Une femme est libre !

Une femme est libre ! On peut se réjouir de cette nouvelle qui est, après tout, un geste de miséricorde. Mais la décision de François Hollande de gracier Jacqueline Sauvage, condamnée à 10 ans de prison nous appelle à une réflexion sur la Justice, sur les pressions qui s’exercent sur elle, nos responsables politiques, et nos institutions.

La Justice, on le sait, a examiné avec attention le cas de cette femme meurtrière de son mari. Elle a conclu que ce meurtre était un acte de vengeance et nullement un acte de légitime défense. Les avocates de Jacqueline Sauvage savaient sans doute que la stratégie qu’elles avaient adoptée dans le prétoire était vouée à l’échec. Ce qui les a conduites à se lancer dans une bataille d’opinion mobilisant associations et médias pour faire oublier les incohérences des déclarations de Mme Sauvage et à réécrire à leur manière l’histoire tumultueuse de ce couple. Un couple dans lequel le mari était colérique et violent, et l’épouse bafouée et ayant sans doute reçu des coups, mais pas vraiment la victime faible et soumise qu’elle prétend être.

Les magistrats et les jurés* ont-ils été insensibles au drame des 200 000 femmes victimes de violences conjugales chaque année en France ? N’ont-ils pas plutôt, malgré une pression incessante de l’opinion et des médias, pesé rigoureusement l’ensemble du dossier avant d’en tirer à deux reprises, à un an d’intervalle, les mêmes conclusions et de prononcer la même condamnation ?

Dans cette affaire, si le Droit l’a emporté en Justice, l’émotion s’est imposée grâce à une manipulation de l’opinion, faisant de Jacqueline Sauvage le symbole de la cause des femmes battues. Piètre symbole d’ailleurs dont on peut douter qu’il serve vraiment leur cause. Au lendemain de sa libération, les avocates de Jacqueline Sauvage ont laissé entendre qu’elles négociaient pour elle des droits en vue de la publication d’un livre de « témoignage ». Sans doute s’agit-il, en faisant fi de la vérité, de parfaire la thèse de la victime emprisonnée à tort, de la « coupable innocente ». Et au passage, d’en tirer quelque profit…

Et cela pose la question du rapport entre la Justice et l’opinion. La Justice prend le temps de l’examen rigoureux des faits, s’impose la confrontation entre des points de vue contradictoires, celui de l’accusation et celui de la défense, et donne le dernier mot à l’accusé. L’opinion ne s’embarrasse pas de ces subtilités. Elle adopte sans nuance le point de vue de l’émotion. Ce sera tantôt au profit des victimes contre les accusés tantôt, comme ce fut le cas dans cette affaire, au profit de l’accusée au point de vouloir à tout prix l’excuser de ses fautes. Les réseaux sociaux reflètent cette émotion. Les médias et les associations en sont les relais. Les politiques, en sont in fine les réceptacles, les uns pour ensuite réclamer des modifications législatives, les autres pour tenter de modifier le cours de la Justice.

C’est ce qu’a fait François Hollande en exerçant son droit de grâce qui est, après tout, une de ses prérogatives. On peut sans doute la contester en estimant qu’il s’agit là d’une survivance archaïque d’un droit de l’ancien régime. On peut aussi considérer que ce droit de grâce se justifiait au temps où la peine de mort faisait encore partie de notre arsenal pénal, car la vie d’un homme était alors en jeu, ce qui n’est plus le cas. Mais nul ne peut dire qu’il s’agit d’une contestation par le chef de l’Etat du principe de « l’autorité de la chose jugée » puisqu’il se contente d’intervenir sur l’application de la peine, pas sur la condamnation. Et qu’elles qu’aient été les critiques formulées par François Hollande à l’encontre des magistrats, il ne s’agit pas non plus d’une intervention du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire.

Il reste que dans cette affaire, la symbolique et l’émotion l’ont emporté sur le Droit. L’opinion en retiendra qu’il suffit parfois de se mobiliser au nom d’une « juste » cause – fût-ce sur une mauvaise affaire – pour imposer sa loi à la Justice, ce qui est pour le moins préoccupant. Car si une femme est libre, n’oublions pas qu’un homme est mort. Exécuté sans autre forme de procès. Et auquel il ne reste plus aujourd’hui que l’opprobre…

* En Cour d’Assise, les jurés sont au nombre de six en première instance, en l’espèce, ils étaient trois femmes et trois hommes lors du procès de 2014. En appel, ils sont neuf : cinq femmes et quatre hommes lors du procès de 2015.

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Une réponse à Une femme est libre !

  1. Bruno Voisin dit :

    Et Laurent Delahousse, dans le journal de 20h de France 2 du vendredi 6 janvier a cru utile de l’inviter ! Une insulte à tous ceux qui mènent dans l’abnégation de nobles combats que les grands médias ignorent superbement. Un troublant aveu de la dérive d’un service public audiovisuel plus soucieux de sensation et d’émotion que d’information !

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