La leçon Navalny

”N’ayez pas peur !” Ces mots répétés maintes fois par Alexeï Navalny à ses compatriotes font écho à ce ”N’ayez pas peur !” lancé par un certain Karol Wojtyla du haut d’un balcon de Saint Pierre de Rome alors qu’il venait d’être élu Pape en octobre 1978. 11 ans plus tard, le mur de Berlin s’écroulait et entraînait avec lui l’empire soviétique et la dictature communiste qui s’imposait aux pays d’Europe de l’Est depuis 1945.

Sans vouloir faire de Jean-Paul II le seul vainqueur de la dictature communiste en Pologne et dans toute l’Europe de l’Est (ce qui serait oublier tous ceux qui ont combattu dans l’ombre, et pour beaucoup d’entre eux jusqu’à la prison, la torture et parfois la mort !), retenons le caractère prophétique de ces paroles*. Le 1er mars à Moscou, des milliers de Russes ont bravé les caméras du régime qui, avec la reconnaissance faciale, gardent trace de leur acte de défiance. Ils le savaient mais ils ont surmonté la peur. Et leur longue attente dans le froid moscovite ne constitue pas seulement un formidable pied de nez au maître du Kremlin, elle est aussi un énorme cri d’espoir lancé à la face du monde. 

Par leur courage, les femmes et les hommes qui se sont réunis pour un dernier hommage à celui qui symbolisait la lutte contre la dictature, nous donnent une triple leçon. 

D’abord, ce serait leur faire injure, comme ce serait faire injure aux Ukrainiens qui se battent pour défendre leur nation, que de prétendre comme le disent certains chez nous, que Poutine est le défenseur de ”nos valeurs”, celles de la famille, celles de la chrétienté. Les vrais défenseurs des droits humains, ce sont eux ! Pas le clan mafieux qui règne sur la Russie et ne connaît que la loi du plus fort. Pas ceux qui instrumentalisent la religion en la mettant au service de leurs ambitions territoriales. Pas ceux qui envoient des milliers de jeunes russes se faire tuer sur le front** et camouflent leurs activités de prédateurs derrière une prétendue défense de la famille traditionnelle ! 

Seconde leçon, ils nous montrent qu’en Russie, une force existe qui ne demande qu’à émerger.  Non, Navalny n’était pas un opposant isolé. Il est rejoint par tous ceux qui ont fait la queue des heures durant pour déposer des fleurs sur sa tombe au cimetière de Borisovo. Nous savons que dans ce pays le pouvoir a, depuis des années, réduit au silence toute forme d’opposition et toute parole discordante dans les médias. Nous savons qu’il a entamé une vaste entreprise de lavage des cerveaux – notamment auprès de la jeunesse – pour diffuser sa pensée totalitaire et sa vision sans limite de l’empire russe. Le seul fait que chacune de ces femmes et chacun de ces hommes aient pris la décision d’aller à ces obsèques, et se soient retrouvés si nombreux est un signe de leur résilience, de leur capacité de résistance, de leur imperméabilité à l’idéologie dominante. Et cela fut sans doute pour eux une divine surprise. En découvrant qu’ils n’étaient pas seuls, ils se sont sentis plus forts face aux mensonges et à la violence. Ils ont acquis la certitude qu’ils ne devaient ni baisser la tête ni renoncer. Et même si cela devait prendre des années, même si le prix à payer sera lourd, ils savent désormais que tôt ou tard, ils triompheront.  

Troisième leçon : ces femmes et ces hommes nous disent qu’humilier Poutine, ce n’est pas humilier la Russie parce que La Russie, c’est eux ! Ils nous disent aussi et surtout que si, malgré les menaces, ils n’ont pas peur, pourquoi chez nous, aurions-nous peur ? D’un apprenti sorcier qui brandit régulièrement la menace de l’arme nucléaire ? Sans doute. Mais oublie-t-on que d’abandon en abandon, de tergiversations en renoncements, nous montrons le caractère timoré de nos démocraties. Et en donnant des signes de notre propre faiblesse, nous renforçons les sentiments de puissance et d’impunité sur lesquels surfe le dictateur du Kremlin. Au point d’encourager ses ambitions territoriales et sa volonté d’écraser les peuples qui osent lui tenir tête. Ce que subit depuis deux ans le peuple ukrainien qui a osé ne pas se soumettre à sa volonté ne nous servirait donc pas de leçon ?

