Dernière tentative avant naufrage ?

Et si derrière le sort du projet de réforme des retraites, se profilaient d’autres enjeux jusque-là rarement évoqués ? Et pourtant déterminants quant à l’avenir de notre pays.

Le premier concerne Emmanuel Macron lui-même. Avant qu’il ne soit élu, j’avais écrit sur ce blog en avril 2017 qu’il n’avait « pas le droit à l’erreur ». Après la crise des « gilets jaunes », incendie mal éteint dont les braises couvent encore sous la cendre, l’épisode de la réforme des retraites laisse songeur tant on y observe de maladresses et de confusions génératrices d’angoisses. Or, ici, chaque erreur se paie au prix fort tant elle est exploitée (ce qui était prévisible !) par des opposants qui y ajoutent une belle dose de mauvaise foi et des fausses informations. Sur ce terreau, une opinion en mal de confiance et déboussolée, regarde avec bienveillance un mouvement social à bien des égards contraire à ses intérêts, et laisse faire les adeptes du conflit et les tenants du jusqu’au-boutisme.

Force est aussi de constater que la haine savamment orchestrée par quelques uns, et entretenue par beaucoup, tirant argument d’attitudes et de propos arrogants, est devenue l’un des moteurs de la tension dans laquelle nous vivons. Emmanuel Macron semble à ce point détesté par une partie de l’opinion, tant à droite qu’à gauche, que l’on parvient difficilement à discerner ce qui serait susceptible de faire revenir d’ici 2022 les ingrédients du succès : la curiosité bienveillante et parfois même l’enthousiasme que sa candidature avait suscités en 2016-2017. Et peu importe que cette haine soit agitée par des opposants de droite ou de gauche à la mémoire courte : en particulier ceux qui lui reprochent des fautes et des insuffisances dont leur propre camp n’a pas été exempt lorsqu’il exerçait le pouvoir…

Enfin, il n’aura échappé à personne qu’élu sur un programme marqué notamment par le refus des corporatismes, Emmanuel Macron butte sur l’obstination d’une corporation dont la capacité de nuisance n’a d’égale que sa difficulté à envisager l’intérêt général sous un autre angle que le sien. Au-delà, d’autres corporations se sont agrégées à ce mouvement pour des raisons sinon justifiées, du moins compréhensibles. Si échec il devait y avoir, la capacité réformatrice du Président de la République (promesse sur laquelle il a été élu), en serait profondément altérée. Il rejoindrait ainsi Jacques Chirac dont Nicolas Sarkozy avait fustigé l’immobilisme, et François Hollande qui n’aura été que le commentateur navré de sa propre impuissance.

Bien sûr, le sort de la personne Emmanuel Macron n’a que peu d’importance. Sauf que cette situation survient dans un contexte politique singulier. Dans les rangs de la droite républicaine, s’ébauche une tentative de reconstruction qui est loin d’être achevée. On cherche encore les idées fortes sur lesquelles s’appuyer pour prétendre sinon reconquérir le pouvoir, du moins redevenir un acteur incontournable du jeu politique. A gauche, le PS ne semble pas vraiment sorti de son état de mort cérébrale. Au final, les deux grands partis qui ont dirigé la France durant des décennies se contentent aujourd’hui de crier avec les mécontents sans que l’on puisse parvenir à distinguer clairement ce qui fait leur singularité.

Face à ce vide sidérant, seuls demeurent les populistes de la France Insoumise et leurs alter-ego du parti de Mme le Pen. Les uns et les autres jouent la stratégie de la tension. Jean-Luc Mélanchon (qui a même osé décerner voilà quelques jours un brevet d’humanisme à Marine Le Pen !), a perdu le match des élections européennes face à cette dernière. Il persiste pourtant dans une stratégie qui sert le parti de la droite extrême, qui revendique sa proximité avec les gouvernements d’Europe de l’Est se qualifiant d’illibéraux et qui s’affranchissent de manière constante des règles du droit et de la démocratie. Pas étonnant que Marine Le Pen reste discrète : la crise des « gilets jaunes » a renforcé son poids dans les territoires ruraux, ce dont elle pourrait tirer parti lors des municipales et lui facilitera la tâche d’ici deux ans. Désormais, la grogne sociale tous azimuts conforte son discours d’hostilité à une forme de libéralisme * mal comprise mais vouée aux gémonies par nombre de nos concitoyens qui y voient l’origine de tous leurs maux. Bref, tout cela ne fait que la servir…

Ainsi, en l’absence d’autres acteurs qui ne jouent pour le moment que des rôles secondaires, la nouvelle configuration du paysage politique s’articule autour de deux blocs. D’une part une droite extrême et populiste qui, sans avoir pour autant tiré toutes les leçons de son échec en 2017, ne cesse de profiter de la situation. D’autre part, le parti d’Emmanuel Macron qui est passé bien vite d’une position dominante à celle de forteresse assiégée et saisie par le doute.

Au-delà de l’avenir d’Emmanuel Macron, qui risque de sortir si affaibli de cette crise qu’il pourrait se retrouver dans la même situation que son prédécesseur (c’est à dire empêché de se représenter), c’est l’avenir même d’une forme de démocratie sociale-libérale ou encore de social-démocratie qui est en question. Le fait qu’Edouard Philippe soit, en réalité, un héritier de Michel Rocard situe bien cet enjeu. Après les échecs de la droite républicaine et de la gauche socialiste, celui de la tentative de 3ème voie ouverte par Emmanuel Macron laisserait le champ libre à l’affrontement entre des populismes. Ou à leur alliance objective**, que celle-ci soit ou non explicite…

C’est sans doute là le pire qui puisse nous arriver. Ainsi, l’élection d’Emmanuel Macron n’aura été que l’ultime tentative désespérée de sauver un système qui, depuis des décennies, prend eau de toute part. L’addiction aux déficits publics d’un Etat hypertrophié et incapable de se réformer, la déconnexion entre les administrations centrales et la réalité de la vie économique et sociale de notre pays, l’excès des normes, les territoires laissés à l’abandon, un système de santé exsangue***, l’autoritarisme de gouvernants qui trouve son expression dans la violence policière et, en face, des forteresses syndicales qui n’ont de la solidarité qu’une vision étriquée, voilà quelques-uns des maux (liste non exhaustive !) qui, aujourd’hui, rongent notre pays et ne trouvent toujours pas de remède.

Le pire n’est pas certain. Pour autant, cette semaine, nous nous sommes rapprochés d’une zone de danger car l’état de guerre civile larvée que nous connaissons depuis quelques mois a mis notre pays sous tension. Et faute d’apaisement la tourmente, politique hier, sociale aujourd’hui, pourrait bien, à plus ou moins brève échéance, ruiner notre édifice démocratique.

* Observons au passage le paradoxe que constitue en l’espèce l’accusation de libéralisme alors même que le projet de réforme des retraites vise à étatiser l’ensemble du système et à réduire de fait la marge de manœuvre des partenaires sociaux…

** Souvenons nous qu’entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélanchon avait eu toutes les peines du monde à donner une consigne de votre contre Marine Le Pen…

*** La crise des services d’urgence, l’état catastrophique de nos hôpitaux vont de pair avec l’incapacité à adapter le numerus clausus médical aux besoins de la population tandis que s’opérait un changement de comportement des médecins de ville. Tout cela alors que s’applique désormais une vision essentiellement comptable de nos dépenses de santé…

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