Le silence et la honte

A l’issue du Conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement français a fait la déclaration suivante : «La France a l’intention d’adopter une attitude d’humanité. Si les navires qui transportent les émigrants touchent un de ses ports, la France n’a pas l’intention de leur fermer ses portes… Elle adoptera à leur égard une position humaine en fournissant des secours immédiats à ceux qui voudront demeurer sur son sol ».

Nous aurions aimé entendre une telle déclaration à propos de l’Aquarius et de ses 629 migrants sauvés in extremis en Méditerranée il y a quelques jours. Mais voilà, cette déclaration date de 1947, le porte-parole du gouvernement était un certain François Mitterrand et les migrants évoqués étaient les 4554 passagers de l’Exodus en route vers la Palestine. Aujourd’hui, silence embarrassé de la France. Un silence assourdissant…

Bien sûr, comparaison n’est pas raison. Quoique… En 1947, le souvenir des persécutions et de la mise à mort de millions de juifs conduisait des milliers de survivants à vouloir rejoindre leur « terre promise » qui n’était pas encore l’Etat d’Israël. Rien de tel aujourd’hui dira-t-on. Mais peut-on oublier si aisément que si certains fuient la misère et l’absence de tout avenir dans leur pays, nombre d’entre eux veulent échapper à la mise en coupe réglée de territoires par des chefs de guerre sanguinaires et aux persécutions ethniques ou religieuses ? Et peut-on occulter le fait qu’en Libye notamment, ils ont connu l’esclavage et le viol ?

Face au désastre humanitaire que subissent certains pays africains, face à la tragédie qui se joue quotidiennement en Méditerranée et à nos frontières et dont le bilan se compte en milliers de morts, la France, l’Europe pouvaient-ils rester silencieux et impuissants face aux 629 rescapés de l’Aquarius ? En choisissant le silence et l’immobilisme par peur de leurs opinions publiques, ils ont encouru le déshonneur. Ils ont, par défaut, fait triompher la ligne cynique et irresponsable adoptée par le nouveau gouvernement populiste d’Italie qui jubile. En oubliant, par la même occasion, que l’exaspération dont ont fait preuve dans les urnes les électeurs italiens est, au moins en grande partie, due à l’incapacité de leurs voisins à prendre leur part du « fardeau ».

Sur la question migratoire, depuis des mois, des années, l’Europe a baissé les bras, incapable de s’entendre et de dégager une ligne de conduite cohérente, qui se distingue de celle adoptée par les « démocraties » d’Europe de l’Est qui se qualifient désormais d’illibérales (Hongrie, Pologne…) En France, humanité et fermeté, telle serait la ligne du gouvernement. Mais force est de le constater : le devoir d’humanité semble souvent oublié. Quant à la « fermeté », elle n’aurait pour but que de rassurer l’opinion, sans pour autant satisfaire ceux qui voudraient la fermeture de nos frontières ? Serions-nous donc perdants sur les deux tableaux ?

Ne soyons pas naïfs. L’immigration qui vient d’Afrique subsaharienne nous dérange. A la fois parce qu’elle nous confronte à des cultures différentes et parce qu’elle est le fait de personnes majoritairement de confession musulmane. Or, nous constatons à la fois l’échec de l’intégration de vagues migratoires précédentes et la radicalisation rampante de quartiers qui vivent désormais sous d’autres lois que celles de la République. Quand, dans le même temps, ce qui a structuré au fil des siècles notre identité semble se déliter, des Français en nombre grandissant ressentent une réelle insécurité culturelle qui les conduit au repli sur soi et au rejet de l’autre.

Ce que révèle cette attitude de nos gouvernants comme celle de nombreux Français*, c’est la faiblesse de nos convictions, l’affaiblissement des valeurs qui étaient les nôtres. Cela souligne l’incapacité de nos élites qu’elles soient politiques ou intellectuelles à redonner corps à ces valeurs, à définir des politiques ambitieuses d’intégration comme de co-développement avec les pays d’origine. Alors, que faire d’autre que se replier sur un entre-soi rassurant lorsque l’on se sent faible et menacé ? C’est ce qui nous arrive, avec une honte bien vite balayée par d’autres préoccupations : la limitation de vitesse à 80km/h, l’avenir des pensions de réversion pour les veuves, ou encore la fin du conflit à la SNCF…

Dans nos montagnes, la fonte des neiges met à jour les corps sans vie de migrants qui avaient affronté l’hiver pour rejoindre notre Eldorado. Des migrants chassés des vallées et qui n’ont eu d’autre choix que d’affronter l’altitude. Ils l’ont démontré : rien ne les arrêtera. Ni la mer, ni les montagnes, ni les murs derrière lesquels nous nous réfugierons comme dans une prison. Des murs pour cacher notre honte, pour oublier que derrière, nous avons relégué une certaine idée de la Fraternité…

* Y compris nombre de catholiques, si l’on en croit une étude rendue publique cette semaine. Cette étude a été menée par l’IFOP à l’initiative de l’Eglise de France, du Secours Catholique, du CCFD-Terre Solidaire et du Service jésuite des réfugiés qui souhaitaient mieux connaître les perceptions et attitudes des catholiques à l’égard des migrants. Ainsi un tiers des fidèles s’opposerait à l’accueil des migrants tandis qu’un cinquième seulement souscrit sans restriction au message du Pape François en faveur de l’hospitalité.

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