A Rome, une leçon d’économie…

De tous côtés, les sonnettes d’alarme ne cessent de sonner. Il y a ces économistes qui parlent déjà d’un « suicide du capitalisme ». Il y a ces journalistes catalogués comme des chantres du libéralisme qui, soudain, en découvrent les perversions. Et voilà que le Vatican s’en mêle ! Quand certains populistes se contentent de recycler des schémas archaïques et une idéologie qui a partout échoué, nous vient de Rome une analyse particulièrement sévère de l’évolution de notre système économique et des propositions décapantes.

Le Dicastère pour le service du développement humain intégral qui peut être considéré comme un des ministères du gouvernement de la Papauté a en effet publié voici quelques jours ses « Considérations pour un discernement éthique sur certains aspects du système économique et financier actuel ». Un texte élaboré par des experts du Vatican, mais aussi par des économistes de bien d’autres horizons. Un titre pour le moins rébarbatif et d’une apparente neutralité.

Neutralité, lorsque ce document dénonce avec vigueur un « égoïsme aveugle, limité au court terme », et qui « exclut de ses horizons la préoccupation de créer et de partager la richesse » ? Neutralité lorsqu’il souligne que la liberté économique, détournée de sa référence au bien, « tend à incliner vers des formes d’oligarchie qui, à terme, nuisent à l’efficacité du système économique », et le conduisent à brève échéance à la ruine ? Neutralité lorsqu’il préconise des solutions radicales ?…

Sans doute n’est-ce pas la première fois qu’au Vatican, l’on s’en prend à l’avidité des plus riches, à leur incessante quête de profits maximisés. Et le Pape François a, plus d’une fois, dénoncé un libéralisme perverti parce qu’il écrase l’homme et détruit la planète. Mais une étape est aujourd’hui franchie par le Vatican dont les mots sonnent comme une condamnation sans appel d’un capitalisme financier qui a abandonné l’objectif de production de richesse pour se soumettre au diktat de l’argent. C’est le cas lorsque des actionnaires exigent une forte augmentation des profits dans une économie de faible croissance et se comportent ainsi comme des prédateurs, destructeurs de richesse et d’emplois. C’est le cas lorsque « l’optimisation fiscale » conduit des individus et des entreprises à placer leurs avoirs financiers dans des paradis offshore pour échapper totalement à l’impôt. C’est le cas lorsque les produits financiers élaborés par les banques sont si complexes que nul consommateur ne peut les maîtriser ou les comprendre, ce qui aboutit à des abus de position dominante…

Les experts du Vatican et ceux qui les ont accompagné dans ce travail d’analyse lancent donc un cri d’alarme car ils estiment que le système a échappé à ceux qui en sont les acteurs et qu’il est désormais dans l’incapacité de s’auto-réguler, de corriger ses propres défauts.

C’est là que ce document trouve tout son intérêt. S’il est incapable de se réformer, de retrouver un sens éthique qui lui fait défaut, quel serait son avenir ? Sans que ce document ne se livre de façon détaillée à un tel exercice d’anticipation, il est aisé de comprendre l’alternative à laquelle nous sommes confrontés. Elle est à la fois simple et inquiétante : soit les états trouvent les moyens d’imposer des réformes profondes qui pourraient à la fois sauver le capitalisme et l’économie, soit nous serions tôt ou tard confrontés à une déflagration telle que les crises financières que nous avons connues ces dernières années passeraient pour d’aimables plaisanteries. Et les conflits sociaux et politiques qui en résulteraient feraient basculer l’humanité dans la violence.

Le Vatican esquisse donc quelques pistes. On pourra trouver anecdotique le fait qu’il réclame qu’un véritable enseignement éthique soit dispensé dans les écoles de commerce. Mais il ne s’arrête pas là. Il demande ainsi une régulation des marchés impliquant une autorité supra-nationale, laquelle imposerait une transparence financière faisant obligation aux entreprises multinationales de rendre publiques leurs activités et les taxes qu’elles paient dans les pays où elles opèrent. Il réclame avec insistance la séparation, au sein des activités bancaires, entre activités de crédit et d’épargne d’une part, et activités spéculatives d’autre part. Il appelle enfin les états à légiférer, à sortir de la spirale de la dette et à combattre avec vigueur l’évasion fiscale qui prive les populations des services qu’ils sont en droit d’attendre. Or, nous le savons, c’est sur ces maux que prospèrent les populismes, de droite comme de gauche, lesquels conjuguent solutions simplistes et repli sur soi, autoritarisme et nationalisme exacerbé.

Déjà conscient de telles menaces, l’écrivain Denis Tillinac écrivait voici quinze ans* : « L’humanité du XXIème siècle doit impérativement surmonter le capitalisme. C’est sa mission historique. Sa survie en dépend. Mais elle n’a la moindre chance d’y parvenir qu’avec des vertus, des concepts et une vision radicalement différents des fantasmes socialisants du XIXème siècle. Elle peut les trouver dans le message et la mémoire du catholicisme, il suffirait de les mettre au goût du jour ». Dans ce document qui n’a, pour le moment, guère eu d’écho médiatique, le Vatican nous invite à ne pas nous résigner à l’impuissance ou au cynisme. Il reste à passer de la dénonciation d’un système et des vœux pieux à l’émergence d’un nouveau modèle économique. Et, si l’on prend la pleine mesure des dégâts provoqués par ses dérives, il y a urgence !

* Dans son livre « Le Dieu de nos pères – défense du catholicisme » (Bayard Editions)

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