Leçon brésilienne

Avons-nous entendu le cri d’alarme que nous lance le Brésil ? Avons-nous retenu les leçons d’une faillite démocratique qui aboutit à une aventure à haut risque ? Nous pourrons toujours tenter de nous rassurer en faisant appel à notre tradition républicaine, nous pourrons toujours prétendre être un vieux pays qui a connu les guerres et l’occupation, ou encore affirmer qu’au pays de Voltaire et de Victor Hugo cela ne nous arrivera pas. Il n’empêche : nul ne peut assurer que nous serions définitivement vaccinés contre de telles dérives.

Le séisme électoral de 2017 aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Bien des ingrédients étaient déjà réunis : les affaires financières mettant en cause tel ou tel candidat avec leur cortège de péripéties judiciaires ; l’échec des politiques conduites par la droite républicaine comme par la gauche social-démocrate ou encore l’accumulation de promesses non tenues. Autant de signes annonciateurs d’un naufrage politique. S’y ajoutent la persistance d’un chômage structurel de masse, les menaces pesant sur notre système de protection sociale, la violence qui s’installe dans certains quartiers, l’impossible intégration culturelle de populations d’immigration récente, qui donnent aux catégories les plus fragiles l’impression d’être abandonnés de tous. Tout concourt à une sorte de délitement de l’esprit républicain face auquel nos dirigeants font aveu d’impuissance…

Le Brésil apparaît comme la synthèse puissance 10 de tous ces maux. Comme si la taille du pays amplifiait à l’extrême les problèmes posés. Il aura suffi d’une génération pour faire oublier à ses habitants la réalité qu’ils avaient vécue durant les vingt et une années de la dictature militaire, la torture et la mort érigées en mode de gouvernement de 1964 à 1985. Il aura suffi que dans le paysage dévasté de la vie politique brésilienne émerge un candidat sans scrupule, que celui-ci tienne un discours décomplexé pour que tout soit balayé sur son passage. Et pour qu’au soir de sa victoire les militaires sortent de leur caserne pour manifester leur joie, comme s’ils prenaient enfin leur revanche 33 ans après la fin de leur pouvoir sans partage…

Chez nous, voici un an et demi, tout cela s’est conclu – pour le moment – par l’élection d’un candidat hors norme, et la prise de pouvoir par une génération nouvelle qui bâtit son projet autour d’une volonté réformiste résolument inscrite dans l’espace européen. Comme à contre-courant des tendances que l’on observe, hélas, un peu partout sur notre continent.

Mais la leçon brésilienne nous apprend que la démocratie n’est pas un acquis sur lequel nous pourrions nous endormir. Elle nous apprend que les discours de haine, répétés à l’envi dans une société fracturée et profondément inégalitaire peuvent libérer les pulsions totalitaires. D’autant plus qu’ils bénéficient de la caisse de résonnance des médias et des réseaux sociaux. Elle nous apprend que tous les manquements à l’éthique d’une classe dirigeante se payent au prix fort. Elle nous apprend que l’échec des politiques libère l’envie de solutions jamais essayées…

Aujourd’hui, il reste aux Brésiliens leurs institutions et les contre-pouvoirs que la démocratie a su mettre en place. Il reste aux forces brésiliennes modérées à faire preuve de lucidité dans l’examen de leurs fautes passées et à montrer une grande exigence dans la manière d’y porter remède. Il reste au peuple brésilien à faire preuve de vigilance pour contrecarrer les violations du droit auxquelles tenterait de se livrer le Président élu.

En France, il reste au gouvernement et au Président élu en 2017 à faire preuve de leur efficacité dans les réponses à apporter aux maux de notre société. Il reste aux forces démocratiques à faire preuve d’une exigence éthique plus grande que par le passé. Il reste à tous à faire preuve de lucidité. Et de vigilance pour combattre partout et sans faiblir les discours de haine qui donnent aux esprits faibles lun sentiment de toute-puissance et qui libèrent leurs pulsions.

Plus que jamais lucidité et vigilance s’imposent, car qui donc pourrait avoir une confiance aveugle en notre avenir démocratique ? Après tout, n’oublions pas que le pays de Voltaire, de Diderot et des Lumières est celui qui a basculé dans la Terreur, qui a massacré des hommes, des femmes et des enfants, notamment parce qu’ils avaient le tort d’être nés dans une famille noble ou en Vendée. N’oublions pas que de 1940 à 1944, ce pays vaincu et découragé s’est laissé aller à la collaboration, jusqu’à adopter de sa propre initiative des mesures anti-juives qui n’avaient pas encore été réclamées par l’occupant. N’oublions pas qu’au cours de cette période, pour une population de 40 millions de Français, l’occupant et la police ont enregistré pas moins de 4 millions de dénonciations visant Juifs, francs-maçons, communistes, résistants ou réfractaires au STO. Parfois par simple jalousie entre voisins… Une pratique de la délation à grande échelle qui, conduisait vers les camps, la torture et la mort.

Là, comme au Brésil, la haine a prospéré sur le terreau de l’échec. Et lorsque la haine se libère, le pire devient possible.

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