Se damner pour un tweet…

Navrante, l’affaire Filoche ! Navrante parce que voilà un homme qui voulait être la mauvaise conscience de la gauche et qui se retrouve accusé d’antisémitisme, traduit devant le tribunal populaire des réseaux sociaux, et menacé d’excommunication par son propre parti ! Sa faute : un tweet nauséabond où se mêlent un Emmanuel Macron affublé d’un brassard qui ressemble fort à celui du parti nazi, le sigle du dollar remplaçant la croix gammée, des visages de personnalités d’origine juive, et des drapeaux américain et israélien avec un slogan : « en marche vers le chaos mondial ». Bref, tout cela ressemble fort à la thématique antisémite de l’entre-deux guerres où l’extrême droite menait des campagnes dénonçant la finance internationale, en accusant les juifs d’être aux commandes de celle-ci et de fomenter un complot contre les nations d’alors.

Je ne partage avec Gérard Filoche ni les emportements, ni les idées, ni les choix politiques. Tout au plus quelques unes de ses indignations. J’avais trouvé indignes et stupides certains de ses tweets, notamment lors de la mort accidentelle de l’ancien PDG de Total. Pour autant, je reste convaincu que l’antisémitisme ne fait pas partie de son ADN. Je serais donc fondé à estimer qu’il s’agit d’un navrant dérapage, à juger cela anecdotique et à passer à autre chose. Mais en y regardant de plus près, cette affaire est révélatrice d’inquiétantes dérives qui ne concernent pas seulement Gérard Filoche et qu’on ne peut laisser de côté.

Comment cet homme en est-il arrivé là ? La première explication réside dans l’incapacité d’une large part du personnel politique à prouver son existence en dehors du bruit qu’il provoque. Et Gérard Filoche n’échappe pas à ce travers. Tout est donc bon pour faire le buzz ! Les réseaux sociaux apportent à la fois une réponse à cette angoisse existentielle et un outil parfaitement adapté pour donner l’illusion d’une visibilité dans l’espace médiatique. La seconde explication réside dans le mécanisme mis en œuvre. En l’espèce, un proche de Gérard Filoche gère son compte Twitter et multiplie les tweets sans que celui-ci n’effectue le moindre contrôle a priori de leur contenu. Un minimum de familiarité entre le détenteur du compte Twitter et celui qui l’administre est censé assurer la cohérence entre les messages émis et les idées de leur auteur supposé. La confiance entre eux fait le reste.

Et c’est là que le bât blesse. En effet, le fait que le gestionnaire du compte de Gérard Filoche ait repris l’image sur un site d’extrême droite révèle non seulement son inculture et son absence totale de discernement, mais aussi la porosité de plus en plus grande que l’on observe aujourd’hui, singulièrement à la gauche de la gauche, entre anti-sionisme et anti-sémitisme. S’en prendre à la politique de l’état d’Israël à l’égard des palestiniens devient vite agression à l’égard des juifs. L’amalgame entre les USA et Israël, entre la finance et les USA patrie du grand capital, entre palestiniens et Islam renforce la théorie du complot. Quoi de plus facile alors que de jeter la suspicion sur tous ceux qui ont des origines juives, quoi de plus insidieux que d’utiliser des allusions par l’image ?

Il faut ajouter que « l’affaire Filoche » survient à point nommé. En effet, c’est au moment où la gauche polémique à tout va sur la complaisance de certains de ses représentants à l’égard de l’islamisme radical, au moment où ces derniers se défendent en laissant supposer qu’être musulman en France aujourd’hui, c’est nécessairement être victime non seulement d’une domination post-coloniale, mais d’une véritable « guerre »* qui les vise tous sans distinction. Ainsi, cette affaire fait diversion, incitant à prendre parti dans un procès en hérésie dont le verdict – écrit d’avance – est l’exclusion du PS, sentence bien dérisoire s’agissant d’un parti moribond et déjà vidé de ses troupes !

Mais ne soyons pas dupes : en rester à l’écume des choses empêche de voir les ressorts qui sont à l’œuvre d’un côté comme de l’autre dans ces polémiques. De part et d’autre, en effet, ce ne sont plus les actes, les fautes commises qui sont portées au passif de tel ou tel individu. C’est tout simplement, et a priori, le fait d’être né. Ainsi, les uns considèrent les juifs comme nécessairement suspects et leurs actions entachées d’un discrédit rédhibitoire. Leur présence devient le facteur explicatif de tous les malheurs du monde. A l’inverse pour d’autres, être musulman, c’est être nécessairement victime d’injustices et de discriminations, ce qui justifie a priori toutes les excuses quant à l’incivilité des comportements, au refus des lois de la République, ou à la violence !

De part et d’autre, on assiste à une forme de négation de la responsabilité des individus, laquelle disparaît derrière un déterminisme social ou racial. En cela, l’affaire Filoche n’est pas anodine, pas plus que la polémique qui oppose par tweets et éditos interposés Edwy Plenel, le patron de Médiapart, à Charlie. Car l’une et l’autre sont porteuses de haine et alimentent les violences à venir…

* C’est le terme employé par Edwy Plenel, patron de Médiapart…

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