En septembre 1938, par souci de préserver la paix, Daladier et Chamberlain signaient les accords de Munich qui laissaient à Hitler les mains libres pour occuper les territoires des Sudètes en Tchécoslovaquie. Cela leur avait valu la réplique cinglante de Churchill : ”vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre”. Ce n’est pas être va-t-en guerre que d’oser le rappeler !

Alors, entendrons-nous la clameur moscovite ? Saurons-nous faire écho au cri d’espoir qu’elle traduit ? Ou attendrons-nous pour nous réveiller qu’il soit trop tard ?   

  • Des paroles d’un certain Jésus tirées de l’Evangile de Matthieu..

** Des hommes que les chefs militaires russes appellent la ”viande”, affirmant ainsi qu’ils ne sont à leurs yeux que de la chair à canons…

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Grâce leur soit rendue…

Il est un lieu où les nuits sont longues à devenir demain, où la souffrance se calfeutre derrière des portes closes. Un lieu où des vies sont sauvées tandis que d’autres s’éteignent peu à peu ; où des femmes et des hommes mènent un combat inlassable contre la douleur, la maladie et la mort, où ils soulagent, prennent soin, font preuve d’attention, de souci du bien-être et de la dignité des personnes qui leur sont confiées. Ce lieu, c’est l’hôpital. 

Passer la porte de l’hôpital, que ce soit en urgence ou pour une intervention ou des soins programmés, c’est arriver avec ses propres souffrances et ses angoisses. C’est accepter de laisser sa vie entre d’autres mains, de se mettre à nu, de dépendre des autres jusqu’aux gestes les plus intimes de la vie. L’hôpital devient alors le lieu par excellence où s’exprime la solidarité humaine ; lorsque l’acceptation de sa propre fragilité, la confiance et l’abandon du patient rejoignent les compétences et le souci de l’autre des soignants. Grâce leur soit rendue pour leur dévouement, pour leur sourire que l’on devine derrière les masques, pour leur écoute, leur délicatesse…

Un récent séjour de près de deux semaines à l’hôpital m’a inspiré ces quelques lignes. Parce que je ne peux ni ne veut oublier les belles personnes qu’il m’a été donné d’y croiser et qui ont pris soin de moi comme de tant d’autres patients. Parce que si notre monde tient encore debout, il le doit aussi à celles et ceux qui ne se contentent pas de gagner leur vie, mais qui ont la vie pour combat. Et, pour cela, ils méritent toute notre gratitude.

PS. Les équipes hospitalières subissent dans bien des cas des tensions telles qu’elles ne peuvent pas toujours procurer à leurs patients la qualité de soins qu’elles souhaiteraient. Cela n’enlève rien à leur dévouement…

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Robert Badinter, ou l’honneur du Droit et de la politique

Rencontrer Robert Badinter fut un privilège. Ce privilège m’a été donné à deux reprises. 

La première, ce fut lors des débats sur l’abolition de la peine de mort, en 1981. Son discours devant l’Assemblée Nationale fut de ceux qui marquent l’histoire de la République et sont l’honneur de la politique. Mais je garderai en mémoire trois des principes qui inspiraient alors son action. Le premier était puisé au plus profond de la mémoire juive : le précepte  ”tu ne tueras point” du décalogue. De ce principe découlait l’impossibilité pour un homme de donner la mort. Un principe qui, à ses yeux, ne pouvait souffrir d’exception, ce qui l’a conduit plus récemment à réaffirmer son opposition à l’euthanasie. 

Le second principe était celui d’une inébranlable confiance en l’homme. Il rejoignait en cela l’humanisme chrétien selon lequel le plus grand des pêcheurs doit pouvoir trouver miséricorde. Loin de le conduire à trouver des excuses à tous les délinquants comme l’affirment certains, cela le conduisait à penser que même l’auteur d’un crime peut trouver une voie de rédemption, ce qui n’est pas la même chose ! Le troisième principe enfin était celui du courage en politique. Fort de ses convictions, capable de les exprimer avec vigueur, il n’hésitait pas à affronter une opinion majoritairement hostile à son projet. Les insultes et les menaces qui lui ont alors été adressées ne l’ont pas fait dévier de sa route. Il a ainsi incarné la grandeur du politique, de celui qui ne gouverne pas en fonction des courbes des sondages, mais se détermine en fonction de convictions et d’une vision. Et, fort de cela, parvient à convaincre. 

