Laurent Ruquier ou la dictature potache

Si l’on en croit Laurent Ruquier, François Hollande serait « un lâche ». Non parce qu’il n’a guère brillé lors des négociations de l’Europe avec la Turquie. Non parce qu’il a, pour flatter un fidèle client de notre industrie d’armement, remis la Légion d’Honneur au ministre de l’Intérieur saoudien à qui l’on doit tant de violations des Droits de l’Homme. Pas même parce qu’il a abandonné son projet de déchéance de nationalité. C’est tout simplement parce qu’il ne souhaite pas participer à son émission « On n’est pas couché ». Après Christiane Taubira pour le lancement tonitruant de ses « Murmures » à la jeunesse, et Manuel Valls, dont François Hollande avait semble-t-il peu apprécié la participation à cette émission le 16 janvier dernier, Laurent Ruquier souhaitait « se faire » le Président de la République. Raté ! L’animateur n’avait plus qu’à se venger par une de ces déclarations assassines dont il a le secret.

Passé maître en buzz médiatico-politique, Laurent Ruquier estime que nul ne saurait se dérober à ses invitations, pas même le chef de l’Etat. Cet éternel potache, jamais à court d’un bon mot, fait du divertissement, mais dans le même temps rêve de substituer son émission aux grands rendez-vous politiques qu’il entend ringardiser. Il est vrai que son talent est à la fois d’offrir une tribune à ceux qui rêvent de toucher un public décomplexé, et de proposer un divertissement qui par son ironie, sa manière de faire descendre ses invités de leur piédestal, lui assure de ne jamais être accusé de complaisance à leur égard.

On serait tenté de dire qu’il n’est, tout au plus, que l’un des nombreux figurants de la scène sur laquelle se joue la désacralisation de la politique. Un jeu dont l’effet est que l’on ne sait plus très bien si les femmes et les hommes politiques ne sont que des stars du petit écran ou s’ils restent en charge du bien commun. Pour celles et ceux qui font de la transgression en politique un marqueur de leur identité (ce peut être le cas de l’opposition ou d’une Christiane Taubira en rupture de gouvernement…), on peut comprendre qu’ils se rendent sur ces plateaux où règnent le rire et les railleurs. Pour celui qui exerce de hautes responsabilités tout en cultivant un côté transgressif, comme Manuel Valls, on comprend la tentation tout en regrettant qu’il y succombe. Pour celui enfin qui exerce la fonction suprême, ce serait déchoir.

Non content de participer à cette désacralisation, L. Ruquier exerce donc une sorte de chantage : en clair, soit on condescend à aller sur son plateau pour mieux y exprimer son tempérament et sa capacité de résistance, soit on se fait étriper par tweets, interviews ou communiqués interposés. La dictature du potache, en quelque sorte, à laquelle il conviendrait de se soumettre. Une dictature exercée par ceux qui, comme lui, rient de tout, et abusent du pouvoir que leur donne l’audimat dans un bras de fer inégal avec les politiques qui, quoi qu’on en pense, se soumettent régulièrement au verdict des urnes.

On en vient donc à se demander si, à l’inverse, la lâcheté ne serait pas le fait de ceux qui se plient à l’exercice imposé par M. Ruquier et consorts. Et si le courage ne serait pas précisément de refuser de s’y soumettre.

Reste que les leçons de morale démocratique données par l’animateur laissent rêveur. Il y a peu, celui-ci reconnaissait être trop payé. Mais à la question de savoir si sa rémunération pouvait être baissée, il a laissé entendre que cela casserait le marché, ce qui porterait sans doute préjudice à ses petits camarades et concurrents. Laurent Ruquier aurait donc peur de leur réaction ? On a les lâchetés qu’on peut !

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