Brèves de comptoirs et monde d’après…

Il y a des événements qui méritent des directs, des envoyés spéciaux, des heures d’antenne, des interviews de témoins ou de spécialistes et autres consultants dûment sollicités… Nous n’imaginions pas qu’en ce 19 mai, les chaînes d’information, grands médias, et quotidiens les plus sérieux à l’instar du « Monde », iraient jusqu’à nous offrir des directs depuis les terrasses de bistrots. Ainsi, à condition de savoir lever le coude devant une caméra pour siroter son café ou un demi de bière chacun de nous peut devenir un expert ès-retour à la vie normale ! A chacun son quart d’heure d’antenne, son instant de célébrité à condition de savoir résumer en quelques mots les plus navrantes banalités sur le bonheur du café du matin en terrasse sous un soleil printanier…

Oh, bien sûr, il nous tardait de retrouver les espaces et les moments de convivialité dont nous étions privés depuis des mois. Et cette absence suscitait suffisamment de déprime chez nos contemporains pour ne pas bouder le plaisir de cette petite liberté enfin retrouvée.

Bien sûr aussi, nous l’avions oublié, au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 qui avaient visé le Bataclan et quelques terrasses de bistrots, nous affirmions haut et fort que cela faisait partie d’un mode de vie à préserver. Jusqu’à prétendre que s’accouder au zinc d’un bar devenait un acte de résistance face au terrorisme.

Mais faut-il que la pandémie nous ait fait perdre notre bon sens pour que nous nous laissions aller à ces manifestations de nombrilisme de ce 19 mai ? Faut-il que nous n’ayons d’autre préoccupation que de partager nos états d’âme et nos petits plaisirs du quotidien pour donner une telle importance à ce qui est somme toute bien dérisoire, pour en faire un spectacle justifiant d’interminables minutes d’antenne ?

Pendant ce temps-là, des enfants, des femmes, des vieillards meurent sous les bombes dans la Bande de Gaza ou en Israël. Depuis le temps, nous nous sommes tellement habitués aux déchirements des peuples qui y vivent que nous arrêtons à peine devant la sinistre comptabilité quotidienne de leurs victimes.

Pendant ce temps-là, les eaux de la Méditerranée se referment et les vagues emportent avec elles les visages de ceux qui avaient entamé un grand voyage dans le seul espoir d’une vie meilleure. Qui dira la somme de souffrances endurées, les appels déchirants, les larmes de ces damnés de la terre ? Pas de direct pour ceux-là, pas plus que pour tant d’autres passés sous silence : nos médias ont d’autres priorités. Face aux tragédies de notre temps, ils ont préféré ériger nos brèves de comptoir en oracles du monde d’après…

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