Les cœurs de pierre, les cyniques et les autres…

La photo fait scandale. Elle est blanche, lui est noir. Elle est bénévole à la Croix Rouge espagnole, lui est Sénégalais. Il a affronté les périls du désert et de la mer pour parvenir aux portes de l’Europe. Son visage dit son épuisement et sa détresse. Il a posé sa tête sur son épaule et elle le réconforte. Depuis, cette photo a valu à la jeune femme un flot d’insultes et de haine.

La pérégrination du jeune homme n’est pas terminée. De centre d’accueil en camp de transit, en attente d’une improbable autorisation à se rendre dans l’un des pays de l’Union, il sera sans doute conduit à reprendre son errance entre méandres administratifs, clandestinité et peut-être retour à la case départ. De son côté, elle est désormais contrainte à une nouvelle forme de clandestinité puisque pour échapper au harcèlement dont elle a été l’objet, elle a dû quitter les réseaux sociaux, fermer ses propres comptes, disparaître pour retrouver un peu de tranquillité.

Un tel débordement de haine est l’œuvre des lâches. Faute de pouvoir influer sur des politiques impuissants à résoudre la question migratoire de part et d’autre de la Méditerranée, les cœurs de pierre s’en prennent à une bénévole de la Croix Rouge. Comme si c’était à elle d’assumer la responsabilité du traitement de cette question. Or, n’en déplaise à tous ceux qui considèrent que les humanitaires sont, soit coupables de complicité avec les passeurs, soit des naïfs dans un monde de bisounours, ils ont une mission essentielle : mettre de l’humain là où l’humanité semble avoir déserté. Et c’est précisément ce qu’a fait cette bénévole de la Croix Rouge : un geste de compassion pour un homme à bout de forces qui venait d’aborder le rivage de notre Europe ; un geste qui nous rappelle à notre commune humanité.

Ne soyons pas dupes. Le flot de migrants qui a quitté le Maroc pour rejoindre la terre espagnole n’est pas là par hasard. En facilitant leur passage, le Maroc nous a rappelé qu’il n’y a pas que la Turquie, la Tunisie et la Lybie qui voient transiter sur leurs terres des migrants en quête d’un aller simple vers l’eldorado européen. Ne négligeons pas non plus sa revendication territoriale sur les enclaves de Ceuta et Melilla, ultimes vestiges de l’empire colonial espagnol arrimés au continent africain.

Ne soyons pas dupes non plus de l’instrumentalisation d’une image dans laquelle certains pourraient voir comme un encouragement pour tous les candidats au voyage, des faubourgs de Dakar à ceux de Yaoundé, de Ouagadougou à Abidjan. Mais s’insurger contre un geste de compassion, c’est demander aux humanitaires de se comporter en auxiliaires des services administratifs qui, comme leur nom l’indique, administrent les dossiers des candidats à l’immigration, souvent de manière désincarnée. C’est leur demander de renoncer à ce qui est leur raison d’être.

Au surplus, si nous considérons que le Maroc fait preuve de cynisme dans cette affaire, comment qualifier l’attitude de l’Europe ? Comment qualifier par exemple ce rapport au Parlement européen qui considère les flux de migrants comme un « réservoir de main d’œuvre » pour une Europe en déclin démographique ? Et puisque les mots d’intégration, et pire encore d’assimilation sont aujourd’hui bannis puisqu’ils déplaisent à certains, comment qualifier le langage de ces nouveaux négriers en quête d’une nouvelle traite humaine relookée à la mode technocratique de 2021 pour la rendre plus acceptable ?..

Loin des cyniques et des cœurs de pierre, malgré les sarcasmes et la haine, il y a des bénévoles qui savent ce qu’est tendre une main et apporter du réconfort. Ils nous rappellent ce que veulent dire les mots de fraternité, de dignité, d’humanité. Grâces leur soit rendues !

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