Les urnes ou la rue ?

Sur une falaise de Normandie surplombant une plage de sable fin, des milliers de tombes blanches rappellent le sacrifice de ceux qui sont tombés ici pour que cesse la barbarie nazie. Et la « Route de la Liberté » qui va des plages normandes jusqu’à Berlin est jalonnée de ces cimetières militaires qui rappellent combien ce combat a coûté en vies humaines. Sans doute Jean-Luc Mélanchon aurait-il été bien inspiré de venir ici méditer sur le « pouvoir de la rue » plutôt que de proférer une contre-vérité historique…

Oublions la stupidité de ce propos. Oublions le cynisme qu’il recouvre car pour faire vibrer « les gens », certains n’en sont pas à une énormité près… Et interrogeons nous plutôt sur le rapport entre la rue et la démocratie, entre le peuple et ses représentants élus.

L’élection d’Emmanuel Macron est due à un phénomène de décomposition politique doublé d’une sorte de fatigue démocratique qui s’est traduite notamment par un taux élevé d’abstention. Pour autant, nul ne peut oublier que le suffrage universel a, sans contestation possible et en vertu de règles claires, désigné un Président de la République et lui a donné une nette majorité parlementaire. Bien mal inspirés sont donc ceux qui en contestent la légitimité, surtout lorsque leur propre élection comme député repose sur une base électorale elle-même tronquée en raison d’une forte abstention.

Lorsque le leader des « insoumis » dénonce un « coup d’état » à propos des ordonnances sur le droit du travail, il quitte le registre de la transgression dont raffolent les médias pour se livrer à un glissement sémantique d’une réelle gravité puisqu’il évoque explicitement la violation des règles démocratiques fondamentales. Or, quoi qu’on en pense, ce n’est pas le cas s’agissant de mesures relatives au droit du travail. Qu’un pouvoir démocratiquement élu selon les règles de notre République entende appliquer le programme sur lequel il s’est fait élire et cela dans le cadre d’ordonnances prévues par nos institutions, voilà qui serait, selon Jean-Luc Mélanchon digne d’un dictateur ! En réalité, celui qui est devenu le principal opposant à Emmanuel Macron poursuit inlassablement son travail de sape. Après avoir liquidé le parti socialiste dont il était issu, le voilà qui s’attaque à notre édifice démocratique  en tentant de le délégitimer …

Ce serait anecdotique si l’histoire ne nous avait pas enseigné que les mots ont aussi pour rôle de préparer les esprits à des soubresauts. Or, aujourd’hui, les propos du leader de la France Insoumise s’accompagnent de la part de l’ultra gauche d’incitations à la violence, de justification d’actes inacceptables (on l’a vu au sujet du procès de manifestants contre la loi travail accusés d’avoir mis le feu à une voiture de police et violemment agressé ses occupants), d’incendies volontaires… Ce qui est recherché ici, ce n’est ni plus ni moins que l’instauration d’un climat dans lequel la paralysie du pouvoir et du pays se rejoignent au risque de conduire aux pires excès et aux aventures les plus dangereuses. Les ordonnances sur le droit du travail n’en sont que le prétexte car, en l’espèce, la France Insoumise s’est substituée aux organisations syndicales en dissociant son propre combat du leur. Celles-ci savent battre le pavé pour établir un rapport de forces. C’est ainsi, et ainsi seulement, que la rue peut peser sur le débat démocratique. De là à substituer la rue aux représentants élus du peuple, il y a un fossé que l’on ne saurait franchir sans entrer dans une logique putschiste. Certains l’avaient tenté en février 34. Jean-Luc Mélanchon devrait s’en souvenir…

Bien sûr, les promesses non tenues, l’échec successif de la droite et de la gauche ont suscité un réel désenchantement de nos concitoyens à l’égard des urnes. Le non respect du résultat du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen leur a donné le sentiment que peu importait leur vote. Plus récemment, le fait que le référendum organisé en juin 2016 au sujet du projet d’aéroport «Notre Dame des Landes » n’ait pas été suivi d’effet ne pouvait que renforcer cette impression. Ce doute démocratique oblige donc le chef de l’Etat à en prendre toute la mesure et à mettre en œuvre les réformes institutionnelles qui seraient de nature à redonner le goût des urnes à nos concitoyens. Mais ce n’est pas en donnant un pouvoir quel qu’il soit à la rue que l’on y parviendra. Ce n’est pas parce que l’on s’installe Place de la République que l’on peut en tirer la moindre légitimité. Nous savons, avec l’expérience de Nuit Debout que la parole peut y être confisquée au profit exclusif de certains.

Non, la rue n’est pas toujours la route de la liberté !

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