Good bye Britannia !

Ils ont vu disparaître leurs industries. Ils ont observé l’abandon de leurs territoires par les services publics. Ils ont peur de l’Europe et de la mondialisation dans lesquels ils ne voient que menaces pour leurs emplois, et leur protection sociale. Ils ont la nostalgie d’une grandeur passée. Ils n’aiment pas les étrangers. Ils en ont tiré une conclusion : ils nous quittent.

Les britanniques ont donné carte blanche à Boris Johnson pour mener à bien le Brexit. Lassés par l’incapacité de leur classe dirigeante à s’entendre, ils ont remis leur sort entre les mains d’un homme qui leur a menti à maintes reprises et, tout en leur faisant miroiter un avenir meilleur, s’est bien gardé d’en définir les grandes lignes. Ils ont donc préféré l’aventure à l’Europe, l’incertitude à la difficile cohabitation avec les autres nations qui forment l’Union Européenne.

Mais si le Brexit peut avoir des répercussions de ce côté-ci de la Manche pour nos entreprises, il nous tend, à nous français, un miroir dans lequel nous pouvons voir le visage déformé de notre propre pays. En effet, les maux évoqués au tout début de ce propos qui sont autant de causes des choix des électeurs britanniques ne nous sont pas étrangers. Ils font des ravages sur notre propre sol et dans l’esprit de nombre de nos concitoyens. Sans doute les britanniques n’ont-ils pas connu récemment d’émeutes à répétition comme celles des « gilets jaunes », ou de grandes grèves paralysant une part de l’activité économique du pays. Il n’en reste pas moins que, chez nous comme chez eux, une partie de la population a fait sécession. Elle s’est séparée de ses élites, les catégories populaires ne se reconnaissant plus dans ses dirigeants économiques et politiques, les journalistes et les intellectuels…

Chez nous, la rupture prend parfois des allures de « grand soir » car certains n’aiment rien tant que de se donner des frissons révolutionnaires (l’image de la tête d’Emmanuel Macron plantée au bout de piques lors de manifestations en est une navrante illustration !). Il reste que la fracture semble bien consommée et que l’on peine à renouer les fils du dialogue. Car pour dialoguer, il faut être deux et accepter de prendre le temps d’écouter ce qu’ont à dire ceux qui pensent différemment.

Le spectre de l’élection présidentielle de 2022 qui se profile à l’horizon n’arrange rien. Il y a les tenants du pouvoir, pressés d’achever leur programme au risque de ne pas tenir compte des réserves que telle ou telle réforme peut susciter. En face, il y a ceux qui feront tout pour l’abattre. Ceux-là sont sans scrupule à l’égard des moyens employés, répandant quotidiennement la haine dont se repaissent les réseaux sociaux. Et entre les deux, nombre de nos concitoyens sont désorientés, perplexes face aux choix du gouvernement, hostiles aux manifestations de violence tout en restant plutôt bienveillants à l’égard de ceux qui défendent leurs propres intérêts. Sans doute parce qu’ils ressentent confusément que, derrière tout cela, se joue l’avenir d’un édifice social qui nous protège tant bien que mal.

Cela nous invite à saisir toutes les occasions qui se présentent pour faciliter le dialogue et contribuer à abaisser les tensions. La perspective des élections municipales en est une qui doit nous permettre de revivifier notre démocratie locale : aux citoyens de participer davantage aux décisions qui les concernent ; aux élus d’assumer leurs responsabilités sans jamais perdre le contact avec leurs administrés ; aux représentants des administrations enfin de se mettre vraiment à l’écoute des uns et des autres. Tout cela pour ramener un peu du respect et de la bienveillance dont notre débat public a tant besoin. Faute de quoi, nous serons à terme condamnés, comme les britanniques, à des aventures incertaines. Au risque de confier notre sort à des dirigeants sans scrupule…

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Une réponse à Good bye Britannia !

  1. Jean-claude et MONIQUE Deveze dit :

    J’ai bien aimé « Cela nous invite à saisir toutes les occasions qui se présentent pour faciliter le dialogue et contribuer à abaisser les tensions.  » J’ajouterais que le dialogue peut favoriser les remises en question permettant de trouver des compromis pour dépasser nos désaccords.
    Pour moi, le Brexit a été un révélateur des tensions qui traversent une identité britannique en mutation (cf. Le Monde, Idées, 13 avril 2019) et du rôle important que joue la culture dans un choix politique. Les pro-Brexit et les anti-Brexit ont débordés d’imagination dans le domaine historique, ce qui donne lieu à des interprétations contradictoires de l’histoire selon les aspects valorisés (la seconde guerre mondiale par exemple), ceux oubliés (la demande d’entrée dans l’UE), ceux déformés (le schisme anglican au XVI ème siècle ou les batailles franco-anglaises), ceux sublimés (la force de l’Empire britannique et la non dépendance de la grande Bretagne du fait de son côté insulaire). Par ailleurs, une culture britannique très marquée par un pragmatisme juridique et économique se confronte à une Union européenne très normative. Enfin, il existe une fracture générationnelle avec la jeunesse qui souhaite avoir son mot à dire sur l’avenir de leur pays.
    La Grande Bretagne, qui a généré une des civilisations marquantes dans le monde, qui a cultivé de fortes valeurs communes et qui a gardé des us et coutumes originales, va être obligé de réinventer sa culture politique pour dépasser les divisions créées par le douloureux processus de sortie de l’Union européenne. L’exemple anglais nous montre l’importance de la culture comme socle pour construire une vision commune de l’avenir ; Claude Julien traduisait ainsi cette idée : « Une société inapte à dire ce qu’elle veut est moins malade de sa politique que de sa culture ».

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