Sombre dimanche pour la démocratie…

Chacun se croit autorisé à avoir un avis sur la question catalane. Les uns pour s’étonner qu’un pays démocratique refuse la procédure en apparence la plus démocratique : celle du référendum. Les autres, pour rester crispés autour d’un juridisme strict et refuser de prendre en compte – au point de vouloir l’empêcher – un vote somme toute illégal eu égard à la loi constitutionnelle espagnole.

Nous pouvons observer la crise catalane comme une affaire exclusivement intérieure qui ne concernerait que l’Espagne. Nous pouvons débattre à l’infini des causes profondes du séparatisme catalan. Nous pouvons dénoncer aussi bien la provocation des autorités de Catalogne que la force opposée par le pouvoir madrilène à ce que l’on pouvait considérer comme un simulacre de consultation. Et, au-delà, s’inquiéter de la difficulté à trouver une issue à la crise. Il reste que, quoi qu’il arrive, ce 1er octobre aura été, et pas seulement pour les Espagnols, un sombre dimanche pour la démocratie.

En effet, à première vue, il nous semble invraisemblable qu’un état démocratique réponde aux urnes par la force, parce qu’en démocratie, l’expression du suffrage universel est source de toute légitimité. Priver un peuple du droit de se rendre aux urnes relèverait donc d’une logique totalitaire. Pour autant on ne peut nier que l’appel aux urnes ait été imposé par les séparatistes qui ont fait fi du cadre constitutionnel en vigueur en Espagne. Or, il n’y a pas de démocratie sans respect d’un cadre légal. Si l’on ajoute que les indépendantistes ont mené une campagne au cours de laquelle leurs opposants n’avaient que peu de possibilités de se faire entendre, on serait tenté de dire « bonjour la démocratie ! »…

La crise catalane ne serait-elle au bout du compte que l’une des facettes de celle que traversent nos démocraties, caractérisée par la défiance grandissante à l’égard des choix effectués par leurs électeurs ? Rappelons nous : le Traité constitutionnel européen est rejeté par les Néerlandais et par les Français en 2005 ? Qu’importe, les dirigeants européens trouvent une solution pour en appliquer l’essentiel des dispositions sans tenir compte du vote de ces peuples ! Au lendemain de la consultation sur le Brexit en Grande Bretagne, des voix s’élèvent pour faire remarquer que les électeurs n’ont pas toujours raison, comme pour avancer l’idée qu’après tout, on pourrait aussi bien ne tenir aucun compte de leur vote… En 2016, la France ne sait plus comment sortir de la polémique sur le projet d’aéroport Notre Dame des Landes ? Le Président de la République ne trouve rien de mieux que de faire organiser un référendum dont les résultats pourtant clairs ne sont suivis d’aucun effet ! Les élections présidentielles désignent un Président ? Des voix en contestent aussitôt la légitimité en raison du nombre des abstentionnistes…

Bien sûr, on pourra toujours observer que les libertés fondamentales sont, en Europe occidentale, bien mieux respectées que dans d’autres zones géographiques. Tout comme y est globalement respectée la séparation des pouvoirs. Il n’en reste pas moins que la liste est longue de ces faits et de ces déclarations qui mettent à mal la souveraineté populaire et suscitent le doute quant à la pertinence du modèle démocratique, et des valeurs sur lesquelles il repose. Et il serait vain, après cela, de vouloir donner des leçons à des peuples d’Afrique, du Moyen Orient ou d’Asie ou de tenter d’y exporter notre modèle.

En réalité, cette crise de la démocratie est indissociable de l’affaiblissement des états que nous constatons depuis plusieurs décennies. Affaiblissement face aux géants de l’économie et aux logiques financières qui ne connaissent pas les frontières. Affaiblissement lorsque l’Etat-Providence n’a plus les moyens d’assurer ses missions principales. Affaiblissement lorsque des transferts de compétence au profit de l’Union Européenne sont pour nos dirigeants autant d’alibis de leur impuissance sur le mode « c’est pas nous, c’est Bruxelles ! ». Ajoutons à cela les abandons de prérogatives au profit de collectivités territoriales qui, sans pour autant disposer de davantage de moyens, deviennent des états dans l’Etat. Cela est aussi vrai en France qu’en Espagne, par exemple. Il en résulte une désaffection à l’égard de l’Etat, tandis que la démocratie locale n’en a pas pour autant été revivifiée.

Depuis quelques années, la France connaît des soubresauts qui sont autant d’appels à une plus grande qualité démocratique, qui nous invitent à rapprocher les citoyens des centres de décisions qui les concernent directement. Mais si force doit rester à la loi et non à la rue, encore faut-il trouver et mettre en œuvre les moyens de rénover notre démocratie. Et par là montrer que nous avons retenu la leçon catalane. Car quand Madrid répond aux urnes par la force, n’est-ce pas l’aveu d’un pouvoir qui a déjà compris que l’essentiel lui échappait ?

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