La bagnole par qui le scandale arrive…

La révolte des « gilets jaunes » en dit long sur les fractures de notre société. Et nous aurions tort de ne prêter attention qu’à la manière dont le Président de la République et le gouvernement vont y apporter des réponses immédiates. Bien sûr, l’intérêt du pouvoir est de limiter les dégâts, c’est à dire réduire la mobilisation des mécontents et éviter que le pays ne soit paralysé par des blocages et des opérations escargot qui se traduiront par des embouteillages, de la grogne… et une pollution supplémentaire. D’un point de vue politique, cela signifie aussi éviter la récupération de ce mouvement et la constitution d’un front commun au profit de ceux qui l’ont encouragé…

Car ce ras-le-bol fiscal sur le prix des carburants survient après la polémique sur la limitation de vitesse à 80km/h et au moment de l’annonce de l’interdiction de circuler dans les communes du Grand Paris pour les véhicules anciens et polluants. Or, toutes ces mesures frappent, plus que d’autres, certaines catégories de population, toujours les mêmes : les ruraux ou ceux que leurs moyens contraignent à habiter loin de leur lieu de travail ; ceux qui n’ont pas les moyens de changer de véhicule car il leur faudrait pour cela débourser 15 000 à 20 000 Euros ; ceux qui ne bénéficient pas des transports en commun faute d’habiter dans des zones à forte densité de population. Cerise sur le gâteau : il leur est maintenant interdit d’accéder à des territoires réservés à ceux qui, à leurs yeux, bénéficient déjà de tout ce dont ils sont eux-mêmes privés. Comment pourraient-ils ne pas se sentir condamnés à une triple peine ?

Ainsi, la voiture sans laquelle ils ne peuvent se rendre à leur travail, faire leurs courses, conduire les enfants à des activités sportives ou culturelles devient-elle le point de fixation de tous leurs ressentiments. Et ce ne sont pas des primes accordées aux uns, des allègements de charges ou des aides octroyés aux autres qui résoudront le problème. Car le mal est plus profond.

Nous sommes, en effet au cœur des contradictions de notre société. Celles-là même qui ont conduit Nicolas Hulot à quitter le gouvernement. En même temps, nous voulons réduire la fracture sociale et combattre le réchauffement climatique et la pollution. Or, pour atteindre ce dernier objectif, nous n’avons pour le moment pas trouvé d’autre solution que de taxer toujours davantage les carburants ou interdire la circulation à certains véhicules. Des mesures qui, au final, ne font qu’aggraver la fracture entre habitants des grandes villes et ceux des périphéries, entre ceux qui bénéficient d’une certaine aisance et ceux qui peinent à joindre les deux bouts. Si au moins la taxation des carburants était cohérente, nous pourrions comprendre, mais les taxes sur le diesel augmentent tandis que celles qui visent l’essence ne diminuent pas pour autant. Si au moins, nous avions engagé un plan de long terme d’incitation au changement de modèle de véhicule après avoir durant des décennies encouragé le diesel, mais il n’en est rien. De plus, nous pouvons sérieusement mettre en doute les incitations au développement des véhicules électriques sachant leurs besoins en métaux rares, sources de nouvelles pollutions et causes de conflits armés dans les pays qui disposent de cette ressource…

Alors, équation impossible à résoudre ? Nous subissons là l’héritage de décennies d’un mode de développement et d’un individualisme qui nous piègent durablement. Illusion de la croissance, villages dortoirs et étalement urbain, insuffisance des moyens de transport collectifs et primauté accordée à l’automobile, etc.  Nous avons cru que ce modèle pourrait perdurer. Sauf à se résigner à de futures catastrophes environnementales, ce n’est plus le cas ; il faut donc nous engager sur la voie d’un changement de paradigme. Plus facile à dire qu’à faire d’autant que la sobriété vers laquelle nous devrions tendre ne peut être perçue par ceux qui sont les plus fragiles que comme une forme d’austérité supplémentaire qui leur serait imposée. Il est donc urgent que le politique sache dessiner les contours d’un futur qui puisse répondre à leurs attentes.

Nous n’avions pas retenu la leçon du ratage de l’écotaxe à la suite des la révolte des « bonnets rouges ». Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait alors capitulé sans trouver de solution alternative satisfaisante. Les portiques inutiles qui demeurent le long de nos routes en sont un constant rappel. Et encore faut-il se rappeler que seuls les camions étaient alors visés ! Aujourd’hui, c’est la voiture individuelle qui est au cœur du problème. Les mesures de court terme ne le résoudront en rien. Et tant que de nouvelles voies n’auront pas été ouvertes, avec des « gilets jaunes » ou sans, la bagnole restera pour longtemps celle par qui le scandale arrive…

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