Les idiots utiles de M. Poutine…

De Zemmour et Marine le Pen à Mélanchon et leurs soutiens, on assiste à des contorsions verbales visant à expliquer que, même si Poutine est l’agresseur, les malheurs qui frappent l’Ukraine sont la conséquence directe des provocations ukrainiennes et des fautes des occidentaux. Cela ferait sourire si n’étaient en jeu des vies humaines, la liberté, la démocratie et l’existence même d’une nation. Cela ferait sourire si le déséquilibre des forces en présence n’était à ce point criant.

Ils pourront toujours argumenter sur la menace que représenterait l’OTAN* pour la Russie. Ont-ils donc la mémoire courte au point d’oublier que précisément l’OTAN avait pour but de protéger l’Europe occidentale, laquelle pouvait non sans raison, se sentir menacée par un empire soviétique alors au faîte de sa puissance ? A moins qu’ils fassent peu de cas des tragédies subies au cours de leur histoire par les habitants de Varsovie, Prague et Budapest, etc. qui ont vu les chars russes leur imposer leur loi et réprimer dans le sang toute velléité d’indépendance. Ils n’ont pas oublié, eux ! Et ils savaient bien que la fin de l’empire soviétique ne signifiait pas pour autant la disparition de la puissance et des ambitions russes. Pas étonnant qu’ils aient alors voulu, tout à la fois, rejoindre l’OTAN et l’Union européenne… 

Peut-être aurait-il fallu réformer l’OTAN après la chute du Mur de Berlin et la disparition du Pacte de Varsovie. Mais sauf à vouloir réécrire l’histoire, si l’on fait preuve de réalisme et de lucidité, si l’on se refuse aussi à croire que tout serait blanc d’un côté et noir de l’autre, il faut cependant affirmer clairement que trouver des excuses pour l’invasion de l’Ukraine, c’est entrer dans le jeu de la paranoïa poutinienne. C’est aussi accepter implicitement que certains peuples ne puissent exercer librement leurs choix en les plaçant de fait dans la dépendance d’un puissant voisin. C’est enfin les abandonner, c’est à dire choisir pour eux la soumission et, pour nous occidentaux, le confort de l’indifférence.

Ce qui se joue en Ukraine, c’est précisément la capacité pour les peuples dont l’histoire est intimement liée à celle du peuple russe, de s’affranchir de la tutelle de Moscou ; de progresser sur la voie d’une vie démocratique, de disposer de médias libres, tandis que la dictature impose le silence à la population de Russie. Il ne nous appartient pas, à nous occidentaux, de définir la manière dont ces peuples pourraient trouver la voie d’une cohabitation pacifique. Rappelons nous seulement qu’il nous aura fallu deux guerres et des millions de morts au XXème siècle pour que s’engage la construction d’une Union Européenne qui n’abolisse pas nos différences mais, malgré les difficultés, en fasse une richesse.

Le drame auquel nous assistons nous conduit inévitablement à nous poser dès à présent la question des limites de notre inaction sur le plan militaire. La rhétorique poutinienne emploie le terme de ”génocide” (au sujet des populations russophones du Donbass en particulier) pour justifier cette opération ”spéciale”. Faut-il s’attendre demain à ce que les mêmes termes soient employés pour justifier une intervention russe en Estonie, Lituanie ou Lettonie, pays dont une part de la population est russophone et tous trois membres de l’OTAN ? Et faut-il s’attendre à ce que d’autres étranges justifications sur une prétendue continuité territoriale expliquent une intrusion russe sur le sol de la Lettonie ou de la Pologne afin de ”libérer” l’enclave russe de Kaliningrad coincée entre ces deux pays ? Dans un cas comme dans l’autre, que diraient alors ces beaux esprits qui admirent d’autant plus Poutine que celui-ci exerce un pouvoir autoritaire qu’ils appellent de leurs voeux ? Jusqu’à quelle extrémité seront-ils les adeptes de l’esprit munichois ?

Le maître du Kremlin n’a que mépris pour les démocraties, régimes coupables de faiblesse à ses yeux. Pour lui, installer un pouvoir fantoche à Kiev, c’est non seulement une manière de combattre le risque de contagion démocratique, mais aussi restaurer la grandeur impériale. Au risque de menacer l’Europe toute entière. Depuis le début de l’agression russe en Ukraine, les nations européennes ont redécouvert qu’elles ne pouvaient avoir de destin que commun. C’est sans doute ce que ne peuvent supporter les Zemmour, Le Pen, Mélanchon et consorts car, au fond, ils n’ont d’autre ambition que de placer la France dans un splendide isolement. Et pour cela, il leur faut demeurer les ”idiots utiles” de Poutine.

* OTAN que l’on disait moribond il n’y a pas si longtemps et que, paradoxalement, les menaces de Poutine n’ont fait que renforcer.

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