La peur ou la dignité ?

Sans doute auraient-ils préféré qu’il se taise. Oui, mais voilà : il est le Pape et leur situation est telle que lancer un appel en faveur des migrants lui a paru nécessaire. Le Vatican n’ignore ni les difficultés économiques, sociales ou sécuritaires auxquelles sont confrontés les états européens ni les problèmes rencontrés en matière d’intégration. Il ne sous-estime pas non plus le nombre de musulmans qui cherchent à quitter leurs terres de guerre et de misère. Mais lorsque des enfants, des femmes, des hommes sont condamnés à l’esclavage ou à la mort, lorsque la dignité humaine est en jeu le chef de l’Eglise catholique sort de son silence. Et ça dérange !

Oui, le Pape François dérange lorsqu’il demande que l’on accueille dignement par un logement et par un travail les immigrés qui arrivent sur notre sol : cela irrite ceux qui croient que l’on en fait toujours davantage pour les étrangers que pour les pauvres et les chômeurs de notre pays. Oui, la demande du Pape en faveur des regroupements familiaux exaspère ceux qui considèrent le flux migratoire en provenance d’Afrique et du Moyen Orient comme une « invasion » qui aboutira, si l’on n’y prend garde, à un « grand remplacement ». Enfin, en ces temps d’attentats, ses propos estimant que la sécurité des hommes l’emporte sur la sécurité nationale troublent bien des esprits.

Alors, le Pape serait-il un naïf doublé d’un irresponsable ? Animé, certes, des meilleures intentions, mais décidément peu au fait des visées expansionnistes des tenants d’un islamisme radical ? Etablir une primauté de la personne sur la société, rappeler qu’une personne ne se réduit pas à sa religion, il était nécessaire de le proclamer. Mais, à l’inverse, il n’est pas inutile de souligner comme l’a fait voici quelques jours l’ancien ministre Alain Lambert* que « cet absolu de la personne ne coupe l’homme ni du monde ni des autres hommes » car « c’est même au nom de la personne que l’individualisme échevelé économique s’est organisé contre une société qu’il a considérée comme tyrannique. C’est encore au nom de leurs conceptions fanatiques que certains criminels veulent imposer un système communautariste dans la République pour la faire renoncer à ses valeurs communes»*.

Alors, oui combattre sans faiblesse ceux qui entendent détruire notre société est une exigence absolue. C’est la responsabilité de nos élus. Mener la bataille culturelle que cela implique, à l’école et ailleurs, c’est notre responsabilité à tous. Dans le même temps, le respect de la dignité des personnes qui cherchent un asile pour échapper à la guerre et à la misère est une exigence absolue. Et c’est la responsabilité du chef de l’Eglise catholique de le rappeler.

Mais si l’on quitte la polémique qui vise le Pape François, peut-on sérieusement croire que c’est en bâtissant des murs, en fermant nos frontières que se règlera la question des flux migratoires auxquels nous sommes confrontés ? En la matière, les réponses que nos états apportent face à l’urgence sont insuffisantes si nous ne veillons pas à l’intégration des populations immigrées. Nous savons bien que l’échec de l’intégration est source de rancœurs et de violences. Alors, n’ayons pas peur d’affirmer que si échec il y a, il est le fruit de politiques publiques à courte vue. Il est aussi la conséquence d’une idéologie selon laquelle l’intégration serait une violence faite à des populations exilées sur notre territoire. Comme si nous devions nous excuser des causes de leur exil, mais aussi de notre langue, de notre culture et du mode de vie que nous les invitons à partager. Une idéologie qui paralyse l’action publique et encourage toutes les dérives. L’intégration nécessite des politiques de long terme audacieuses. Est-ce trop demander ?

Autre défi : celui du développement. Dans son rapport « Perspectives de la population mondiale, la révision de 2017 » publié fin juin **, le département des affaires économiques et sociales de l’ONU précise qu’en 2100, 40% de la population sera africaine. Parmi les pays qui connaîtront la plus forte croissance démographique, on note le Nigeria (qui deviendra alors le troisième pays le plus peuplé au monde avant les USA !), la République démocratique du Congo, l’Ethiopie, la Tanzanie, l’Ouganda. Avec pour conséquence qu’un milliard d’africains devraient vivre en ville dans les vingt prochaines années. Pour faire face à cet accroissement de population, il faudra des états solides, disposant de moyens suffisants pour répondre aux besoins de sécurité, de logement, d’éducation et d’accès à la culture, de services sanitaires, de transports, de voirie, etc. Compte tenu de la situation actuelle de certains pays pillés par des oligarchies sans scrupule, d’états à la faiblesse endémique, nous mesurons l’ampleur de la tâche à accomplir en moins d’une génération ! Pourtant, faute de relever ce défi, les guerres tribales et intercommunautaires feront rage avec leur conséquence : un exode massif et des flux migratoires face auxquels ceux d’aujourd’hui ne sont que de pâles brouillons. Nous savons que ces pays n’y parviendront pas seuls et que cela nécessitera une forte contribution des pays développés. Est-ce trop leur demander ? Faut-il rappeler que, pour l’avenir, la sécurité de ces mêmes pays développés est à ce prix ?

Face à une question aussi complexe, choisir la peur, le repli sur soi, c’est à coup sûr aller au-devant de l’échec. Choisir la dignité et le développement, c’est se risquer à l’ouverture et se donner une chance de réussir. Ce que résume bien la formule d’Angela Merkel ***: « ce qui m’importe, c’est de donner une forme humaine à la mondialisation ». Ce à quoi elle a ajouté une belle phrase qui mérite réflexion : « si l’on commence maintenant à devoir s’excuser de montrer un visage ami face à des situations d’urgence, alors ce pays n’est plus le mien »

* Je reprends ici un extrait de la réaction qu’il a publiée, le samedi 26 août sur Facebook, à la suite de l’éditorial de François Régis Hutin publié ce jour-là dans Ouest France.

** Rapport dont « Le Monde » a publié une synthèse dans son édition du 8 août dernier.

*** Dans une interview publiée par le quotidien allemand « die Tageszeitung » et reprise par Libération dans son édition du 30 août.

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