Se voiler la face ou pas ?

Il y a des sujets tabous. Les aborder revient à entrer dans les zones marécageuses où les remugles les plus nauséabonds peuvent empuantir l’atmosphère, où les chemins les plus étroits côtoient les sables mouvants de l’oubli. Dans ces zones de perdition, la plus extrême prudence est de rigueur. Faut-il pour autant se refuser à les regarder en face ?

La question de la proportion de musulmans dans la population de notre pays et de son évolution est de ceux-là. Or, il se trouve que le Pew Research Center, institut américain de recherches, spécialiste des études démographiques et des statistiques religieuses dont la rigueur et le sérieux sont reconnus, a publié le 30 novembre dernier une étude selon laquelle la population musulmane pourrait doubler voire tripler d’ici à 2050. Et, selon les divers scénarios envisagés (gel de l’immigration, immigration modérée ou immigration et taux de fécondité conformes à la tendance actuelle), la France pourrait alors compter entre 12 et 18% de musulmans.

Face à ce sujet, trois possibilités. N’en pas parler, c’est éviter de réveiller les monstres à peine endormis de la haine. Mais c’est aussi se voiler la face car, qu’on le veuille ou non, c’est une préoccupation pour nombre de nos concitoyens*. Se contenter de donner une information brève, aussi neutre que possible, c’est une façon de traiter l’actualité en se parant des vertus de l’impartialité. Enfin, traiter du sujet au fond, c’est à dire en examiner à la fois les causes et les conséquences, c’est courir le risque de la provocation et de réactions brutales.

Certains n’ont pas manqué d’instrumentaliser cette information pour agiter les peurs, développer la théorie du « grand remplacement », et souhaiter une fermeture de nos frontières. D’autres ont évidemment dénoncé ce qu’ils considèrent comme une « dérive xénophobe et islamophobe ». D’autres enfin ont pris soin de faire parler des spécialistes qui ont contesté en bloc les conclusions de cette étude au motif notamment qu’elle ne tient pas compte des effets éventuels de la sécularisation de nos sociétés (abandon de la pratique religieuse, unions mixtes, etc.), en omettant les précautions prises par le Pew Research Center et la rigueur de ses études. Une manière d’affirmer que cette étude est nulle et non – avenue : le déni, en quelque sorte…

Or, un tel sujet mérite mieux que le silence ou les vaines querelles. Si le nombre de musulmans est en passe de s’accroître significativement dans notre pays au cours des prochaines décennies, il convient d’en examiner avec lucidité les effets et surtout de définir la meilleure manière d’intégrer ces populations nouvelles, et de les faire adhérer à ce que l’on appelle notre « pacte républicain ». Cela implique une véritable politique d’accueil et d’intégration (apprentissage et pratique de la langue, enseignement des valeurs républicaines et de leurs fondements, etc.) Cela impose l’examen des conditions dans lesquelles le culte pourra être pratiqué dans le respect de nos lois et en évitant l’ indignité des prières de rues… Cela nécessite une meilleure connaissance des religions, de leurs cultes, pour faire coexister** activement pratiquants des diverses religions athées, libres-penseurs…

Ne pas s’engager sur cette voie, considérer que le simple fait de poser cette question de l’accroissement du nombre de musulmans dans notre pays constitue déjà une sorte de discrimination à leur égard, c’est se voiler la face ! C’est aller tout droit dans l’impasse que connaissent déjà ces quartiers où des caïds de banlieue ont d’abord imposé leur loi pour faire fructifier leurs trafics avant d’y imposer les règles d’un Islam peu compatible avec notre République sachant pertinemment que celle-ci est bien mal outillée pour reconquérir le terrain perdu. C’est, pour un avenir proche, courir le risque d’affrontements inter – communautaires.

L’interdiction des statistiques ethniques qui nous privent d’une connaissance de la réalité, une vision parfois étriquée de la laïcité qui fait l’impasse sur les questions religieuses, la peur de heurter des populations déracinées qui se réfugient dans le communautarisme et enfin le complexe de culpabilité d’une ancienne puissance coloniale se conjuguent pour rendre notre pays impuissant face à ces situations.

2050, c’est demain. Saurons-nous nous défaire rapidement de ces mauvaises habitudes pour regarder enfin la réalité en face et, surtout, commencer d’y apporter des solutions audacieuses ?

* Cette observation est confortée par les résultats de la dernière étude IPSOS menée à l’initiative de la Fondation du judaïsme français qui constate la montée des préjugés, de l’antisémitisme et de l’hostilité à l’égard des musulmans.

** Ce verbe fait référence à la belle association « Coexister » qui mène une action remarquable en faveur de la coexistence entre croyants des diverses religions et incroyants, pas seulement en prônant la tolérance, mais en permettant une connaissance réciproque des convictions de chacun.

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