Confrontation planétaire…

Il est des petites phrases qui en disent plus long que de grands discours. Ainsi, lorsque le numéro un chinois Xi Jinping quittait Vladimir Poutine à l’issue d’un dîner au Kremlin le 23 mars dernier, il déclarait en veillant à ce que micros et caméras enregistrent son propos : ”en ce moment même, il y a des changements comme nul n’en a vu depuis cent ans, et c’est nous qui les pilotons ensemble”. Chaque mot était pesé. Tout était dit de l’ambition commune des deux dictateurs russe et chinois.

Ce que traduit cette phrase et qu’ont bien décrypté les diplomates du monde entier, c’est que l’ordre mondial qui a été façonné par les puissances occidentales depuis les débuts du XIXème siècle (pour ne pas remonter jusqu’à la conquête de l’Amérique !), est aujourd’hui remis en cause par les deux grandes puissances que sont la Russie et la Chine. Deux états auxquels s’allient de fait de grands pays émergents comme l’Inde ou d’autres puissances régionales comme l’Iran. Or, cette coalition qui peut paraître hétéroclite a un point commun : elle n’a que faire de nos modes de pensée et de nos valeurs. 

Démocratie, liberté religieuse et liberté de penser, liberté d’entreprendre, normes juridiques, rapports sociaux où le respect de la personne et les droits de l’individu priment sur la dimension collective, ils n’en ont que faire. Pis, ils les rejettent en bloc tout en exploitant avec le plus parfait cynisme les failles de l’ultra-libéralisme économique auquel nous nous sommes soumis. C’est donc une confrontation planétaire qui est engagée. Confrontation qui passe aujourd’hui, à 2400 kilomètres de chez nous, par l’Ukraine et pourrait, demain, connaître d’autres fronts.

Mais, me direz-vous, pourquoi s’intéresser aujourd’hui à une phrase prononcée voilà neuf mois ? Peut-être parce que les ukrainiens sont à la peine face à un adversaire qui se soucie si peu d’envoyer à la mort des dizaines de milliers de ses jeunes hommes. Parce que malgré la décision d’ouvrir des négociations d’adhésion de l’Ukraine, l’Union européenne a refusé ce jeudi 14 décembre de lui accorder une nouvelle aide. Parce que Vladimir Poutine a réaffirmé ce même jour ses objectifs de ”dénazification” et de ”démilitarisation” de l’Ukraine qui selon lui ne peuvent être obtenus ”que par la force”. Parce que malgré les promesses, Washington hésite à fournir à Kiev les armes et les munitions qui lui manquent. Parce qu’enfin, la Russie a lancé il y a peu une campagne de publicité *, notamment dans les régions proches des pays baltes dont l’un des visuels montre des soldats en armes et un avion larguant des parachutistes, et dont le slogan est ” Les frontières de la Russie ne s’arrêtent nulle part”. Comme pour lancer un avertissement aux pays baltes qui s’étaient affranchis de la tutelle russe après la fin de l’empire soviétique, mais aussi à toute l’Europe et, au-delà, à l’OTAN…  

Voilà dix ans, le diplomate et universitaire singapourien, Kishore Mahbubani nous alertait : ” en fait les occidentaux qui ne représentent que 12% de la population mondiale n’ont que quelques années – 5, peut-être 10 – pour mettre en place des institutions et des lois internationales qui permettront de gérer le monde multipolaire de demain. Je ne dis pas qu’ils doivent le faire par idéalisme ou pour respecter leurs engagements, mais parce qu’il y va de leur intérêt. Sinon, dans 5 ou 10 ans, les 88% restant, ceux dont le niveau de vie progresse à une vitesse astronomique, imposeront un nouvel ordre mondial qui ne plaira pas à l’occident”. Dix ans ont passé. Qu’ont fait les occidentaux ? Rien, ou si peu ! Et aujourd’hui, la Russie et la Chine s’entendent pour imposer un nouvel ordre. A leur convenance, et par la force si nécessaire.

La lucidité nous a manqué, le courage aussi. Face à une confrontation qui pourrait dans l’avenir basculer vers une conflagration planétaire, nous européens et singulièrement nous Français, ne sommes guère préparés. Pas plus militairement qu’économiquement. Mais aussi, reconnaissons-le, ni intellectuellement ni moralement. Et nos élites toute préoccupées de nos joutes hexagonales restent sourdes aux clameurs du monde. Quand les entendront-elles ?

* Merci à notre ami Bernard Lecomte d’avoir révélé cette campagne !

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