Démocratie en quête de dialogue

La séquence parlementaire qui s’achève ne fait pas honneur à notre démocratie ! Le recours à un artifice de procédure par le biais d’un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale ; un débat confisqué à la fois par les manoeuvres gouvernementales*, le dépôt de milliers d’amendements qui confine à l’obstruction et le recours permanent à l’insulte par les députés insoumis ; un texte qui, en définitive se trouve adopté alors même qu’il n’a pas fait l’objet d’un vote par l’Assemblée Nationale**… Et faute de dialogue avec les partenaires sociaux, faute d’un vrai dialogue au sein du Parlement, c’est désormais dans la rue, dans les piquets de grève, que s’expriment colère et frustration. Au point de rendre la situation explosive.

Peut-être fallait-il réformer notre système de retraites ? Ne serait-ce que pour tenir compte des réalités démographiques, du déséquilibre croissant entre actifs cotisants et retraités, et de l’allongement de la durée de la vie. Sans doute aurait-il fallu le faire autrement pour mieux prendre en compte les carrières longues, la pénibilité, les carrières hachées qui pénalisent les femmes, etc. Mais désormais, tout se passe comme si la question posée n’était plus celle de l’avenir de notre système de retraites : nous en sommes à la cristallisation de colères diffuses, d’incompréhensions permanentes, de cafouillages de communication qui aboutissent au seul rejet de la personne même du Président de la République. 

Je ne suis pas de ceux qui proclament depuis des mois, souvent même depuis son accession à l’Elysée en 2017, ”c’’est la faute à Macron”. Car enfin, ceux-là ont-ils oublié l’accumulation de faux pas, de trahisons, de dérives idéologiques, d’accommodements mortifères et de reniements dans leurs camps respectifs qui ont largement contribué à l’effondrement auquel nous assistons ? Et si la personnalité d’Emmanuel Macron a pu émerger en 2017, n’est-ce pas précisément en raison même de la déliquescence de leurs propres familles politiques***, parce qu’ils n’ont cessé de donner des coups de butoir à un édifice fragilisé au cours des quinquennats successifs de Nicolas Sarkozy et François Hollande ? 

Nous sommes donc arrivés au point ultime d’une crise démocratique qui ne date pas d’hier. Au-delà de la question du rapport entre le Président de la République et l’opinion, la seule question qui vaille est : comment en sortir ? Sommes nous condamnés à l’épreuve de force qu’appellent de leurs voeux les adeptes de la conflictualité ?

Il semblerait que le Président de la République s’en tienne – pour le moment – à une lecture toute institutionnelle de la situation. Et après tout, celle-ci lui donne raison : les députés ont pris leurs responsabilités en ne votant pas les motions de censure ; le projet gouvernemental est adopté ; le gouvernement n’est pas renversé. Il peut donc passer à autre chose et poursuivre son mandat comme si de rien n’était, sans dissolution ni recours au référendum, sans même remaniement ministériel. Tout cela en pariant sur l’essoufflement du mouvement de contestation et, inflation aidant, sur la lassitude de l’opinion. 

Sauf que, d’une part, ce pari est risqué car les violences de la rue peuvent être fatales pour une démocratie déjà fragilisée. D’autre part, le principe de réalité imposera tôt ou tard au chef de l’Etat de tenter de renouer avec l’opinion une relation mise à mal par une accumulation de maladresses, de déclarations inopportunes et d’obstination qui, au bout du compte donne l’impression d’une arrogance qui n’est pas de mise. 

La querelle en légitimité d’Emmanuel Macron à raison des voix qui lui étaient hostiles mais se sont reportées sur lui pour contrer Marine Le Pen n’a pas lieu d’être. Et l’on ne saurait la mesurer à l’aune des seuls électeurs qui avaient voté pour lui au premier tour. Rappelons en effet qu’à ce compte-là, peu de Présidents de la Vème République auraient acquis un brevet de légitimité. Il n’empêche : ce vote là ”l’oblige” comme il l’a lui même fait observer au soir de sa réélection. Il en résultait pour lui une ardente obligation : celle de faire du dialogue une méthode de gouvernement. Sa Première Ministre l’avait même annoncé dans son discours de politique générale. Mais en la matière, il a échoué autant par défaillance personnelle et incapacité de son gouvernement à la mettre en oeuvre que parce qu’ils se sont trouvés confrontés à des adversaires qui en refusaient l’idée même. Or pour dialoguer, il faut être deux…

Aujourd’hui, renouer les fils d’un dialogue républicain constitue la première urgence. Cela impose d’abandonner la culture de la confrontation pour rechercher des compromis. Cela implique aussi que chacun prenne enfin en compte l’idée que ses interlocuteurs, quels qu’ils soient, puissent être porteurs d’une vérité – fut-elle dérangeante pour ses propres certitudes. 

Compte-tenu de la logique de nos institutions, il revient au Président de la République d’en prendre l’initiative. Est-il prêt à le faire ? Pour que le dialogue s’engage, saura-t-il trouver les mots pour apaiser d’abord et convaincre ensuite de sa volonté de le mener à bien ? Et trouvera-t-il des interlocuteurs qui sauront abandonner leurs postures et l’invective et dépasser leurs intérêts partisans ? Il est des circonstances où chacun doit prendre ses responsabilités.

Emmanuel Macron est aujourd’hui au pied du mur. Mais il n’est pas le seul  !..       

* Parmi ces manoeuvres, citons le recours à l’article 47-1 de la Constitution limitant les débats à cinquante jours au total, dont vingt jours pour la première lecture à l’Assemblée Nationale, mais aussi la suppression de dizaines de sous-amendements au Sénat, ou encore l’accélération des débats à la Haute Assemblée en activant des points de règlement du Sénat.   

** La querelle autour du caractère anti-démocratique de l’article 49-3 de la Constitution est sans doute compréhensible mais mal venue pour deux raisons. D’une part cet article n’est autre qu’un appel à la prise de responsabilité par les députés : en censurant le gouvernement, ils s’exposent au risque de dissolution avec le retour toujours aléatoire devant les électeurs. D’autre part, n’oublions pas que sous la Vème République, c’est Michel Rocard, alors Premier ministre de François Mitterrand qui a eu le plus recours à cet article 49-3. Michel Rocard dont nul ne saurait remettre en cause la qualité de démocrate. 

*** Cette déliquescence se retrouve sur bien des sujets, notamment  celui des retraites. Les socialistes, par exemple, semblent avoir oublié aujourd’hui que les 43 annuités nécessaires pour une retraite à taux plein ont été imposées par la Loi Touraine adoptée par une Assemblée majoritairement socialiste sous le quinquennat de François Hoillande… Quant aux députés Républicains qui ont répugné à voter le projet de réforme ont-ils oublié que le projet de leur parti proposait de porter à 65 ans l’âge légal de départ à la retraite ? On a les cohérences qu’on peut ! 

 

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