Il nous faudra choisir…

Les mots et les images ne diront jamais la souffrance d’un peuple, les pleurs des enfants terrorisés sous le fracas des bombes, les larmes des femmes endeuillées. Ils ne diront jamais les vies brisées d’hommes mutilés ou la lente agonie de ceux qui, dans la nuit glacée, savent qu’aucun secours ne viendra apaiser leurs souffrances. Ils ne diront jamais les flots de sang, l’odeur des charniers, les corps disloqués, la poussière et la cendre qui retombent comme des linceuls lorsque se taisent les canons et les sirènes. 

Quelle que soit l’audace des reporters qui, au risque de leur vie, vont au plus près des combats, ce que nous saurons de la guerre est bien loin de sa réalité. Parce que nous la regardons dans le confort douillet de nos salons avec un toit au dessus de nos têtes, derrière des murs qu’aucun obus n’est venu éventrer. Parce nous la lisons dans nos journaux, tranquillement assis à la terrasse d’un bistrot ou calés dans un fauteuil sans risque d’être saisis par le froid, sans crainte pour nos vies et celle de nos proches. 

Voilà douze mois que la guerre fait partie de notre quotidien. Elle est là bouleversant des vies, transformant les uns en héros qui s’ignoraient, d’autres en survivants qui tentent de faire leur devoir,  et d’autres enfin en salauds et en assassins. Elle est là qui forge l’âme d’une nation et lui permet de trouver au-delà de son épuisement des raisons d’espérer.  Et, dans le même temps, elle avilit le pays qui la mène, entrainé par la folie meurtrière d’un homme qu’obsède une grandeur disparue. 

On peut gloser à l’infini sur les responsabilités des uns et des autres dans le déclenchement de ce conflit. On peut remonter à la chute de l’empire soviétique. On peut accuser de bien des fautes l’impérialisme américain, l’OTAN, nos démocraties occidentales, l’Union européenne même, mais enfin, soyons sérieux ! Les Polonais, les Tchèques ou les habitants des républiques Baltes gardent dans leur chair la mémoire du totalitarisme russe qui s’est imposé à eux des décennies durant. Ce qui les a conduits, sitôt libérés du joug soviétique, à rechercher dans l’adhésion à l’OTAN, la protection des USA. Les Ukrainiens eux-mêmes gardent la mémoire de la grande famine orchestrée par Staline et qui fit plusieurs millions de morts. Ce qui les conduisit à accueillir sans trop de réticence les troupes allemandes  en 1941, d’où la rhétorique de Poutine sur la ”dénazification” de l’Ukraine. Alors, qui menace qui ? 

La guerre est là, avec ses responsabilités entre-mêlées, avec la certitude des uns et des autres d’appartenir au ”camp du bien”, tandis que la vérité se loge dans les zones grises de l’Histoire que seuls le temps et le travail des historiens permettront de démêler. Pour autant, que nous le voulions ou non, cette guerre nous contraint tôt ou tard à choisir. Choisir entre la démocratie et la dictature. Choisir entre l’état de droit et la loi du plus fort. Choisir entre la vérité et le mensonge. 

Oui, l’Ukraine ne saurait être parée de toutes les vertus. Mais ce pays a choisi tout à la fois le camp de la démocratie et le rapprochement avec l’Europe occidentale. Deux décisions qui ont suffi à provoquer la fureur du maître du Kremlin. 

Face à l’Ukraine, la Russie est un état totalitaire, tenu par une caste corrompue, dirigé d’une main de fer par un autocrate paranoïaque pour lequel la vie humaine est tenue pour quantité négligeable. Un état dans lequel les droits humains les plus élémentaires sont bafoués, où la liberté de la presse et la liberté d’expression sont niées. Un état enfin où seule compte la force, autorisant une violence qu’aucune règle ne vient encadrer, qu’aucun contrôle ne peut limiter. 

Le peuple russe, soumis à la seule volonté du maître du Kremlin, ne parvient pas à se défaire du joug d’un état omniprésent. Ce n’est pas lui faire injure que de faire ce constat. Pas plus que de faire observer qu’il n’a pas tiré les leçons de sa propre histoire, préférant rejeter dans l’oubli les combats de Soljenitsyne et de Sakharov, et les millions de morts du Goulag.

Bien évidemment, la guerre est aussi affaire de communication. Et la propagande s’y entend à merveille pour permettre à un ancien comédien devenu chef de guerre de galvaniser son peuple et d’électriser les aréopages de tous ordres et de toutes nations devant lesquels il intervient régulièrement en visioconférence. Pour autant, si l’on émet quelques réserves à son endroit, cela doit-il nous faire oublier les affabulations du maître du  Kremlin ? Cela doit-il nous faire oublier que le mensonge est devenu le mode de gouvernement de Moscou ? Que ce sont le plus souvent des officines russes tenues par des oligarques proches de Poutine qui répandent des ”vérités alternatives” sur les réseaux sociaux, dans le but de faire basculer les opinions publiques occidentales ?   

Alors oui, impossible de renvoyer dos à dos l’agresseur et l’agressé, la Russie et l’Ukraine. Oui, entre la démocratie et la dictature, mon choix est fait ! Entre une nation qui entend prendre en mains son destin et un pays qui ne respecte pas l’état de droit et foule aux pieds les traités qu’il a signés, mon choix est fait ! Entre la vérité et le mensonge, mon choix est fait !

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