La deuxième fois que j’ai pu le rencontrer, ce fut au printemps 2012. Il m’avait accueilli chez lui, rue Guynemer à Paris pour une interview pour une revue professionnelle *. Alors que se mettait en place une nouvelle majorité autour de François Hollande élu Président de la République, notre conversation était centrée autour de l’action législative, et les modalités d’élaboration de ce que l’on pourrait appeler ”une bonne loi” **. La conversation fut animée, passionnée. Et quand le besoin s’en faisait sentir, pour renforcer son propos, il n’hésitait pas à sortir de sa bibliothèque d’ouvrages anciens, des écrits de grands juristes, ou les textes d’origine du Code Civil en 1804 qui illustraient une méthode qui, à ses yeux, faisait défaut à nos législateurs modernes. De cet entretien, j’ai retenu quelques passages.

Regardant alors la production législative au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy, il se montrait critique : ”La production juridique est excessive. Il est vrai que, 260 textes de lois ou 26 lois de finances en cinq années, c’est un épouvantable torrent. C’est d’ailleurs, le sentiment généralisé des parlementaires. Chaque garde des Sceaux jure que ce torrent va s’arrêter. Moyennant quoi, sous la pression des événements, avec l’inclination à transformer la loi en instrument médiatique de promotion du ministre, du gouvernement, du président de la république, les bonnes intentions sont balayées. La réaction médiatique conjugue l’apparition à la télévision et la loi annoncée au motif qu’à l’émotion populaire doit répondre la volonté des gouvernants qui ne peuvent supporter que demeurent d’apparentes imprécisions ou lacunes législatives”.

Alors, en sage qu’il était devenu, il n’hésitait pas à donner des conseils à la nouvelle équipe au pouvoir : Le premier conseil est de faire le moins de loi possible, de ne légiférer que lorsque cela est vraiment nécessaire, de ne jamais faire de loi proclamatoire, de loi qui recherche l’effet médiatique. La loi est faite pour régir la cité. Pas pour assurer la promotion politique de ses auteurs”. Inutile de dire que sur ce point, il n’a guère été entendu…

Enfin, pour conclure, il soulignait que ”le législateur doit garder à l’esprit qu’une grande partie de notre législation est structurée par le droit européen. Il lui faut donc toujours avoir l’œil fixé sur la législation européenne, et la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme, lesquelles ont un effet unificateur très positif. Nous ne sommes pas assez fiers d’être européens. Or c’est tout de même le continent où les droits fondamentaux des citoyens sont les mieux respectés, où les droits de l’homme sont aussi bien respectés. Je n’en connais pas d’autres. Ne l’oublions jamais”. Voilà une remarque qu’il aurait été utile de méditer lors de l’élaboration de la ”Loi immigration” puisque l’on observe que c’est précisément l’une des raisons de la censure partielle de cette loi par le Conseil Constitutionnel…  

Au moment où Robert Badinter reçoit l’hommage de la République, notons avec regret que malgré sa notoriété et son autorité en la matière, les conseils qu’il prodiguait en usant de toutes les tribunes qui lui étaient offertes n’ont guère été entendus, quels que soient ceux qui se sont succédés au pouvoir depuis lors…

* Interview publiée dans le n°294 de ”Notaires – Vie Professionnelle”, Juillet-Août 2012.

** Une ”bonne loi”, c’est selon lui, ”celle pour laquelle le législateur a accepté de prendre du temps”. Et de citer comme exemple, celle de M. Leonetti sur la fin de vie…

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Confrontation planétaire…

Il est des petites phrases qui en disent plus long que de grands discours. Ainsi, lorsque le numéro un chinois Xi Jinping quittait Vladimir Poutine à l’issue d’un dîner au Kremlin le 23 mars dernier, il déclarait en veillant à ce que micros et caméras enregistrent son propos : ”en ce moment même, il y a des changements comme nul n’en a vu depuis cent ans, et c’est nous qui les pilotons ensemble”. Chaque mot était pesé. Tout était dit de l’ambition commune des deux dictateurs russe et chinois.

