Les parrainages contre la démocratie ?

A coup sûr, et parce que l’initiative venait de lui, elle devait susciter des commentaires ironiques. Et pourtant ! Pourtant, le lancement par François Bayrou du collectif des élus garants de la démocratie et intitulé ”Notre démocratie” mérite mieux que des sarcasmes. Certains ironiseront sur le fait qu’il adopte une posture de sauveur. D’autres y verront une manoeuvre justifiée par quelques calculs bien médiocres sur la nécessité de diviser à la fois la droite et la gauche pour mieux assurer la victoire d’Emmanuel Macron en avril prochain. Mais qu’importent les grincheux, et d’ailleurs peu importe aussi que cette initiative ne parvienne pas à résoudre totalement le problème auquel elle entend s’attaquer : celui-ci vaut mieux que des petites phrases assassines !

En effet, dans notre République, il ne suffit pas de se proclamer candidat, encore faut-il y parvenir. Faire campagne, faire salle comble lors de meetings est une chose. Obtenir les parrainages nécessaires en est une autre. Or, à la date où ce billet est publié, outre le Président sortant, seuls les deux candidates des grands partis largement représentés  sur le terrain (Parti socialiste et Républicains) sont assurés de pouvoir se présenter*. Et Yannick Jadot, Jean-Luc Mélanchon, Marine Le Pen et Eric Zemmour ne sont pas assurés de disposer du nombre suffisant de parrainages. Pour eux, le temps presse car ceux-ci doivent parvenir au Conseil Constitutionnel au plus tard le 4 mars !

S’ils ne pouvaient se présenter, nous nous serions à coup sûr confrontés à une crise majeure pour notre démocratie. La légitimité du scrutin serait mise en cause. Les partisans des uns et des autres auraient tôt fait de dénoncer au mieux un déni de démocratie, au pire un complot visant des candidats présentés comme la femme ou l’homme ”à abattre”. Et l’abstention atteindrait des niveaux record**. Voilà cinq ans, certains avaient cru pouvoir se convaincre que leur champion François Fillon avait été éliminé au premier tour à la suite d’une machination dans laquelle on trouvait pêle-mêle des sarkozystes, un supposé ”cabinet noir” de François Hollande, et Bercy agissant en sous-main pour un certain Macron… Sans jamais accepter d’envisager que François Fillon ait pu alors être lui-même son meilleur ennemi, ceux-là ont gardé le souvenir amer d’une élection qui, à leurs yeux, leur a été volée. Gardons-nous aujourd’hui d’un scénario pire encore avec des candidats qui ne pourraient pas l’être, ce qui donnerait chez nous du grain à moudre aux émules de Trump !

Le système des parrainages a été mis en place pour éviter la multiplication de candidats fantaisistes. Il impose à toute candidature la signature de quelques 500 élus locaux pour être officiellement reconnue par le Conseil Constitutionnel. Ce sont ainsi 42 000 élus qui peuvent être sollicités pour accorder leur parrainage. Et ceux-ci doivent provenir d’au moins 30 départements. Or, force est de le reconnaître, ce système connaît aujourd’hui ses limites. Si Yannick Jadot, Jean-Luc Mélanchon, ou Marine Le Pen, peinent à les obtenir malgré leur poids électoral et le nombre de parlementaires dont disposent leurs mouvements, si Eric Zemmour n’y parvient pas non plus, cela signifie que le système a des effets pervers que n’imaginaient pas ses concepteurs. Et loin de vivifier la démocratie, il l’enferme dans des contraintes qui ne profitent qu’à l’establishment.

Bien sûr, obtenir des parrainages est plus difficiles pour ceux qui ne disposent pas d’un nombre conséquent d’élus de terrain. Mais d’autres considérations entrent en ligne de compte. On assiste ainsi à des manoeuvres peu glorieuses, menaces à peine voilées ou chantages aux subventions. Autant dire des pratiques qui n’ont rien de commun avec le jeu démocratique. Enfin, le fait que les noms des élus soient rendus publics ne fait qu’ajouter à la difficulté. En effet, pour un élu modéré, accorder son parrainage à Jean-Luc Mélanchon ou plus encore à Marine Le Pen, au motif qu’une famille politique représentant de 10 à 20% des voix est légitime pour concourir à l’élection présidentielle, est souvent mal compris par ses électeurs. Ceux-ci confondent parrainage et soutien, comme si c’était leur propre voix que ces élus apportaient. Et ces incompréhensions se traduisent par des critiques adressées parfois avec violence.

Bien évidemment, on ne saurait changer les règles du jeu en cours de route. Cependant observons qu’en 2007, le comité de réflexion sur la modernisation des institutions présidé par Edouard Balladur avait proposé d’abandonner le système des parrainages au profit d’un collège de 100 000 élus. Et en 2012, la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidé par Lionel Jospin avait suggéré de le remplacer par un parrainage citoyen. Le constat ne date donc pas d’hier, et les idées pour remédier aux défauts du système ne manquent pas. Mais depuis, rien n’a été fait pour le corriger***. 

Le lancement du collectif d’élus ”Notre Démocratie”, par son caractère transpartisan, rejoint d’une certaine manière l’idée lancée par Edouard Balladur. Il ne règlera pas pour autant le problème posé par la publicité faite aux noms de ceux qui accorderont leur parrainage. De surcroît, il pose une autre question : si l’une des conditions est que les candidats auxquels il pourra apporter des parrainages doivent atteindre 10% des intentions de vote dans les sondages, qu’en est-il de ceux qui, comme Jean-Luc Mélanchon oscillent entre 9 et 10 % ? Et faut-il se résoudre à éliminer ceux qui se situent en dessous comme Yannick Jadot et quelques autres ?..

Pour intéressante qu’elle soit, l’idée de ce collectif ne peut donc régler tous les problèmes posés par les imperfections de notre système. Un changement radical mettant en place des règles permettant un large consensus s’impose. Après les élections du printemps, le plus tôt sera le mieux. En tout cas, avant 2027 ou 2032. En espérant qu’il ne sera pas trop tard…

* Illustration de l’absurdité de la situation : créditée de moins de 3% des intentions de vote, Anne Hidalgo n’a éprouvé aucune difficulté à obtenir ses 500 parrainages !

** Sans compter que gouverner dans ce contexte serait exercice impossible…

*** Nicolas Sarkozy ne s’est pas emparé des réflexions du comité Balladur. François Hollande ne s’est pas plus intéressé à la proposition de Lionel Jospin. Quant à Emmanuel Macron entre crise des ”gilets jaunes” et pandémie, il n’a guère pris le temps de s’y consacrer.

 

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