Un moment fraternité, et après ?

Ils ont chanté la Marseillaise. Ils ont crié « Vive la République ! », proclamé leur amour de la France. Que pouvait-on espérer de mieux ? A leur suite, des centaines de milliers de supporters sont descendus dans les rues pour célébrer ces dieux du stade et communier avec ferveur dans la religion du foot.

Cette gaité quasi-unanime a occulté des violences, des voitures brulées et des magasins mis à sac par ceux qui profitent de ce type d’événement pour libérer leur haine de l’autre, leur mépris pour notre pays, et s’exclure ainsi de la collectivité nationale. Peut-on pour autant nier que la soirée de dimanche qui a suivi la victoire des Bleus, la journée de lundi marquée par leur accueil triomphal sur les Champs Elysées aient compté pour rien dans l’idée que l’on peut se faire d’une certaine idée de la Fraternité ?

Elle était jusque-là la grande oubliée d’une société qui s’accommode de la grande pauvreté et d’un nombre grandissant d’exclus. Au point qu’elle ne sait que faire face à la tragédie de ces migrants qui, par centaines, trouvent la mort en Méditerranée. Et pourtant, le mot figure, comme la Liberté et l’Egalité sur lesquels nous sommes si sourcilleux, aux frontons de nos mairies. Mais elle est si malaisée à définir, (sauf à affirmer que nous avons tous le même Père !…), si difficile à faire vivre qu’on l’avait mise au placard. Et voilà qu’à dix jours d’intervalle, les 6 et 16 juillet, la Fraternité retrouve des couleurs. Avant la victoire des Bleus à Moscou, c’est en effet au Palais Royal à Paris que la Fraternité était revenue sur le devant de la scène.

Il aura fallu qu’une procédure pénale aille jusqu’à son terme, que la Cour de Cassation soit saisie par le doute et se tourne vers le Conseil Constitutionnel pour que ce dernier tranche enfin et nous rappelle quelques évidences. La question posée n’était autre que celle du « délit de solidarité », en d’autres termes de la validité des poursuites engagées à l’encontre de militants qui avaient accueilli et transporté des migrants non loin de la frontière italienne.

Sans doute la décision rendue le 6 juillet * satisfera-t-elle les militants et les associations qui agissent en faveur des migrants sans papiers qui rejoignent notre sol. Sans doute irritera-t-elle ceux qui refusent l’injonction à accueillir sans distinction tous les étrangers. Il n’en demeure pas moins que cette décision doit être lue attentivement car elle définit un point d’équilibre que l’on cherchait vainement depuis des mois et des années dans la politique suivie par nos gouvernements successifs comme dans les textes législatifs en vigueur ou encore dans les décisions de nos juridictions.

Les « sages » du Conseil Constitutionnel ont opportunément rappelé que la devise de la République comme notre constitution font référence à l’« idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité », ce qui fait de la Fraternité « un principe à valeur constitutionnelle ». Le principe posé, il a une conséquence : « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ».

Pour autant, le Conseil constitutionnel a pris la précaution de souligner qu’ « aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. En outre, l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle ». En clair, la sauvegarde de l’ordre public a, autant que le principe de fraternité, « valeur constitutionnelle ». Et de surcroît, il n’y a pas de droit absolu des étrangers à un accueil inconditionnel sur le territoire national.

Sans doute le rappel de la valeur constitutionnelle de la sauvegarde de l’ordre public suscitera-t-il le doute de ceux qui ont vu leur magasin pillé, leur voiture défoncée ou incendiée. Mais l’on peut considérer que derrière ce rappel, derrière le souci d’équilibre du Conseil constitutionnel s’exprime d’une certaine manière la prudence dont le Pape François a régulièrement évoqué la nécessité lorsqu’il invitait nos gouvernants européens à faire plus et mieux pour l’accueil des migrants. Or, la prudence, c’est avant tout la maîtrise des flux pour créer les conditions d’une intégration réussie. Celle d’une relation gagnant – gagnant entre ceux qui accueillent et ceux qui sont accueillis.

Si l’espace de quelques heures, la France qui célébrait ses footballeurs a pu croire venu le temps de la Fraternité, force est de reconnaître qu’il ne s’agit que d’une illusion d’optique. Parce qu’une fois retombée la fièvre des Champs Elysées, les lendemains se révèlent tout aussi difficiles qu’avant. Parce que les violences démontrent que l’intégration reste dans certaines zones un échec et que les valeurs républicaines sont loin d’être partagées par tous. Bref, loin d’être acquise, la Fraternité d’un jour reste à construire chaque jour. Et c’est pas gagné !

* Décision 2018-717/718 QPC du 6 juillet dont on retrouvera le texte intégral sur le site du Conseil Constitutionnel

Ce contenu a été publié dans Billets, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire