Le spectacle de trop ?

Il y a dans la primaire de la gauche quelque chose de pathétique. Pas parce qu’aucun des candidats ne semble en mesure de susciter un engouement tel qu’il puisse franchir le cap du premier tour de l’élection présidentielle, mais parce que chacun des prétendants semble n’avoir d’autre projet que de conquérir le pouvoir tout en ignorant ce qu’il en fera et avec qui. Cela donne l’impression d’un spectacle qui tourne à vide, dont le seul but serait de permettre à des comédiens de faire un tour de piste sans scénario ni le moindre dessein d’intéresser les spectateurs.

Mais ce spectacle n’est, au fond que la réplique de celui donné par François Hollande lui-même. Dans un livre qui tient à la fois du règlement de comptes et de la chronique élyséenne, son ancien conseiller Aquilino Morelle confie que ce qu’il appelle son « abdication » n’est que l‘effet d’une « vérité simple et cruelle » qu’il résume ainsi : « François Hollande ne voulait pas exercer le pouvoir ; il voulait seulement être Président de la République ». Brutal constat qui, ajouté à celui des journalistes du « Monde » Gérard Davet et Fabrice Lhomme* montrant un Président commentateur désabusé de sa propre impuissance, révèle l’ampleur du malentendu sur lequel s’est construite sa victoire de 2012.

Le Président de la République a beau jeu de constater en privé que si la campagne de Manuel Valls semble patiner, c’est parce qu’il « n’a pas de projet, qu’il tourne en rond » parce qu’au fond « son projet, c’était de me virer ». Son ancien Premier ministre lui renvoie une image qui est n’est guère différente de la sienne : le reflet d’une certaine vacuité. Au surplus, Manuel Valls qui espérait se placer en favori d’une primaire organisée pour le seul bénéfice du Président sortant, se trouve, à la place de ce dernier, pris au piège du devoir d’inventaire d’un quinquennat raté dont il doit, quasiment seul, assumer les erreurs, les contradictions, et l’impopularité.

Si l’on complète le tableau par celui des prétendants, on se demande qui pourra susciter l’envie et réveiller les ardeurs d’un « peuple de gauche » dépité. Benoît Hamon qui semble manquer d’épaisseur ? Arnaud Montebourg à l’égo surdimensionné et à la vision économique étatiste ? Ou Vincent Peillon qui accumule déclarations choquantes et contre-vérités** ?

Pas étonnant que les électeurs de cette gauche social-démocrate et les militants soient résignés. Les premiers n’étant pas très sûrs d’aller voter à la primaire organisée par la « Belle Alliance », les seconds pas vraiment mobilisés pour en assurer le bon déroulement.

Pendant ce temps, les deux candidats qui, issus de la gauche, ont rejeté toute idée de participer à cette primaire, déroulent leurs projets, mènent leur campagne tambour battant. Emmanuel Macron remplit des salles de supporters et de curieux. Jean-Luc Mélanchon, quant à lui, mène tous azimuts une campagne efficace, où il mêle dialogue citoyen et harangue avec la verve qu’on lui connaît.

L’un et l’autre obtiennent des scores d’audience inégalés, une popularité en hausse et des intentions de vote qui évoluent dans le même sens. L’un et l’autre engrangent soutiens et financements.

Chez Emmanuel Macron, c’est le fruit d’un positionnement, d’une approche novatrice et d’idées qui bousculent les clivages habituels, auxquels s’ajoutent les premiers résultats – même imparfaits – de la loi qui porte son nom. Pour Jean-Luc Mélanchon, c’est le résultat d’une étrange combinaison où le repli sur un léninisme archaïque se double d’une stratégie digitale et numérique qui démontre sa capacité d’adaptation à la modernité.

Pour l’un comme pour l’autre, c’est aussi parce qu’ils ont pris acte de la décomposition d’un Parti Socialiste incapable de se régénérer, incapable de susciter d’autre candidat que des apparatchiks qui n’ont de la réalité économique et sociale que des idées préconçues, et incapable de trancher le conflit entre une culture d’opposition et une capacité à assumer les contraintes d’une force de gouvernement.

Si, pour le moment, le spectacle de cette primaire est pathétique, c’est sans doute parce que l’on pressent qu’il s’agit là du dernier tour de piste d’une troupe à bout de souffle. Une troupe qui joue ainsi le spectacle de trop devant des spectateurs attristés parce que la gauche, sans doute, méritait mieux.

* Dans « Un Président ne devrait pas dire ça… » – éditions Stock 

** Notamment en déclarant que les musulmans vivaient en France aujourd’hui comme « il y a 40 ans, les juifs à qui on mettait des étoiles jaunes », ou encore estimant que « la droite, c’est des gens qui considèrent que, par exemple, il est noir ? Il n’a pas le droit de vote »…

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2 réponses à Le spectacle de trop ?

  1. Jean-Philippe Cathelin dit :

    Tout est dit. Et bien !

  2. GAYET Anne dit :

    Excellent papier d’analyse qui nous permet de regarder avec la distance nécessaire le dernier débat . Merci Bruno.

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