Ce que traduit cette phrase et qu’ont bien décrypté les diplomates du monde entier, c’est que l’ordre mondial qui a été façonné par les puissances occidentales depuis les débuts du XIXème siècle (pour ne pas remonter jusqu’à la conquête de l’Amérique !), est aujourd’hui remis en cause par les deux grandes puissances que sont la Russie et la Chine. Deux états auxquels s’allient de fait de grands pays émergents comme l’Inde ou d’autres puissances régionales comme l’Iran. Or, cette coalition qui peut paraître hétéroclite a un point commun : elle n’a que faire de nos modes de pensée et de nos valeurs. 

Démocratie, liberté religieuse et liberté de penser, liberté d’entreprendre, normes juridiques, rapports sociaux où le respect de la personne et les droits de l’individu priment sur la dimension collective, ils n’en ont que faire. Pis, ils les rejettent en bloc tout en exploitant avec le plus parfait cynisme les failles de l’ultra-libéralisme économique auquel nous nous sommes soumis. C’est donc une confrontation planétaire qui est engagée. Confrontation qui passe aujourd’hui, à 2400 kilomètres de chez nous, par l’Ukraine et pourrait, demain, connaître d’autres fronts.

Mais, me direz-vous, pourquoi s’intéresser aujourd’hui à une phrase prononcée voilà neuf mois ? Peut-être parce que les ukrainiens sont à la peine face à un adversaire qui se soucie si peu d’envoyer à la mort des dizaines de milliers de ses jeunes hommes. Parce que malgré la décision d’ouvrir des négociations d’adhésion de l’Ukraine, l’Union européenne a refusé ce jeudi 14 décembre de lui accorder une nouvelle aide. Parce que Vladimir Poutine a réaffirmé ce même jour ses objectifs de ”dénazification” et de ”démilitarisation” de l’Ukraine qui selon lui ne peuvent être obtenus ”que par la force”. Parce que malgré les promesses, Washington hésite à fournir à Kiev les armes et les munitions qui lui manquent. Parce qu’enfin, la Russie a lancé il y a peu une campagne de publicité *, notamment dans les régions proches des pays baltes dont l’un des visuels montre des soldats en armes et un avion larguant des parachutistes, et dont le slogan est ” Les frontières de la Russie ne s’arrêtent nulle part”. Comme pour lancer un avertissement aux pays baltes qui s’étaient affranchis de la tutelle russe après la fin de l’empire soviétique, mais aussi à toute l’Europe et, au-delà, à l’OTAN…  

Voilà dix ans, le diplomate et universitaire singapourien, Kishore Mahbubani nous alertait : ” en fait les occidentaux qui ne représentent que 12% de la population mondiale n’ont que quelques années – 5, peut-être 10 – pour mettre en place des institutions et des lois internationales qui permettront de gérer le monde multipolaire de demain. Je ne dis pas qu’ils doivent le faire par idéalisme ou pour respecter leurs engagements, mais parce qu’il y va de leur intérêt. Sinon, dans 5 ou 10 ans, les 88% restant, ceux dont le niveau de vie progresse à une vitesse astronomique, imposeront un nouvel ordre mondial qui ne plaira pas à l’occident”. Dix ans ont passé. Qu’ont fait les occidentaux ? Rien, ou si peu ! Et aujourd’hui, la Russie et la Chine s’entendent pour imposer un nouvel ordre. A leur convenance, et par la force si nécessaire.

La lucidité nous a manqué, le courage aussi. Face à une confrontation qui pourrait dans l’avenir basculer vers une conflagration planétaire, nous européens et singulièrement nous Français, ne sommes guère préparés. Pas plus militairement qu’économiquement. Mais aussi, reconnaissons-le, ni intellectuellement ni moralement. Et nos élites toute préoccupées de nos joutes hexagonales restent sourdes aux clameurs du monde. Quand les entendront-elles ?

* Merci à notre ami Bernard Lecomte d’avoir révélé cette campagne !

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Excuse l’humour !

Panique à France Inter ! Charline a un coup de blues. Charline a un coup de mou. Alors, Charline est au repos. Pas d’émission ce dimanche ! Faut dire qu’elle a du mal à le digérer : son copain Guillaume fait une mauvaise blague le 29 octobre sur les ondes, et voilà qu’il reçoit un avertissement. C’est vrai, quoi : si on ne peut plus balancer des vannes sur un Premier ministre d’un état étranger, c’est pas la peine d’avoir une émission de divertissement ! Alors, le Guillaume, il a eu bien raison de contester l’avertissement de la Direction de Radio-France devant le tribunal administratif ! Faut être sérieux, tout de même…

On l’aura compris, je ne suis pas de ceux qui passent leur dimanche à attendre que Charline Vanhoenacker et son équipe de potaches arrogants prennent l’antenne de notre radio nationale. Il y a belle lurette que je les évite. Alors, pourquoi leur consacrer un billet  ? Peut-être parce que derrière une de ces polémiques dont notre microcosme médiatique a le secret, et puisque l’apaisement n’est pas encore venu, les propos tenus à cette occasion méritent au moins quatre réflexions. 

