La leçon Navalny

”N’ayez pas peur !” Ces mots répétés maintes fois par Alexeï Navalny à ses compatriotes font écho à ce ”N’ayez pas peur !” lancé par un certain Karol Wojtyla du haut d’un balcon de Saint Pierre de Rome alors qu’il venait d’être élu Pape en octobre 1978. 11 ans plus tard, le mur de Berlin s’écroulait et entraînait avec lui l’empire soviétique et la dictature communiste qui s’imposait aux pays d’Europe de l’Est depuis 1945.

Sans vouloir faire de Jean-Paul II le seul vainqueur de la dictature communiste en Pologne et dans toute l’Europe de l’Est (ce qui serait oublier tous ceux qui ont combattu dans l’ombre, et pour beaucoup d’entre eux jusqu’à la prison, la torture et parfois la mort !), retenons le caractère prophétique de ces paroles*. Le 1er mars à Moscou, des milliers de Russes ont bravé les caméras du régime qui, avec la reconnaissance faciale, gardent trace de leur acte de défiance. Ils le savaient mais ils ont surmonté la peur. Et leur longue attente dans le froid moscovite ne constitue pas seulement un formidable pied de nez au maître du Kremlin, elle est aussi un énorme cri d’espoir lancé à la face du monde. 

Par leur courage, les femmes et les hommes qui se sont réunis pour un dernier hommage à celui qui symbolisait la lutte contre la dictature, nous donnent une triple leçon. 

D’abord, ce serait leur faire injure, comme ce serait faire injure aux Ukrainiens qui se battent pour défendre leur nation, que de prétendre comme le disent certains chez nous, que Poutine est le défenseur de ”nos valeurs”, celles de la famille, celles de la chrétienté. Les vrais défenseurs des droits humains, ce sont eux ! Pas le clan mafieux qui règne sur la Russie et ne connaît que la loi du plus fort. Pas ceux qui instrumentalisent la religion en la mettant au service de leurs ambitions territoriales. Pas ceux qui envoient des milliers de jeunes russes se faire tuer sur le front** et camouflent leurs activités de prédateurs derrière une prétendue défense de la famille traditionnelle ! 

Seconde leçon, ils nous montrent qu’en Russie, une force existe qui ne demande qu’à émerger.  Non, Navalny n’était pas un opposant isolé. Il est rejoint par tous ceux qui ont fait la queue des heures durant pour déposer des fleurs sur sa tombe au cimetière de Borisovo. Nous savons que dans ce pays le pouvoir a, depuis des années, réduit au silence toute forme d’opposition et toute parole discordante dans les médias. Nous savons qu’il a entamé une vaste entreprise de lavage des cerveaux – notamment auprès de la jeunesse – pour diffuser sa pensée totalitaire et sa vision sans limite de l’empire russe. Le seul fait que chacune de ces femmes et chacun de ces hommes aient pris la décision d’aller à ces obsèques, et se soient retrouvés si nombreux est un signe de leur résilience, de leur capacité de résistance, de leur imperméabilité à l’idéologie dominante. Et cela fut sans doute pour eux une divine surprise. En découvrant qu’ils n’étaient pas seuls, ils se sont sentis plus forts face aux mensonges et à la violence. Ils ont acquis la certitude qu’ils ne devaient ni baisser la tête ni renoncer. Et même si cela devait prendre des années, même si le prix à payer sera lourd, ils savent désormais que tôt ou tard, ils triompheront.  

Troisième leçon : ces femmes et ces hommes nous disent qu’humilier Poutine, ce n’est pas humilier la Russie parce que La Russie, c’est eux ! Ils nous disent aussi et surtout que si, malgré les menaces, ils n’ont pas peur, pourquoi chez nous, aurions-nous peur ? D’un apprenti sorcier qui brandit régulièrement la menace de l’arme nucléaire ? Sans doute. Mais oublie-t-on que d’abandon en abandon, de tergiversations en renoncements, nous montrons le caractère timoré de nos démocraties. Et en donnant des signes de notre propre faiblesse, nous renforçons les sentiments de puissance et d’impunité sur lesquels surfe le dictateur du Kremlin. Au point d’encourager ses ambitions territoriales et sa volonté d’écraser les peuples qui osent lui tenir tête. Ce que subit depuis deux ans le peuple ukrainien qui a osé ne pas se soumettre à sa volonté ne nous servirait donc pas de leçon ?

En septembre 1938, par souci de préserver la paix, Daladier et Chamberlain signaient les accords de Munich qui laissaient à Hitler les mains libres pour occuper les territoires des Sudètes en Tchécoslovaquie. Cela leur avait valu la réplique cinglante de Churchill : ”vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre”. Ce n’est pas être va-t-en guerre que d’oser le rappeler !

Alors, entendrons-nous la clameur moscovite ? Saurons-nous faire écho au cri d’espoir qu’elle traduit ? Ou attendrons-nous pour nous réveiller qu’il soit trop tard ?   

  • Des paroles d’un certain Jésus tirées de l’Evangile de Matthieu..

** Des hommes que les chefs militaires russes appellent la ”viande”, affirmant ainsi qu’ils ne sont à leurs yeux que de la chair à canons…

Ce contenu a été publié dans Billets, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.