennent pourtant qu’il ne leur serait pas venu à l’esprit de reléguer leurs propres parents dans une de ces résidences où ils finissent leurs jours. Ils les gardaient chez eux, leur confiant des tâches à la mesure de leurs faibles forces : des légumes à éplucher, une poule à plumer, un enfant à garder, un clapier à réparer, le feu à raviver dans le poële… Ils n’étaient pas inutiles, tant s’en faut. Jusqu’au jour où ils ne parvenaient plus à se lever et s’éteignaient doucement.

Aujourd’hui, ils prennent parfois la mesure de leur inutilité. Bouches à nourrir, corps à laver et à soigner. Esprits à distraire pour échapper à l’ennui et rompre la monotonie des jours. Ils savent qu’ils doivent faire d’autant moins de bruit que les soins qui leur sont apportés ont un coût que l’on aurait tôt fait de leur reprocher…

Inutiles, ceux à l’égard desquels la dette est immense ? Chacune d’elles, chacun d’eux, à sa mesure, a contribué à bâtir une paix et une richesse dont nous avons à peine conscience. Chacune d’elles, chacun d’eux a peiné, s’est privé parfois de l’essentiel pour que rien ne manque aux siens. Pour offrir le meilleur à ceux qui lui survivraient. Ils sont là, témoins d’un passé que nous avons relégué au loin de peur qu’il ne nous fasse comprendre la vanité de notre mode de vie et les errements de notre monde.

Une fois de plus, ce soir, un verre de mousseux et quelques friandises clôtureront un repas meilleur que d’habitude. De la musique et des chansons d’autrefois qu’ils reprendront en chœur parce qu’ils ne les ont pas oubliées, les distraira de l’interminable attente qui est la leur. Et demain, après-demain, au début de la semaine prochaine la vie reprendra son cours. Et avec elle, ces heures creuses auxquelles ils se sont résignés faute de pouvoir partager plus souvent l’amour et la tendresse qu’ils gardent intacts en eux.

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