Si l’on revient au propos qui est à l’origine de cette polémique, il y a d’abord le qualificatif de ”nazi” employé par Guillaume Meurice pour parler de Benyamin Nethanyahou. Quoi qu’on pense du Premier ministre Israélien*, quelles que soient les critiques que l’on peut formuler à son égard – et elles sont nombreuses ! – il est pour le moins étrange d’utiliser à son sujet le même terme que celui qu’utilise Poutine pour expliquer sa guerre en Ukraine. Comme si ce terme suffisait à tout justifier, à tout excuser. De surcroit, qualifier ainsi un dirigeant juif semble de manière symbolique étrangement renvoyer dos à dos bourreaux et victimes de la Shoah. A peine trois semaines après l’horreur du massacre perpétré  en Israël par le Hamas qui a tué de manière abominable ses victimes au seul motif qu’elles étaient juives, reconnaissons que cela résonne pour le moins étrangement à nos oreilles…

Il y a ensuite le cliché employé par l’humoriste : ”sans prépuce”. Guillaume Meurice croyait sans doute seulement viser en dessous de la ceinture ce qui est somme toute de son niveau. Mais en utilisant cette référence, il ne pouvait ignorer qu’il touchait à l’un des éléments distinctifs de l’identité juive. Or, il se trouve que c’est l’un de ceux qui étaient employés pour faire le tri entre juifs et non juifs aux heures sombres de notre histoire. Et le pire est que ce cliché est de ceux qu’employaient les prétendus humoristes sévissant dans la presse anti-sémite des années 30 et 40. Une presse qui a contribué à banaliser les idées des auteurs du plus grand génocide de l’histoire de l’humanité. Peut-être Guillaume Meurice est il inculte au point ce l’ignorer ? Il était temps de le lui rappeler ! ** 

Sans doute pourra-t-on faire observer qu’après tout, voilà plus de huit ans, nous avons été solidaires de « Charlie Hebdo » lorsque 12 membres de sa rédaction ont été assassinés le 7 janvier 2015. Et nous avons alors plaidé pour le respect absolu de la liberté de la presse. Alors voudrait-on restreindre aujourd’hui l’expression des humoristes de France-Inter ? Certes non ! Et les menaces qui ont depuis visé Guillaume Meurice et Charline Vanhoenacker sont injustifiables et méritent des poursuites. Il reste que dans un climat où se multiplient les actes et agressions anti-sémites, il n’est pas inutile de rappeler qu’entre un hebdomadaire diffusé à quelques milliers d’exemplaires, accessible à ses seuls acheteurs,  et la première radio de France, service public de surcroit, il y a une différence non négligeable en terme d’audience. Et que la seconde a de ce fait et quoi qu’on dise, une responsabilité singulière eu égard à la place qu’elle occupe dans le débat public.  

Enfin, l’argument selon lequel on peut rire de tout est fréquemment employé par ceux-là même qui n’épargnent personne. Et l’on oublie parfois que l’humour, le vrai,  devient ainsi l’otage de leur ironie acerbe et de leur méchanceté dont il serait de bon ton de rire. Alors, puisque faire preuve d’humour, c’est aussi savoir rire de soi-même***, contentons nous d’ironiser sur le fait que des humoristes prompts à dézinguer tous azimuts se retrouvent  incapables de prendre avec un peu d’humour les critiques qui les visent. Et invitons les à méditer cette petite ”béatitude” de Joseph Folliet : ”bienheureux ceux qui savent rire d’eux-mêmes : ils n’ont pas fini de s’amuser” !

*Je vous invite à ce sujet à lire ”Israël – l’agonie d’une démocratie” de Charles Enderlin aux éditions du Seuil, collection Libelle, un  petit ouvrage qui ne coûte que 4,9O Euros et décrit en 50 pages avec précision le processus dramatique dans lequel Benyamin Nethanyahou a engagé son pays.

