Prenons garde au feu qui couve sous la cendre…

Sommes nous confrontés à un sinistre qui ressemble à un incendie de forêt ? Une fois le brasier éteint, les pompiers veillent des jours durant pour éviter de nouveaux départs de feu. Ils savent que le plus grand danger provient de ces braises souterraines qui se propagent de racines en racines, couvent sous la cendre avant de ressurgir plus loin à la faveur d’un trou de terrier, de brindilles, de la proximité de broussailles faisant renaître des flammes attisées et projetées au loin par un vent mauvais. Sommes-nous, de la même manière, sous la menace d’un embrasement général ?

Les échéances sont passées. Malgré l’opposition d’une majorité de Français, les manifestations nombreuses, les violences qui les ont accompagnées, la loi portant réforme des retraites est, pour l’essentiel, validée et a été promulguée. L’incendie serait donc éteint et nous sommes invités à passer à autre chose. Mais c’est sans compter avec le feu qui couve sous les cendres. Le mécontentement, l’absence de considération, la désespérance sociale que renforcent les difficultés liées à l’inflation et l’inquiétude du lendemain sont autant de braises que recouvrent à peine des cendres encore chaudes

Dans notre démocratie, le respect de la légalité républicaine impose de se soumettre à la loi dès lors que celle-ci a été adoptée, reconnue conforme à la Constitution et promulguée. Cependant en démocratie, les symboles comptent autant que la légalité. Et en matière de symboles, force est de reconnaître que nos gouvernants ont accumulé des faux-pas qui ajoutés les uns aux autres, produisent un carburant hautement inflammable.

Symbole que l’âge de 64 ans autour duquel se sont cristallisées les oppositions lorsque la Première Ministre a annoncé que cela ne serait pas négociable alors même qu’elle avait précédemment affirmé qu’il n’y aurait aucun tabou ! Symbole que le procédé visant à utiliser une loi de Finances rectificative de la Sécurité Sociale donnant ainsi l’impression que sur un sujet éminemment sensible*, un artifice de procédure pouvait régler rapidement la question ! Symbole encore ce cafouillage navrant sur les pensions minimales à 1200 Euros pour s’apercevoir in fine qu’un nombre réduit de retraités était concerné. Symbole toujours avec ce recours à l’article 49-3 de la Constitution qui, bien que conforme aux règles de nos institutions, aboutissait à l’adoption sans vote, faute de majorité, d’un texte pour le moins controversé. Symbole enfin que cette promulgation en milieu de nuit car si nul ne peut faire le reproche à Emmanuel Macron d’avoir voulu régler rapidement la question et de l’avoir fait seul (cette prérogative revient au seul chef de l’Etat), l’opération semblant menée en douce fait pour le moins mauvais effet !

Ne revenons pas sur la nécessité ou non de procéder à une réforme de notre système de retraite. Retenons seulement la méthode employée. Nos gouvernants ont cru que sur un tel sujet, il pouvait se contenter de respecter la logique des institutions. Et faute d’avoir au préalable établi les conditions d’un véritable dialogue social, ils se sont contentés d’une confrontation au Parlement avec des oppositions disparates et sans véritable contre-projet. Peut-être même ont-ils cru que les insultes et l’indignité du comportement des députés insoumis allaient leur donner le beau rôle ! Quelle naïveté ! Si ceux-ci se sont durablement discrédités, nos gouvernants n’en ont aucunement tiré parti.

Puisqu’un véritable dialogue n’avait lieu ni avec les partenaires sociaux ni au Parlement, la défaite de la démocratie était actée. Pour débattre, ne restaient alors plus que la sphère médiatique, les réseaux sociaux et la rue. Lieux privilégiés de tous les simplismes et de toutes les contre-vérités, de toutes les approximations et de tous les débordements. La machine infernale était lancée se nourrissant quotidiennement de polémiques sur l’emploi des seniors et les carrières longues, la prise en compte de la pénibilité, les injustices faites aux femmes ou les pensions minimales… Tout cela accompagné de témoignages distillant la dose d’émotion permettant à chacun de s’identifier comme victime potentielle d’une injustice à venir. En période d’inflation galopante, une nouvelle angoisse s’est ajoutée à celle des fins de mois difficiles…

Au final, le gouvernement peut se donner l’impression d’avoir remporté la partie. Victoire à la Pyrrhus puisqu’en réalité il n’y a que des perdants. Perdant, le gouvernement qui a raté l’occasion de mettre en oeuvre une manière de réformer qui puisse enfin couper l’herbe sous les pieds de ses adversaires les plus résolus. Perdantes les oppositions qui ont révélé à droite comme à gauche, leur incapacité à développer des contre-propositions susceptibles de convaincre au moins une large part de l’opinion et à faire entendre la voix de la raison. Perdants, nombre de nos concitoyens qui sortent de cette séquence politique convaincus qu’ils sont les dindons de la farce et qu’ils n’ont plus rien à attendre ni de ce gouvernement ni de nos institutions. Perdante enfin et surtout notre démocratie parlementaire qui a connu à cette occasion des ébranlements, agressions et menaces que l’on croyait d’un autre âge**

Le désenchantement  a laissé place au ressentiment et à la haine. Les plus dangereux car les plus explosifs des carburants politiques. Alors, oui, prenons garde au feu qui couve sous la cendre…

*Nos gouvernants avaient-ils oublié que pour le même motif, la France s’est retrouvée à l’arrêt deux mois durant à l’automne 1995 ?

** A Paris et à l’extérieur de nos frontières, les adeptes des ”démocraties illibérales” et les représentants des régimes autoritaires ont observé goguenards le spectacle de nos débats parlementaires… 

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