Une ”Primaire » pour un naufrage ?

Suffit-il de l’emporter dans une ”primaire populaire” * pour se considérer comme la candidate légitime de la gauche ? Suffit-il de citer René Char ou Condorcet dans un discours pour faire vibrer le ”peuple de gauche” et balayer le spectre de la division ? Peut-être se rêvait-elle en femme providentielle, mais en essuyant le rejet de ses concurrents, elle se heurte à une réalité qu’elle avait feint d’ignorer. Or, les rêves ne forgent pas un destin. Christiane Taubira ne sera donc qu’une candidate de plus, ajoutant de la division à la division, et contribuant ainsi à un désastre annoncé. 

Bien sûr, elle peut toujours rejeter la faute sur les autres. Il suffit d’ailleurs d’apprécier les egos démesurés de certains de ses concurrents pour estimer qu’elle n’a pas tout à fait tort. Il suffit aussi de se rappeler qu’en décembre, Anne Hidalgo en appelait assez clairement à une primaire et de constater qu’aujourd’hui, elle en rejette à la fois le principe et le verdict. Pour autant, ce n’est pas parce qu’avec l’aplomb qui la caractérise, l’ancienne Garde des Sceaux a réponse à tout qu’elle peut faire mordre la poussière aux Jadot, Mélanchon, Roussel ou Hidalgo. En 2002, elle avait contribué à écarter Lionel Jospin du second tour de la présidentielle. Vingt ans plus tard, elle pourrait réussir l’exploit de faire disparaître le PS de l’échiquier politique. Et dire que, voilà dix ans, la gauche détenait presque tous les leviers de commande de notre République et qu’elle se trouve aujourd’hui éparpillée ”façon puzzle”, comme dirait Audiard ! Et ses meilleurs représentants peinent à dépasser 10% d’intentions de vote dans les sondages. Mais comment en est-on arrivé là ? 

Nous pourrions revenir sur les grandes fractures qui ont marqué la gauche depuis vingt ans ou davantage. Accuser François Mitterrand, les années Tapie, la soumission de la social-démocratie au capitalisme dérégulé façon Thatcher ou Reagan. Nous pourrions évoquer l’effondrement du bloc communiste en Europe de l’Est qui, en faisant disparaître la menace soviétique, a affaibli le clivage droite-gauche. On pourrait aussi rappeler la phrase de Lionel Jospin constatant que ”l’Etat ne peut pas tout”, un aveu d’impuissance et de soumission de la politique à l’économie qui ruinait toute idée de volontarisme en politique. On pourrait enfin évoquer les années Hollande qui avaient commencé par ”mon ennemi c’est la finance” et se sont conclues dans l’inaction. Mais cela ne suffit pas. 

Pendant toutes ces années, l’esprit de chapelle s’est renforcé. La ”gauche plurielle”, concept qui a permis à Lionel Jospin de gouverner pendant cinq ans, a éclaté avant l’échéance de 2002 avec le résultat que l’on sait. Les ”frondeurs” ont ensuite réussi à priver François Hollande d’une candidature à sa propre succession. Dans le même temps, la dissidence des ”insoumis” menée par un adepte de la révolution à la mode sud-américaine rendait impossible toute réconciliation. Et les écologistes qui en raison de l’urgence climatique auraient dû élargir leur assise, se sont enfoncés dans une dérive sectaire, tout en imposant leur loi à ceux qui, telle Anne Hidalgo, avaient passé alliance avec eux pour conserver leur mandat. 

Dans ce paysage, chacun est sûr de détenir la vérité, chacun est pétri de ces certitudes qui rendent fou et inapte à conquérir le pouvoir.

Petits calculs de boutiquiers de la politique, médiocre comptabilité électorale, querelles d’egos, aveuglements, tout cela n’a fait que conduire la gauche à la situation dans laquelle elle se trouve aujourd’hui. Cependant, il y a pire encore. A la surabondance des candidats, répond la vacuité des idées. Depuis les années 90 et la fin de l’ère Mitterrand, qu’ont fait les partis de gauche et singulièrement le PS pour penser les changements qui ont bouleversé le monde ? Rien, ou si peu !

Alors Premier secrétaire du PS, François Hollande était si convaincu qu’engager la réflexion menacerait la cohésion de son parti, qu’il a tout fait pour éviter d’ouvrir des débats. Rien sur les conséquences de la mondialisation, l’émergence de la Chine, de l’Inde et du Brésil, ou sur les bouleversements géo-politiques. Rien ou si peu sur les défis climatiques et environnementaux, les mutations économiques et technologiques, l’indépendance énergétique, la désindustrialisation dans notre pays, l’affaiblissement de notre système éducatif… Rien sur les flux migratoires et leurs conséquences démographiques, sociales religieuses et culturelles… Elu grâce à la conjonction des haines anti-Sarkozy, François Hollande n’a su que gérer les affaires courantes et a laissé passer le train de l’histoire tandis que son parti se berçait d’illusions en croyant gagner en cohérence ce qu’il perdait à coup sûr en influence et en adhérents.

Alors, la gauche a remisé au rang des accessoires ce qui faisait son ADN : la quête du progrès social, la réduction des injustices, et une vision universaliste. Ses incantations d’aujourd’hui sur le pouvoir d’achat ne trompent plus qu’elle-même. Et pour camoufler ses reniements, elle a adhéré à toutes les thèses communautaristes afin de flatter celles et ceux qui, à tort ou à raison, se sentent discriminés à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur origine, de la couleur de leur peau ou de leur religion. Loin de tracer les perspectives d’un bien commun transcendant les différences, elle s’est soumise à la logique du ressentiment et à l’individualisme dominant. Elle a enfin fermé les yeux devant les thèses nauséabondes de la cancel culture par peur d’être en retard d’un combat. 

Elle a ainsi abandonné sa raison d’être, sans se rendre compte que cela ruinait les espoirs que ses électeurs avaient mis en elle. Elle a remplacé une réflexion qui l’aurait conduite à des aggiornamentos par des injonctions morales à l’adresse de ceux qui prenaient leurs distances, comme s’il fallait ajouter le mépris à l’abandon.  Pas étonnant que ses électeurs aient déserté les urnes ou, pire, rejoint les rangs de ceux qui votaient pour Marine Le Pen ! 

La gauche avait lâché le peuple. Celui-ci l’abandonnait. Cela dit assez sa responsabilité, et en particulier celle du Parti Socialiste dans la montée du populisme. 

Après le naufrage de la IV° République, il avait fallu attendre 1981 (23 ans !) pour que la gauche redécouvre l’exercice du pouvoir. Aujourd’hui, en refusant toute logique qui pourrait faire émerger un projet commun, chacun des candidats qui s’en réclame prépare le naufrage du printemps à venir. Pendant ce temps, la droite extrême impose ses thématiques dans les débats et certains rêvent d’un retour à une France du passé. Habituée à ne pas voir le monde changer, la gauche est aujourd’hui incapable d’offrir une alternative. Alors, pour sortir de la spirale infernale dans laquelle elle est plongée, faudra-t-il attendre que les Mélanchon, Taubira ou Hidalgo et autres fossoyeurs de la gauche partent à la retraite ? Qui les remplacera ? Quand et pour quoi faire ? 

* Au demeurant, voilà un bien étrange scrutin que celui de cette ”Primaire populaire” dont les résultats ne se mesurent pas en nombre de voix obtenu par chaque candidat mais se résument à des mentions qui leur sont attribuées !

 

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