Les ”emmerdeurs” et le bien commun

Un Président ne devrait pas dire ça… On se souvient du titre du livre de deux journalistes du ”Monde” consacré aux confidences de François Hollande sur son quinquennat de François Hollande et qui a contribué, pour lui, à l’impossibilité de se représenter. On se souvient aussi du ”casse-toi, pauvre c…” lâché par Nicolas Sarkozy*. Il y a quelques jours, c’était au tour d’Emmanuel Macron de parler ”cash” avec des lecteurs d’un quotidien et d’affirmer qu’il voulait ”emmerder” nos compatriotes rétifs à la vaccination anti-covid. Ce faisant, il se situait dans la droite ligne de ses deux prédécesseurs et omettait qu’un langage aussi cru ne fait que rabaisser la fonction présidentielle. Au passage, il suscitait une polémique de plus dans une campagne qui n’avait pas vraiment besoin de ça. 

On peut, bien sûr, s’interroger sur l’attitude de ceux qui, ayant refusé la vaccination, se trouvent hospitalisés, en détresse respiratoire, et occupent des lits en réanimation. On peut s’indigner du fait que 5% d’entre eux disposent de faux pass-sanitaires, ce qui en fait des ”délinquants sanitaires”. Tout cela illustre au fond la déliquescence de la notion de bien commun qui a laissé place au chacun pour soi…

Ah, qu’il était beau, le temps du premier confinement ! Nous étions alors unanimes pour applaudir les soignants. Les rues étaient vides. Le silence régnait dans nos villes. Et, sous l’effet d’une sidération collective face à la première vague de la pandémie, avec les morts qui se succédaient, nous étions respectueux des règles ô combien contraignantes qui nous étaient imposées. Sauver des vies, désencombrer les hôpitaux, alléger la tâche de ceux qui se retrouvaient en ”première ligne”, tout cela nous apparaissait comme une évidence. C’était l’intérêt de la collectivité toute entière. 

Aujourd’hui, tout cela est oublié. Les gestes barrière sont négligés. Certains se croient plus malins que les autres ou y voient un geste de défi à l’autorité et abandonnent le port du masque lors de rassemblements** festifs ou cultuels. L’opposition militante à la vaccination*** est devenu un acte de rébellion contre le pouvoir. Tout cela au mépris des plus fragiles, de ceux qui souffrent de pathologies qui, combinées au Covid, peuvent les conduire aux portes de la mort. Ceux-là, ils n’en ont cure. Répétant de façon incantatoire le mot de liberté, ils sont persuadés pouvoir toujours s’en tirer parce qu’ils se croient plus forts que les autres. Mais au passage, ils contaminent, tombent malades, occupent des lits d’hôpitaux, privent de soins ou d’opérations des malades atteints d’autres pathologies et auxquels ils font perdre des chances de guérison et de survie. Leur attitude s’apparente ainsi à de la non-assistance à personnes en danger. Alors, comme Emmanuel Macron, nous sommes tentés de penser que les ”emmerdeurs”, ce sont eux. 

Pourtant, la phrase lancée par le Président de la République est loin de résoudre le problème. Pire, elle l’aggrave. En effet, loin de rappeler ce qu’est le bien commun, loin de tenter de convaincre, le Chef de l’Etat a traité la question en Père Fouettard. Et désigné les rétifs à la vindicte générale. A l’individualisme forcené des uns, il répond par des menaces. Des propos qui rendent inaudible tout appel à la responsabilité de chacun. Ainsi, quoi qu’il en pense, il contribue au délitement de la notion de bien commun en cette période à haut risque. Dans le même temps, les protocoles sanitaires à géométrie variable assénés chaque soir ou presque dans nos journaux télévisés rendent incompréhensible la bonne gestion de la pandémie et les comportements à adopter, en particulier pour les enfants et en milieu scolaire. Tout cela ne fait que rendre confuse la parole de nos gouvernants et, au bout du compte, la cantonnent à l’affirmation d’interdits et de sanctions.    

Au printemps 2020, nous dissertions à n’en plus finir sur les ondes et dans les colonnes de nos journaux sur ce que serait ”le monde d’après”. L’intérêt général était la priorité. Les mots d’entraide et de solidarité étaient à l’honneur. Aujourd’hui, ils semblent avoir déserté  notre vocabulaire. Quel désenchantement !..   

* Et nombre de ceux qui l’avaient défendu à l’époque ne mâchent pas leurs mots pour critiquer aujourd’hui les propos d’Emmanuel Macron. Mais passons…

** Dans combien de lieux de culte, des familles entières sont venues assister aux célébrations de Noël sans porter de masque ? Pourtant, se comporter ainsi ne leur serait pas venu à l’esprit dans les magasins où ils sont allés quelques jours plus tôt faire leurs achats pour les fêtes… 

*** Pourtant, chacun sait que la vaccination des enfants contre certaines maladies est obligatoire pour leur scolarisation, et rares sont ceux qui s’en offusquent. Oublie-t-on que c’est la vaccination qui a permis l’éradication de maladies telles que la variole ? 

 

Ce contenu a été publié dans Billets, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.