** Il reste que si ses propos ont suscité de vives réactions dans une partie du public, le fait que certains n’y trouvent rien à redire laisse pour le moins songeur…  

*** Il y a une différence notable entre l’humour juif et l’humour sur les juifs : l’humour juif, ce sont des juifs qui savent gentiment se moquer d’eux-mêmes. L’humour sur les juifs, c’est tout autre chose…

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Ils voudraient nous enrôler…

Depuis que l’Etat d’Israël a entamé ses opérations militaires dans la Bande de Gaza, je découvre chaque jour des images abominables, la punition collective d’un peuple, d’enfants, de femmes, de vieillards épuisés, affamés, écrasés sous les bombes… Alors, comment ne pas se sentir solidaires des victimes innocentes de ce conflit ? Comment ne pas souhaiter que cesse cette intervention de Tsahal qui suscite de nouveaux flots de haine, encore et toujours ?…

Depuis le 7 octobre, jour après jour, je découvre les révélations sur les atrocités commises par le Hamas. Les enfants torturés, démembrés, brulés vifs, les femmes violées… La description sans fard de ces actes nous révèlent la monstrueuse vérité sur une bande d’assassins assoiffés de sang qui ont répandu la terreur et la mort, ne négligeant rien pour faire endurer les pires souffrances à leurs victimes choisies parce que juives. Alors, il faudrait que je sois solidaire de l’action de rétorsion menée par Israël qui ne fait pas la différence entre un peuple rejeté par tous et le Hamas, armée de fanatiques qui l’utilise comme bouclier humain ?

Nous voilà pris au piège satanique que les instigateurs de l’opération du 7 octobre avaient parfaitement imaginé : enrôler nos bonnes conscience à leurs côtés, effacer tout ce qui distingue les vraies victimes des assassins. Ils voudraient que je fasse comme si les atrocités commises voilà un mois n’avaient pas existé. Comme si la sinistre comptabilité quotidienne des victimes remettait à égalité les deux camps et lavait le Hamas de toutes ses fautes. 

Alors, quand, je découvre au fil des jours que certains de mes amis ”de gauche” reprennent sans nuance les mots d’ordre du Hamas réclamant un état palestinien du Jourdain jusqu’à la mer, rayant par là-même l’Etat d’Israël de la carte et rejetant les juifs à la mer, j’enrage. 

Comment pourrais-je me laisser enrôler ?

Et puis, j’apprends que, pendant ce temps là, dans le nord-est de l’Allemagne, la directrice d’une crèche décide de changer le nom de la crèche Anne Franck, au motif que ce nom est difficile à comprendre et que les parents principalement issus de l’immigration ne se reconnaissent pas dans ce nom. Alors, j’ai envie de pleurer ! A entendre cette directrice, il faudrait un nom ”sans arrière-plan politique” ! Comme si le nom d’une enfant assassinée par les nazis en février 1945 au camp de Bergen-Belsen avait ”un arrière-plan politique” ! 

Voilà bien la monstruosité qui est à l’oeuvre. Ici, il faut faire oublier que les enfants assassinés le 7 octobre l’ont été pour la seule raison qu’ils étaient juifs. Là, il faut assigner aux victimes de la Shoah un rôle ”politique” alors même qu’elles ont été assassinées parce que juives. Dans les deux cas, il faut réécrire l’histoire, gommer la mémoire de ses aspects les plus gênants. 

C’est oublier que faire disparaître les traces de la barbarie, c’est en être complices. Et soyons en sûrs : quand nous n’aurons plus de mémoire, rien n’arrêtera plus la barbarie en marche.

 

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”Ce sont des temps d’effroi…”

C’est une terre où devrait couler le lait et le miel. Des flots de sang y sont versés. 

C’est une terre de soleil et de douceur. L’ombre du malheur aujourd’hui la recouvre. 

C’est une terre où trois grandes religions ont en partage des lieux parmi les plus sacrés. Mais Dieu, Yahvé et Allah semblent l’avoir désertée tant la haine s’y est répandue dans les coeurs.

