« Name & shame » ou Fouquier-Tinville à l’heure des réseaux sociaux…

Comment conçoit-on le débat démocratique ? Jusqu’à présent, dans le cadre de nos institutions républicaines, il consistait à rechercher les moyens de remédier à un problème posé, établir un diagnostic, échanger des arguments autour de projets ou de propositions de lois, esquisser des solutions en proposant des amendements, peser le pour et le contre de chacune des dispositions au regard des textes existants et des besoins exprimés et à voter. La loi de la démocratie impose de respecter ceux qui émettent un avis et des choix différents, ce qui n’enlève rien au droit à la critique. Or, il semble que, depuis le 11 octobre dernier, ce temps soit révolu.

Ce jour-là, en effet, le député François Ruffin prend à parti les députés qui ont rejeté une proposition de loi d’un de leurs collègues portant sur l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap. Il ne s’agit pas ici de débattre du bien-fondé de cette proposition* ; ni de se contenter de la création de près de 12 000 emplois d’AESH (Accompagnants des élèves en situation de handicap ) en 2018 et 12 400 prévus en 2019, car cela reste encore insuffisant au regard de besoins en la matière.

La question qu’il faut clairement poser est celle du recours à la technique du « name & shame ». En appelant l’opprobre publique sur ceux qui n’ont pas voté cette proposition de loi et dont il a livré les noms en pâture à l’opinion, François Ruffin visait à bousculer les codes de bienséance de la vie parlementaire pour peser sur les décisions des élus en les mettant face à leurs responsabilités. Un objectif qui pourrait sembler salutaire à certains égards.

Le problème, et François Ruffin qui est passé maître en la matière le sait mieux que quiconque, c’est que tout cela passe à la trappe la complexité des données relatives aux situations de handicap en milieu scolaire. Cela réduit à des alternatives simplistes les votes de nos élus, oubliant le travail qui les précède. Cela laisse supposer qu’il suffit de dire « yaka » ou de crier « faut qu’on.. » pour apporter une solution à des situations difficiles et douloureuses pour les familles, ce qui est illusoire.

Le problème, c’est que cette technique du « name & shame » dépasse, et de loin, l’objectif initial. La honte est balayée, et c’est la haine qui l’emporte. Des milliers de messages d’une rare violence sont ainsi arrivés sur les messageries des parlementaires désignés à la vindicte, ceux-ci étant nécessairement considérés comme des « salauds ». Comment aurait-il pu en être autrement d’ailleurs, la réactivité des réseaux sociaux et la caisse de résonnance médiatique ayant joué à plein ? Alors, François Ruffin se serait-il servi cyniquement de l’émotion qu’il savait susciter sur ce sujet sensible pour faire un coup de communication politique derrière lequel se cachent de réelles menaces pour notre démocratie ?

En effet, l’emploi répété de cette technique induit que sur des sujets susceptibles de susciter l’émotion de l’opinion, nos élus n’auraient d’autre choix que de se soumettre à ceux qui prônent des solutions seulement symboliques. Et peu importe alors leur effet réel et de long terme. Cela soumet le débat démocratique à des choix qui évacuent la complexité des problèmes. Enfin et surtout, cela hystérise les positions et attise la haine. Cette haine que François Ruffin avait déjà revendiquée avant même d’être élu député**. Cette haine qu’il conçoit sans doute comme un puissant moteur de transformation sociale oubliant qu’elle débouche tôt ou tard sur la violence.

Dans les commentaires relatifs à cette affaire, nombreux sont ceux qui expriment un antiparlementarisme virulent, et dont le ton n’a rien à envier à celui des ligues fascistes qui, le 6 février 1934, voulaient prendre d’assaut le palais Bourbon. Certains même n’hésitent pas à appeler de leurs vœux un retour de la guillotine qu’ils réserveraient aux députés…

Alors, derrière ce « name & shame », François Ruffin cache-t-il un Fouquier-Tinville revisité à la mode numérique ?

* Rappelons que le Ministère de l’Education nationale avait engagé en 2017 un processus de professionnalisation des aides de vie scolaire (AVS) en leur proposant une formation et un statut d’AESH (Accompagnants des Elèves en Situation de Handicap) plus sécurisant. Un processus qui convertit des emplois précaires en emplois stables.

** Dans son édition du 5 mai 2017, « Le Monde » avait publié une « lettre ouverte » de François Ruffin à Emmanuel Macron qu’il qualifiait de « futur président déjà haï » et dans laquelle il répétait à douze reprises l’expression « vous êtes haï »… Une tribune à laquelle l’ancien militant révolutionnaire Jean-Pierre Le Dantec avait répliqué dans les colonnes du même quotidien en indiquant « vous me faites honte, Monsieur Ruffin » et en concluant : « C’est vous, monsieur Ruffin, et c’est elle, Mme Le Pen qui, depuis des années, sans égards ni pour la vérité, ni pour la difficulté à trouver des solutions à la misère sociale, répandez cette haine… »

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