Enfants à vendre !

On pourrait trouver cette affaire stupéfiante. Elle est pourtant, aujourd’hui, d’une terrible et affligeante banalité… Voilà, en France, un couple d’hommes désireux d’avoir un enfant qui se tourne vers une femme, laquelle propose la location de son utérus moyennant finances. Elle met au monde un enfant et, après avoir déclaré à ses « clients » que le fruit de sa grossesse était décédé, elle le vend à un autre couple, une femme et un homme cette fois qui prétendent maintenant avoir « adopté » l’enfant. Ainsi un enfant a été vendu deux fois, la mère dans son cynisme ayant en quelque sorte doublé la mise. Et, dans cette affaire, chacun des protagonistes a, en toute connaissance de cause, délibérément violé la loi. Le couple d’hommes qui recourt à la GPA interdite ; la mère qui s’est livrée à une escroquerie d’un genre nouveau puisque son objet n’est autre qu’un enfant ; et enfin le couple qui prétend adopter l’enfant en se plaçant en dehors des règles en la matière.

L’affaire est devant les tribunaux et le sort de l’enfant est en jeu. Restera-t-il confié au couple qui l’a acheté ? Portera-t-il le nom de son père biologique ? La mère devra-t-elle rendre l’argent qu’elle a perçu ? On aurait envie de dire que les réponses à ces questions sont bien dérisoires au regard du fait que chacun a ici oublié qu’un enfant n’est pas un objet que l’on peut se procurer sur un marché et qu’il est, de fait, la victime des appétits de quelques adultes ! On souhaiterait d’ailleurs vivement que la Justice entame des poursuites pénales à l’encontre de chacun des acteurs de ce qui est une sinistre farce…

Bien sûr, derrière chacun des protagonistes de cette affaire, on trouvera sans doute bien des souffrances qui aboutissent à une forme de refus de se conformer à la loi. Parce que dans la tête de chacun d’eux, le principe « c’est mon choix, c’est mon droit » ne souffre aucune limite. Et surtout pas celles que la société entendrait faire respecter. Mais si ces souffrances méritent une attention particulière, doit on, pour autant, considérer pour rien la violation de deux principes : le refus de la merchandisation de l’humain, et celui de la condamnation absolue du trafic d’enfants ?

Sans doute, les partisans de la GPA ne manqueront-ils pas d’en tirer argument pour affirmer que cela démontre que cette pratique doit être légalisée, encadrée, précisément pour éviter de telles dérives.

C’est oublier que cette affaire révèle au grand jour les mécanismes profonds de la GPA : le fait de considérer qu’une grossesse n’est pour une femme qu’un travail comme un autre méritant rémunération ; le rapport de force qu’elle instaure entre commanditaires et mère porteuse ; le chantage qui peut en résulter ; la surenchère qui peut s’établir entre acheteurs d’enfants ; la mise au second plan de l’intérêt de l’enfant qui devient l’objet de spéculations financières… Et n’oublions pas que d’autres affaires nous ont déjà renseigné sur le comportement d’acheteurs d’enfants qui ont rejeté le « produit » commandé dès lors que le nouveau né n’était pas conforme à leurs vœux… Et l’on voudrait, après cela, nous faire croire à une « GPA éthique » ?

Au-delà de ces questions, une autre nous est ici posée qui montre combien ce sujet – comme quelques autres relevant de la bioéthique – met en cause la philosophie même de notre droit. C’est celle des limites imposées à la liberté individuelle et au principe d’autonomie de la volonté de chacun. Or, le droit à une liberté subjective exprimé par le christianisme est devenu un principe universel ou, du moins, qui régit depuis des siècles la façon de vivre dans nos sociétés occidentales* et a très largement inspiré l’évolution de notre droit. Il est alors quasiment impossible d’imaginer aujourd’hui contrecarrer cette souveraineté subjective**. Faut-il pour autant, au nom du respect de cette souveraineté subjective, accepter tout et n’importe quoi ?

Les réponses que la société peut apporter à cette interrogation relèvent d’une hiérarchisation des principes, certains étant considérés comme supérieurs au principe de la souveraineté subjective. La première porte sur les limites que la loi peut imposer à la merchandisation de l’humain. Refuser la vente d’organes, c’est par extension, refuser qu’ils soient loués. Et l’on ne pourrait dès lors pas prétendre que cela serait acceptable au motif qu’une femme y consentirait. Pas plus que ne sont acceptables la prostitution ou l’esclavage qui seraient prétendument consentis.

La seconde concerne la protection de l’enfant. En effet, dans cette affaire, chacun des protagonistes entend satisfaire ses propres désirs sans prendre en considération le fait que l’objet de leurs transactions n’est précisément pas un objet, mais un sujet qu’il conviendrait de respecter avec d’autant plus de rigueur qu’il est dans l’impossibilité d’exprimer sa propre volonté : un nouveau-né. Face à la souveraineté subjective des adultes soutenons que la société est en droit de réaffirmer que la protection de l’enfant, et donc de sa souveraineté propre, constitue un principe supérieur qu’elle entend faire respecter. Cela l’autorise ainsi à se substituer à des parents ou à des prétendus parents dans l’expression de la souveraineté de l’enfant. Après tout n’a-t-elle pas récemment décidé de le faire – malgré quelques polémiques – en ce qui concerne les vaccinations obligatoires ?

Au-delà des questions que les tribunaux devront trancher quant au sort de l’enfant, on aimerait que la Justice s’empare de ces questions d’une autre nature et rappelle la supériorité de certains principes. Et au passage, puisque nous sommes sur le terrain du droit, on sera toujours surpris de constater que d’ardents défenseurs du principe de précaution pourtant inscrit dans la Constitution, le tiennent pour quantité négligeable dès lors qu’il s’agit de bioéthique, et que l’humain est en cause… Mais on a les cohérences qu’on peut !

* Hegel le souligne dans ses « Principes de la philosophie du droit »

** A cet égard, on lira avec intérêt dans le n° de mai de la revue « Etudes » l’article de Pierre Le Coz, Professeur de philosophie à l’Université d’Aix-Marseille, intitulé : « La bioéthique à l’heure de la transition individualiste ».

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