Peut-être est-il temps de relire ce qu’écrivait en juillet 1942 au camp de Westerbork où elle était internée, Etty Hillesum, jeune femme juive néerlandaise, assassinée à Auschwitz en novembre 1943 : 

Ce sont des temps d’effroi, mon Dieu. Cette nuit pour la première fois, je suis restée éveillée dans le noir, les yeux brûlants, des images de souffrance humaine défilant sans arrêt devant moi. Je vais te promettre une chose, mon Dieu, oh, une broutille : je me garderai de suspendre au jour présent, comme autant de poids, les angoisses que m’inspire l’avenir ; mais cela demande un certain entrainement. Pour l’instant, à chaque jour suffit sa peine. Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire  : ce n’est pas toi qui peut nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et ce faisant nous nous aidons nous mêmes.” *

Ne pas se laisser entraîner dans le naufrage de la violence absolue, vers des abîmes sans fond… 

Malgré le sang et les larmes, la fureur et la colère, ne pas laisser s’éteindre en nous notre humanité. 

Ne pas perdre notre âme…

* Etty Hillesum ”Une vie bouleversée” (éditions du Seuil – collection Points)-

 

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L’exil en partage

Il y a la misère. Celle qui épuise les vivants dans un combat de chaque jour pour survivre. Celle que l’on lit dans les yeux des enfants, ces yeux si grands dans des visages émaciés, sur des corps amaigris par la faim. Cette misère qui corrompt le présent et détruit l’avenir. Les jeunes savent que rester c’est se condamner à ne pas vivre. Alors, ils quittent leurs villages, là où même les animaux ont les yeux tristes ; ils abandonnent les bidonvilles où le désespoir se conjugue au présent et le futur au plus qu’imparfait. Ils défient la chaleur implacable du désert et les abîmes de la mer qui les engloutira peut-être. Ils rassemblent les économies de toute une famille pour prendre la route du nord, celle de tous les dangers. Parce que c’est celle du rêve, toujours préférable à l’impasse de la désespérance. 

Il y a la haine. Cette haine du quotidien qui multiplie les tracasseries et oblige à se justifier sans cesse d’être là. Cette haine qui crée des citoyens de seconde zone, ceux qui découvrent de jour en jour que de nouvelles mesures les frappent et leur rendent la vie plus incertaine en raison de leurs origines ou de leur foi. Cette haine qui  rejette leurs enfants des écoles, qui transforme de paisibles voisins en bourreaux. Cette haine qui pousse au départ parce qu’elle prépare les déportations, et les massacres à venir.

Et puis, il y a la guerre qui répand le feu et la mort, mutile les hommes et viole les femmes, transforme de paisibles villages en champs de ruines. Alors ils partent sous les bombes, laissant derrière eux des jardins et des prés devenus champs de bataille, des maisons éventrées, des écoles incendiées. D’Ukraine ou de Syrie, du Sahel ou du Darfour, du Yémen ou d’Erythrée, ils rejoignent la cohorte immense de ceux qui fuient aussi la violence aveugle de nationalistes enragés, la répression de dictateurs sanguinaires ou de religieux fanatiques.

Aujourd’hui, dans le Haut Karabagh, leurs vies sont menacées. Alors ils partent, abandonnant la terre de leurs ancêtres à ceux qui veulent les rayer de la carte du monde. Ils ont quitté les rives verdoyantes de leur passé. Ils sont partis laissant derrière eux la mémoire millénaire de leur peuple gravée dans les pierres, sachant que bientôt les traces de ce passé seraient effacées par les conquérants.   

Comme la sinistre comptabilité de ceux dont la mer devient le tombeau, les images de ces files des damnés de la terre suscitent notre émotion le temps d’un reportage. Compassion fugitive bien vite balayée par d’autres soucis de notre quotidien. Alors, constatant que les ONG et les états peinent à les accueillir dignement, nous restons les spectateurs navrés de notre propre impuissance.. 

Ils ont tout laissé derrière eux. Ils n’ont pour tout bagage qu’un maigre cabas et des souvenirs trop lourds plein la tête. Ils n’ont que l‘exil en partage. Et, trop souvent, notre indifférence…

 

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Elle s’appelait Mahaut…

C’est une histoire à l’image de ce monde. Elle venait de fêter ses 23 ans. Diplôme en poche, elle avait trouvé un poste et s’apprêtait à faire sa première rentrée comme enseignante. Mais avant cela, elle voulait participer au grand rassemblement de la jeunesse de Lisbonne autour du Pape. Alors, un matin d’été, elle a pris la route avec deux amies pour rejoindre un groupe qui s’y rendait en car. Il a fallu qu’un chauffard roulant à grande vitesse sous l’emprise de la drogue percute sa voiture par l’arrière… 

Elle était souriante et généreuse, enthousiaste et lumineuse. 

