L’indignation, l’urgence et la honte …

Sommes nous fatigués de nous indigner ? En quelques jours, l’actualité nous aura donné à voir un étrange raccourci de ces indignations qui semblent s’évanouir aussi vite qu’elles avaient occupé l’espace médiatique. Ainsi, se souvient-on seulement de deux chiffres qui pourraient à eux seuls, résumer les deux indignations de la semaine passée : 548 d’un côté, 20 milliards de l’autre ?

548 Euros représentent les ressources mensuelles moyennes des personnes accueillies par le Secours Catholique en 2016*. 20 milliards d’Euros est la somme de ce qui échappe chaque année à l’impôt en France par le biais de l’optimisation fiscale des grandes entreprises et des grandes fortunes. Coïncidence, la publication du rapport annuel de l’organisation caritative est intervenue au cours de la même semaine que celle de l’enquête internationale sur les « Paradise papers » dont Le Monde et France Inter ont révélé les mécanismes. Plus étonnante encore la quasi absence de lien entre les deux phénomènes, non qu’il faille établir un lien de causalité entre les deux, mais plus simplement parce que 20 milliards d’Euros, c’est à peu de choses près l’équivalent de ce que le budget de l’Etat aura consacré en 2017 à la politique du logement et à l’égalité des territoires ! Pensons un instant à ce que pourrait faire l’Etat avec ces 20 milliards qui lui manquent…

Il y a urgence. D’abord parce que de telles révélations portent un rude coup à ce que l’on appelle le consentement à l’impôt sans lequel ne peuvent vivre les états démocratiques. Ensuite parce que les remèdes à apporter prendront des mois, voire des années à être conçus et plus encore à donner des résultats. Remédier à la complexité des mécanismes des « Paradise papers », et à la fluidité d’une finance globalisée ne se fera pas d’un coup de baguette magique. Si l’on s’en tient à notre seul continent, cela nécessitera une prise de conscience collective au sein des opinions publiques européennes, une réelle volonté politique, des dirigeants qui devront convaincre leurs homologues, bien des tâtonnements dans l’élaboration des solutions, et leurs transpositions dans les législations fiscales des états-membres de l’Union européenne…

Sans doute ne mettrons-nous jamais un terme à la cupidité des hommes et à la cynique logique de l’argent. D’autant que les bénéficiaires et les acteurs de l’optimisation fiscale ne semblent nullement embarrassés par ces révélations, se réfugiant derrière l’apparente légalité des processus mis en œuvre pour échapper à l’impôt. Comme si la honte pouvait ne jamais les atteindre. Comme s’ils savaient déjà que notre indignation retombera comme un soufflé sorti du four…

Dans son essai intitulé « Radicalisons-nous ! », Gaultier Bès écrit que « le rêve néo-libéral a tourné au cauchemar et la farce financière ne fait plus rire les foules ». La justesse de ce constat appelle de notre part autre chose que des indignations sporadiques, mais une urgente et constante pression sur nos élus et nos gouvernants. Et lorsqu’une bénéficiaire de l’aide du Secours Catholique déclare : « Ras le bol de devoir parler de ce qui est difficile, ras le bol de devoir se justifier en permanence », on se prend à rêver de ce jour où l’on entendra ces très riches qui aujourd’hui échappent à l’impôt déclarer « ras le bol de devoir se justifier en permanence ». Pour que la honte change de camp, en quelque sorte…

* A ce chiffre on pourrait ajouter le fait que la France compte encore 570 bidonvilles dans lesquels 16000 personnes dont plus d’un tiers de mineurs vivent dans des conditions indignes ; que 31000 enfants sont à la rue, et que 37% des personnes pouvant bénéficier de prestations sociales telles que le RSA ne les réclament pas en raison de la difficulté des démarches à accomplir, ou parfois plus simplement en raison de la honte qu’elles éprouvent à avouer leur situation…

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