Les digues sont rompues…

Irréconciliables ! Le qualificatif s’employait jusque-là à gauche et s’appliquait aux différentes familles issues d’un parti socialiste moribond. Depuis ce dimanche, il s’applique à la droite, laquelle prend acte dans la douleur de ses propres déchirures.

Les déclarations de ces sympathisants de François Fillon qui affirmaient au Trocadéro qu’ils voteraient plutôt Le Pen que Juppé en dit long sur la part de détestation qui provoque un tel rejet. Elle est aussi révélatrice de l’opposition entre des lignes politiques radicalement différentes qu’avaient mises en évidence les primaires, et qui sont désormais incompatibles, « l’affaire » des assistants parlementaires du candidat désigné en novembre ayant abouti à un durcissement de son propre camp. Elle est enfin et surtout le signe annonciateur d’un lendemain de premier tour particulièrement difficile pour cette droite qui se voyait déjà au pouvoir…

Rassemblement, vous avez dit rassemblement ? Voilà un mot qui fait partie du vocabulaire traditionnel des gaullistes et dont on peut aujourd’hui douter qu’il ait encore du sens pour cette famille politique. En effet, il semble bien fini le temps où, quelque soit le candidat désigné par son parti, la droite votait massivement et sans trop d’états d’âme pour lui. Les batailles les plus âpres avaient eu lieu avant, en coulisses, les rancœurs étaient remisées pour répondre à l’exigence d’unité.

Nous voilà désormais face à une radicalisation d’un nombre important d’électeurs qui voient en Alain Juppé le représentant d’un centre honni, et en Emmanuel Macron, le rejeton mondialiste d’un François Hollande détesté. On comprend dès lors que le premier ait mis un terme à toute idée de plan B autour de sa candidature, considérant qu’il était trop tard. On comprend aussi que le second n’allait pas, de sitôt, recueillir leur vote dans le seul but de faire barrage au Front national.

Ces électeurs-là ne se comporteront décidément pas de la même manière que la droite républicaine dans le passé… C’est sans doute parce qu’ils croient encore que leur champion parviendra à déjouer tous les pronostics et se qualifiera pour le second tour de la présidentielle pour affronter Marine Le Pen. Et qu’il retrouvera ainsi l’état de grâce qui lui semblait promis début décembre. Après tout, les sondages avaient sous-estimé François Fillon avant la primaire de la droite et du centre. Or non seulement ils oublient les dégâts provoqués par « l’affaire », mais de surcroit ils négligent la nécessaire dynamique de rassemblement qu’impose notre mode d’élection présidentielle. C’est ce que traduisent aujourd’hui les sondages qui placent François Fillon en troisième position dans les intentions de vote pour le premier tour

Si cette tendance se confirmait, la question qui se poserait alors à l’électorat de droite est celle de son choix au second tour. A l’évidence, pour une part de celui-ci, la droite la plus conservatrice, et parfois la plus identitaire, les digues sont rompues. Plus aucun obstacle n’empêchera ces électeurs de voter pour Marine Le Pen. Pour d’autres, choisir Emmanuel Macron serait se faire violence tant ils s’opposent à ce que représente l’ancien ministre de l’économie, à sa conception d’un libéralisme ouvert et en grande partie dérégulé. Se résigneront-ils à voter contre leurs convictions profondes pour éviter de porter le FN au pouvoir ? Rien n’est moins sûr. Se réfugieront-ils alors dans l’abstention avec les risques que cela comporte ? Pour d’autres enfin, représentants d’une droite modérée et pro-européenne, un candidat de centre gauche sera toujours préférable à la candidate de la droite extrême.

Face à cet éclatement de leur électorat, les leaders de la droite se disperseront. Les uns resteront fidèles à leur détermination passée et appelleront à faire barrage à Marine Le Pen, rejouant ainsi à l’envers le film de 2002. D’autres, suivant en cela une part de leur électorat, se montreront FN-compatibles. Il y aura enfin ceux qui se retrouveront écartelés, en particulier ceux qui ont été élus aux régionales grâce aux voix de la gauche… C’est alors, après une phase de décomposition sans précédent, que pourra commencer une tentative de recomposition de la droite. Cette droite dont les primaires nous avaient fait oublier qu’elle aussi était divisée en familles irréconciliables…

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