Excuse l’humour !

Panique à France Inter ! Charline a un coup de blues. Charline a un coup de mou. Alors, Charline est au repos. Pas d’émission ce dimanche ! Faut dire qu’elle a du mal à le digérer : son copain Guillaume fait une mauvaise blague le 29 octobre sur les ondes, et voilà qu’il reçoit un avertissement. C’est vrai, quoi : si on ne peut plus balancer des vannes sur un Premier ministre d’un état étranger, c’est pas la peine d’avoir une émission de divertissement ! Alors, le Guillaume, il a eu bien raison de contester l’avertissement de la Direction de Radio-France devant le tribunal administratif ! Faut être sérieux, tout de même…

On l’aura compris, je ne suis pas de ceux qui passent leur dimanche à attendre que Charline Vanhoenacker et son équipe de potaches arrogants prennent l’antenne de notre radio nationale. Il y a belle lurette que je les évite. Alors, pourquoi leur consacrer un billet  ? Peut-être parce que derrière une de ces polémiques dont notre microcosme médiatique a le secret, et puisque l’apaisement n’est pas encore venu, les propos tenus à cette occasion méritent au moins quatre réflexions. 

Si l’on revient au propos qui est à l’origine de cette polémique, il y a d’abord le qualificatif de ”nazi” employé par Guillaume Meurice pour parler de Benyamin Nethanyahou. Quoi qu’on pense du Premier ministre Israélien*, quelles que soient les critiques que l’on peut formuler à son égard – et elles sont nombreuses ! – il est pour le moins étrange d’utiliser à son sujet le même terme que celui qu’utilise Poutine pour expliquer sa guerre en Ukraine. Comme si ce terme suffisait à tout justifier, à tout excuser. De surcroit, qualifier ainsi un dirigeant juif semble de manière symbolique étrangement renvoyer dos à dos bourreaux et victimes de la Shoah. A peine trois semaines après l’horreur du massacre perpétré  en Israël par le Hamas qui a tué de manière abominable ses victimes au seul motif qu’elles étaient juives, reconnaissons que cela résonne pour le moins étrangement à nos oreilles…

Il y a ensuite le cliché employé par l’humoriste : ”sans prépuce”. Guillaume Meurice croyait sans doute seulement viser en dessous de la ceinture ce qui est somme toute de son niveau. Mais en utilisant cette référence, il ne pouvait ignorer qu’il touchait à l’un des éléments distinctifs de l’identité juive. Or, il se trouve que c’est l’un de ceux qui étaient employés pour faire le tri entre juifs et non juifs aux heures sombres de notre histoire. Et le pire est que ce cliché est de ceux qu’employaient les prétendus humoristes sévissant dans la presse anti-sémite des années 30 et 40. Une presse qui a contribué à banaliser les idées des auteurs du plus grand génocide de l’histoire de l’humanité. Peut-être Guillaume Meurice est il inculte au point ce l’ignorer ? Il était temps de le lui rappeler ! ** 

Sans doute pourra-t-on faire observer qu’après tout, voilà plus de huit ans, nous avons été solidaires de « Charlie Hebdo » lorsque 12 membres de sa rédaction ont été assassinés le 7 janvier 2015. Et nous avons alors plaidé pour le respect absolu de la liberté de la presse. Alors voudrait-on restreindre aujourd’hui l’expression des humoristes de France-Inter ? Certes non ! Et les menaces qui ont depuis visé Guillaume Meurice et Charline Vanhoenacker sont injustifiables et méritent des poursuites. Il reste que dans un climat où se multiplient les actes et agressions anti-sémites, il n’est pas inutile de rappeler qu’entre un hebdomadaire diffusé à quelques milliers d’exemplaires, accessible à ses seuls acheteurs,  et la première radio de France, service public de surcroit, il y a une différence non négligeable en terme d’audience. Et que la seconde a de ce fait et quoi qu’on dise, une responsabilité singulière eu égard à la place qu’elle occupe dans le débat public.  

Enfin, l’argument selon lequel on peut rire de tout est fréquemment employé par ceux-là même qui n’épargnent personne. Et l’on oublie parfois que l’humour, le vrai,  devient ainsi l’otage de leur ironie acerbe et de leur méchanceté dont il serait de bon ton de rire. Alors, puisque faire preuve d’humour, c’est aussi savoir rire de soi-même***, contentons nous d’ironiser sur le fait que des humoristes prompts à dézinguer tous azimuts se retrouvent  incapables de prendre avec un peu d’humour les critiques qui les visent. Et invitons les à méditer cette petite ”béatitude” de Joseph Folliet : ”bienheureux ceux qui savent rire d’eux-mêmes : ils n’ont pas fini de s’amuser” !

*Je vous invite à ce sujet à lire ”Israël – l’agonie d’une démocratie” de Charles Enderlin aux éditions du Seuil, collection Libelle, un  petit ouvrage qui ne coûte que 4,9O Euros et décrit en 50 pages avec précision le processus dramatique dans lequel Benyamin Nethanyahou a engagé son pays.

** Il reste que si ses propos ont suscité de vives réactions dans une partie du public, le fait que certains n’y trouvent rien à redire laisse pour le moins songeur…  

*** Il y a une différence notable entre l’humour juif et l’humour sur les juifs : l’humour juif, ce sont des juifs qui savent gentiment se moquer d’eux-mêmes. L’humour sur les juifs, c’est tout autre chose…

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