C’est une histoire à l’image de ce monde où le mal fait son oeuvre de mort, fauchant des vies, laissant des parents et des proches le coeur en miettes.

Mais c’est aussi une histoire de fraternité : des jeunes qui se regroupent spontanément chaque soir depuis l’annonce de son décès, prient ensemble et soutiennent sa famille. Ce sont des messages qui affluent, de Lisbonne et d’ailleurs. La foule de ceux qui mettent les vacances entre parenthèses pour occuper la cathédrale de Poitiers pour une messe d’A-Dieu poignante et magnifique. Ce sont des paroles échangées, des souvenirs partagés, des gestes qui donnent aux âmes blessées la force de tenir debout. C’est un message d’amour et d’espérance délivré par ses parents. 

C’est une histoire à l’image de ce monde, où la grâce peut surgir dans la plus noire tragédie, où derrière les plus sombres nuages apparaît la lumière. 

Elle s’appelait Mahaut et était la fille de personnes qui me sont chères, la petite-fille d’une de mes cousines.

 

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L’indécence et la force d’âme

Lorsque survient un drame comme celui d’Annecy mettant en cause un étranger, il y a toujours des esprits pour s’emparer de l’affaire, dénoncer le laxisme des gouvernants quels qu’ils soient, réclamer davantage de fermeté dans notre législation, exiger la fermeture de nos frontières. 

Peu leur importe que des enfants en bas âge soient entre la vie et la mort ! Paniqués à l’idée d’être en retard d’une émotion, impatients de mettre en route la perverse alchimie du malheur qui transformerait les larmes en bénéfice électoral, ils courent de micros en caméras pour y déverser leur haine de l’autre. Dans cette course effrénée entre la droite extrême et l’extrême droite, où les propos des uns s’ajoutent à ceux des autres dans une surenchère politique morbide, on perçoit comme la sourde jouissance de ceux qui trouvent là une nouvelle occasion de briller et de tenter de ravir la palme de celui qui se montrera le plus exigeant. Et soyons sûrs qu’ils éprouvent aussi une muette satisfaction : celle de savoir cette fois que l’assaillant, tout réfugié syrien qu’il fût, est un chrétien, non un musulman. Voilà enfin qui leur évite une énième accusation d’islamophobie !.. 

A ce championnat de l’indécence, à ce concours Lépine des solutions radicales, impossible de décerner la palme ! Transformer les espaces de jeux de nos jardins publics en quartiers de haute sécurité ? Eriger des miradors dans les espaces fréquentés par les promeneurs avec gardes armés autorisés à tirer au moindre geste suspect ? Enfermer les étrangers présents sur notre territoire, y compris ceux qui sont en situation régulière, dans des camps entourés de barbelés comme ce fut le cas lors d’une période peu glorieuse de notre histoire ? Rien de tout cela n’a été proposé, bien sûr, mais soyons sérieux en matière de lutte contre l’insécurité, l’incantation et les amalgames produisent rarement de l’efficacité. 

Il aura fallu qu’un jeune homme s’interpose pour mettre fin à l’horreur. Et derrière un regard et un sourire lumineux, nous avons découvert ce pèlerin des cathédrales qui, ce qui est pour lui une évidence, a puisé sa bravoure dans sa passion et sa foi chrétienne. Alors, bien sûr, des esprits tordus se sont emportés dans certains organes de presse et sur les réseaux sociaux pour déverser leur mépris et leur haine. Il s’appelle Henri d’… , et cette particule lui vaut d’être évidemment suspect aux yeux de gauchistes bien-pensants. Ancien chef scout qui ne fait pas mystère de ses convictions religieuses même s’il ne les brandit pas comme un étendard, cela suffit à le faire détester. A mots à peine couverts, ils lui supposent des affinités avec l’extrême droite, comme pour mieux le dénigrer. L’insinuation leur suffit. Vieille méthode qui ne prouve que la bassesse de ceux qui l’emploient.

De part et d’autre, la médiocrité et l’indécence se sont donnés libre court. Dieu merci, serait-on tenté de dire, la force d’âme est intacte. C’est elle qui a bravé le couteau et arrêté l’effusion de sang. Pas les bavardages des médiocres. 

 

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