A gauche, combien de divisions ?

L’image était belle : autour du leader de ”La France Insoumise”, des visages venus de tous les horizons de la gauche entonnant la Marseillaise et faisant avec leurs doigts de V de la victoire*. Pour ceux que les divisions de la gauche tout au long de la campagne présidentielle avait plongés dans la désespérance, quel réconfort ! Las, il n’aura pas fallu plus de 48h pour que l’édifice se lézarde. Samedi, la journée de la NUPES aura-t-elle été la journée des dupes ? 

Ce qui s’est passé à Vénissieux est emblématique des fractures et des contradictions que porte en elle la coalition opportuniste que Jean-Luc Mélanchon a constituée après son échec à la présidentielle. L’investiture dans cette ville de la banlieue lyonnaise d’un ”insoumis” dont les engagements et les propos** sont contraires à la tradition universaliste et anti-raciste de la gauche est symptomatique de la complaisance de ce mouvement à l’égard de ceux qui n’ont de cesse de distiller leur haine des autres et de la France. La détermination d’une élue communiste à affronter cet individu faisant observer que se soumettre à cette décision d’investiture serait renier ses propres engagements et les combats de toute une vie ; la fermeté du soutien qu’elle a obtenu du leader du PC Fabien Roussel, montrent assez que dans son OPA sur la gauche, Jean-Luc Mélanchon n’avait aucune vision de ce que pourrait être une coalition digne de l’espoir qu’elle suscitait. Au final, le candidat des ”insoumis” a battu en retraite, retirant sa candidature après la polémique provoquée par son parachutage. A Paris, dans le Nord, en Dordogne, en région lyonnaise et ailleurs, d’autres dissidences voient le jour, signes que l’alliance contractée voilà une semaine n’a d’union que le nom. De 2012 à 2017, François Hollande a subi les assauts des frondeurs qui l’ont réduit à l’impuissance. En 2022, c’est avant même le premier tour des législatives où il espère prendre sa revanche que Jean-Luc Mélanchon observe les lézardes qui menacent déjà son propre édifice. 

Au surplus, tout cela était prévisible car l’accord électoral, certes souhaité par les électeurs, mais imposé par les ”insoumis” et annoncé à grand renfort de tambours et de trompettes souffre de deux faiblesses insurmontables.

La première tient à la nature même du partage des circonscriptions entre formations politiques. En l’espèce, celui-ci s’attache à l’arithmétique électorale issue du premier tour de la présidentielle, et répond à l’obsession de chaque formation de pouvoir constituer un groupe à l’Assemblée Nationale. Mais lorsqu’un tel partage ne tient compte ni des réalités de terrain ni de l’équation personnelle des candidats potentiels, il ne faut pas s’étonner que la vraie vie se refuse à entrer dans les cases prévues par les apparatchiks. KO debout après leurs résultats calamiteux à la présidentielle, écologistes, communistes et socialistes se sont livrés pieds et poings liés à celui qui, seul, avait tiré son épingle du jeu.  Tout cela dans le seul espoir de sauver les meubles et retrouver quelques moyens financiers et politiques leur permettant de survivre. Et ils ont subi sans broncher les humiliations imposées par un tribun colérique qui entendait les réduire à la portion congrue. Les logiques d’appareil l’ont emporté. Au mépris de tout le reste. Démarche non seulement peu glorieuse mais de plus à l’efficacité douteuse, on le constate déjà aujourd’hui.  

La seconde faiblesse est plus grave car non seulement elle est source de divisions à venir, mais pire : promesse d’une incapacité future à gouverner. C’est à dire mener une politique cohérente et prendre les décisions qui s’imposent face aux défis qui nous attendent. Sur l’Europe, sur la politique étrangère, notamment au sujet de la ligne de conduite à suivre à l’égard de la Russie de Poutine et de l’Ukraine, tout oppose les socialistes et les écologistes à la France Insoumise. Sur le modèle républicain, la laïcité, l’intégration des populations issues de l’immigration, sur l’économie, que de divergences aujourd’hui mises sous le tapis. Il fallait être aveugle pour ne pas le voir ! 

Mais l’aveuglement ne date pas d’hier ! En effet, ce manque de lucidité était déjà perceptible dans les appels au vote utile avant le premier tour de la présidentielle. En acceptant de voter pour un homme avec lequel ils avaient de profonds désaccords, nombre d’électeurs de gauche lui ont, sans le savoir, donné un blanc-seing. Peu ou prou, ils se sont comportés comme des actionnaires tentés par l’appât du gain et apportant leurs actions d’une société à celui qui se livre à une OPA inamicale… Ils ont cru renouer avec l’espoir, ils n’auront fait que contribuer à l’effondrement du PS et d’EELV et retarder la nécessaire réflexion en vue de la rénovation de la gauche. Aujourd’hui, il va leur falloir boire le calice jusqu’à la lie, aller de divisions en désillusions avant que ne se mettent enfin au travail ceux qui auront pour ambition de concevoir un vrai projet de gauche social, universaliste, soucieux de la planète et  porteur d’un futur désirable pour tous. En attendant, nous serons contraints de continuer à compter : la gauche, combien de divisions ?

* Etrange image d’ailleurs si l’on se souvient que nombre de ces personnalités nous avaient habitués à les voir lever le poing, chanter ”l’Internationale” et ne pas ménager leurs critiques à l’égard de la France et de la République…

** Des propos qui lui ont valu une condamnation en Justice pour injure raciale… 

 

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