Les papillons de nuit du pouvoir

Par une douce soirée d’été, prolongez le bonheur de la conversation avec des amis autour d’une table du jardin. Pour cela, posez-y une lampe. Peu à peu, les mouches, moustiques, papillons de nuit et autres insectes vont s’agiter autour de la lampe au risque de vous gâcher votre plaisir. Il en est du pouvoir comme de cette lampe dans la nuit : il attire toutes sortes d’insectes : courtisans, affairistes, personnages qui veulent se rendre indispensables pour prendre leur part de lumière, faire fructifier leur commerce, bénéficier des facilités qu’apporte la vie quotidienne sous les ors de la République ou satisfaire leur soif d’autorité.

L’affaire Benalla relève de cette logique. Celui-ci fait partie de ces hommes qui ont su se rendre utiles au point de se croire indispensables durant une campagne présidentielle et qui, une fois terminée la conquête du pouvoir, sont chargés d’une mission aux contours pas toujours précis qui leur permet de rester dans l’intimité du prince et de s’en réclamer. Il en résulte un sentiment de supériorité, qui pousse les esprits fragiles à la confusion et à l’abus de pouvoir.

Si l’on peut comprendre qu’un chargé de sécurité à la Présidence de la République ai souhaité assister en observateur à une opération de maintien de l’ordre, comment a-t-on pu tolérer qu’il s’y rende pour faire le coup de poing ? Comment a-t-on pu le doter des signes extérieurs d’appartenance à la police (casque, brassard, radio) ? Comment a-t-on pu multiplier passe-droits et petits arrangements ?

On peut aussi s’étonner du caractère symbolique de la sanction prise à son encontre à l’Elysée lorsque son comportement a été connu. Mais pourquoi en aurait-il été autrement ? En effet, tous les caprices de cet homme avaient été satisfaits : une accréditation à l’Assemblée Nationale où ses fonctions ne l’appellent nullement, une voiture équipée d’une plaque de police, de gyrophares, et d’une sirène deux tons, un logement de fonction de 200m2 rénové pour l’accueillir, un permis de port d’arme obtenu dans des conditions surprenantes, une habilitation « secret défense »… Et l’on découvre maintenant que ce brigadier de réserve de la gendarmerie nationale de 26 ans a même obtenu le grade de lieutenant-colonel… Tout cela sans qu’une quelconque expertise lui ait été reconnue ! Décidément, rien ne pouvait lui être refusé.

Ne soyons pas naïfs : compte tenu de la lourdeur de leur charge, les princes qui nous gouvernent ont besoin d’hommes de confiance qui puissent gérer à leur place mille et un soucis quotidiens. Au point parfois d’entrer dans une forme de dépendance à l’égard de ces derniers… Ne soyons pas dupes non plus : inutile de nier la fascination que le pouvoir exerce sur les hommes, au point de conduire certains à vouloir en tirer parti d’une manière ou d’une autre. Notamment ceux qui y trouvent l’occasion de se livrer à leur penchant pour la violence en se glissant subrepticement derrière des opérations de maintien de l’ordre ou en endossant le rôle d’exécuteurs des basses œuvres. N’a-t-on pas, en d’autres temps, dénoncé les barbouzes du SAC ou le comportement de tels ou tels conseillers de certains ministres ou même présidents, de droite comme de gauche ?…

D’un côté, il y a donc un proche du chef de l’Etat qui se livre à des exactions, un homme qui agit au mépris des règles, fait de l’abus de pouvoir et du mélange des genres une banalité et trouve normal d’avoir des facilités et des privilèges qui n’ont rien à voir avec sa fonction. De l’autre, il y a un Président et ceux qui, dans son entourage, se sont laissé aveugler par cet homme, l’ont laissé faire, ont cédé à ses caprices, le confortant ainsi dans ses obsessions et l’installant dans un sentiment d’impunité.

Depuis l’abolition des privilèges, la grandeur de notre démocratie est d’avoir su progresser, non sans faux pas il est vrai, vers une plus grande transparence de la vie publique, vers la réduction des risques de conflits d’intérêts, et dans le sens d’une éthique publique plus rigoureuse. Sur ce sujet, les médias font désormais preuve d’un acharnement obstiné. Quant à l’opinion, elle manifeste depuis plusieurs années, une exigence grandissante. Et les hommes qui ont failli ont fait l’amère expérience du rejet, nous rappelant à chaque fois qu’il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne.

Si Emmanuel Macron a remporté l’élection présidentielle, voici plus d’un an, ce n’est pas seulement parce qu’il a su renouveler l’offre politique alors que l’on constatait la déliquescence des formations traditionnelles. C’est aussi parce que l’éthique publique avait été mise à mal et qu’il offrait aux électeurs le visage de la virginité. L’exigence éthique qui en est résulté a atteint un niveau jamais égalé dans notre pays. La faute d’Emmanuel Macron et de son entourage est sans doute de l’avoir quelque peu oublié.

Quant à M. Benalla, sa faute est bien sûr de s’être livré à des violences inacceptables. Mais par les copinages et les petits arrangements ainsi mis en lumière mettent à mal l’image du Président qui n’a pas été assez vigilant. Il l’a lui même reconnu. Et l’on se prend à regretter qu’Emmanuel Macron n’ait pas plus tôt médité la phrase du roi de Macédoine Antigonos II (2ème siècle v. JC) : « gardez moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge »…

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