Ce que cache le blasphème…

Depuis le début de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Mila », du nom de cette jeune fille harcelée pour ses propos hostiles à l’Islam, nous voilà contraints de nous prononcer pour ou contre le droit au blasphème. Or, cette question en cache une autre autrement plus complexe.

Commençons par résoudre la question du blasphème. Oui, nous avons entendu sur les ondes, nous avons lu sur les réseaux sociaux, toutes sortes d’affirmations et d’injonctions. Etrangement, une part de la gauche, depuis des associations LGBT jusqu’à Ségolène Royal, semble sinon aux abonnés absents, du moins dans l’embarras, dès lors qu’il faut réaffirmer que le droit de critiquer les religions – jusqu’au blasphème – fait partie de notre liberté d’expression. Rappelons donc que ce n’est pas négociable. Quoi qu’il en coûte aux croyants qui peuvent se sentir blessés par telle ou telle attaque, tel ou tel propos, telle ou telle caricature* (et j’en suis !..), nous devons rester intraitables sur cette question. Car, si nous cédons sur ce point, nous donnerons alors raison aux assassins de « Charlie Hebdo » et à ceux qui leur trouvaient des excuses…

Mais ne regarder l’affaire Mila que sous l’angle de la laïcité donne lieu à une vision tronquée de la réalité. Il faut en effet rappeler que cette lycéenne, qui s’est déclarée lesbienne, fait l’objet d’un rejet violent pour avoir affiché ses préférences. Sa sortie particulièrement insultante à l’égard de l’Islam n’est ainsi pas le point de départ de la polémique, contrairement à ce que l’on croit souvent, mais sa réponse au harcèlement dont elle faisait l’objet. Un harcèlement qui vise ses choix de vie, sa sexualité, la liberté d’une femme de s’affranchir de la tutelle masculine…

Les couacs gouvernementaux à ce sujet** tout comme les réactions à géométrie variable et la confusion d’une part de la classe politique, singulièrement à gauche, et la polémique qui s’en est suivie ne sont peut être que les dommages collatéraux de cet enchaînement de faits mal compris. Et aussi une bonne manière de faire diversion car, en focalisant notre attention sur la laïcité, ce sont les autres questions qui passent au second plan.

La situation de la jeune Mila n’est, rappelons-le, pas isolée. Certes, elle a pris une dimension emblématique en raison des excès de langage de cette jeune fille comme des menaces qui pèsent sur elle et de l’emballement des réseaux sociaux. Mais reconnaissons que dans certains quartiers, il faut une bonne dose de courage à des jeunes femmes pour s’affranchir des pesanteurs de leur milieu, pour refuser de porter le voile, pour assumer leur sexualité en toute liberté, pour ne pas se soumettre au diktat des hommes. Bref, pour disposer de tous leurs droits.

Mais de cette réalité là, il est plus difficile de parler que du seul droit au blasphème ! Cela signifierait qu’il faut reconnaître l’abandon de ces quartiers aux mains des Frères Musulmans et de ceux qui se rapprochent de leur mouvance. Cela signifierait reconnaître que pour de sordides raisons électorales souvent, par faiblesse et lâcheté parfois, il a été préféré ne pas affronter ceux qui, par exemple, contestaient certains enseignements en confondant croyances et savoir, refusaient la mixité et réclamaient des horaires séparés pour les femmes et pour les hommes à la piscine, etc.

D’accommodements en accommodements, au fil du temps, certains musulmans ont ainsi cru qu’ils pourraient s’affranchir des lois de la République. Ils l’ont fait d’autant plus aisément que régulièrement, par respect des cultures d’origine, par refus de stigmatiser une population, notamment des enfants en milieu scolaire, des élus et des responsables administratifs ont cédé face à leurs exigences. Sans jamais se poser la question des points de non-retour auxquels menait cette politique. Au point de menacer à terme l’édifice républicain.

Aujourd’hui, de récents rapports confidentiels remis au Ministre de l’Intérieur évoquent le nombre élevé de ces quartiers où il ne serait plus possible de faire respecter notre droit. Et ce ne sont sans doute pas les renforts de police dans la cinquantaine de « quartiers de reconquête républicaine » identifiés officiellement par le Ministère de l’Intérieur en 2018 et 2019 qui règleront la question : le mal est plus profond. Il ne s’agit en effet pas seulement de police, mais d’un ensemble de règles communes, et de la conception que l’on se fait de la liberté et des droits des femmes en particulier. Face à ce défi, nous ne pourrons plus nous contenter de vagues discours sur l’intégration. Ce sont les questions des modèles familiaux et du rapport entre les sexes, du déracinement, de la compatibilité entre cultures, du partage de règles communes, etc. qui sont posées.

Et tant qu’elles ne seront pas affrontées, il y aura encore bien d’autres Mila. Visibles ou, pire encore, cachées et affrontant seules la haine et la violence.

* En finançant la radio de service public pour ne citer qu’elle, chacun de nous contribue à payer grassement ceux qui se servent de leur talent d’amuseur (parfois médiocre) pour insulter régulièrement les chrétiens faute d’oser s’en prendre à d’autres religions. Mais puisque le talent leur fait souvent défaut, ne leur demandons pas, en plus, d’avoir du courage !…

** Rappelons qu’avant de reconnaître une «erreur », la Ministre de la Justice avait, dans un premier temps, inversé les rôles en estimant qu’insulter une religion était « une atteinte à la liberté de conscience ». Ce qui assimilait la jeune Mila à une délinquante et semblait légitimer les excès de ses agresseurs.

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2 réponses à Ce que cache le blasphème…

  1. Becqué dit :

    Merci Bruno d’oser ainsi affronter la réalité de face.
    Amitiés.
    Pierre

  2. Anne Gayet dit :

    J’ai particulièrement aimé la remarque sur le « Courage » en anglais les guts des humoristes de tout poil sur ondes et écrans.
    En effet parfois il semble qu’il y ait deux poids deux mesures dans la raillerie à l’égard de la foi de chacun. Par peur des représailles?
    Sur le fond, comme souvent le cinéma le meilleur- pas toujours celui des Césars- nous renseigne: Dans God exists, my name is Petrunya, film européen de Macédoine, l’héroïne a qui le commissaire demande si elle est croyante, rétorque: Etes-vous gay?
    La foi comme l’orientation sexuelle sont de l’ordre de l’intime, c’est pourquoi il convient davantage de pudeur, de discrétion et de retour à la mesure en cas de débordements.
    Pourquoi ce qui est de l’ordre de l’intime doit-il être public et livré aux lions et autres chacals des réseaux sociaux. Comment sortir de cette spirale ?
    La vraie question est urgente: quelle réelle éducation civile face aux technologies perverses?
    Perseverare diabolicum.
    Cheers

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