Nos valeurs englouties ?

On répète à l’envi les grandes valeurs de la République. On claironne le refrain des grands principes auxquels nous sommes indéfectiblement attachés, mais on évite soigneusement de préciser comment ils peuvent toujours s’appliquer dans les circonstances exceptionnelles que nous traversons. Pourtant, les mises en garde sont nombreuses, les juristes ont donné de la voix et nombreux sont ceux qui ont lié l’instauration de l’Etat d’urgence à la nécessité d’en clarifier les contrepoids institutionnels. En vain jusqu’à présent…

Ainsi la folle machine de l’urgence que rien ne vient corriger s’est mise en route. Au risque de faire perdre tous les repères collectifs auxquels nous étions habitués. On voit les adeptes du principe de précaution réservés à l’idée d’en prendre, tandis qu’un gouvernement composé de femmes et d’hommes qui avaient en commun la défense des droits de l’Homme informe le Conseil de l’Europe de sa décision de déroger à la Convention européenne des Droits de l’Homme. Sans que l’on ait la moindre idée de la durée de cette dérogation.

Dans le même temps, quelques semaines après avoir refusé de livrer des navires de guerre à la Russie et approuvé des sanctions contre elle, la France s’apprête à s’allier avec la même Russie dans une coalition ayant pour objectif d’anéantir Daesh, en n’excluant plus une coopération avec l’armée de Bachar El Assad dont elle exigeait le départ…

Et puis, le Président de l’Institut du Monde Arabe défend avec vigueur l’Arabie Saoudite qui emprisonne et décapite, où l’on marie de force des jeunes filles, où perdure l’esclavage… Et puis, l’Europe ferme ses frontières, soulagée de cantonner à la Turquie le flot de réfugiés qui continuent d’affluer, tout cela au prix de quelques milliards d’Euros et de la réouverture de négociations pour son entrée au sein de l’Union. Cela vaut-il que l’on ferme les yeux sur le fait que les droits de l’homme y connaissent un recul sans précédent, situation pourtant incompatible avec les principes de l’UE ? Real-politik répondront certains…

Plus anecdotique : ceux qui, hier, moquaient l’attachement à la République, n’ont aujourd’hui plus que ce mot à la bouche ; un Président de la République qui n’avait jamais brandi le drapeau tricolore invite les Français à en mettre à leur fenêtre et à inonder le net de selfies tricolores, alors même que l’utilisation des trois couleurs permettait, jusque-là, d’identifier et de stigmatiser ceux que l’on rejetait ainsi à la droite, voire à la droite extrême de l’échiquier politique. Et pendant ce temps, à l’Association des Maires de France, certains croient que les questions que nous pose la laïcité pourront se résoudre comme par enchantement avec la disparition de crèches de Noël dans les lieux publics, à commencer par les mairies…

Tout cela donne le tournis ! La gauche n’est plus à gauche, la droite ne sait plus où elle va. Les Français perdent leurs repères. Pour le plus grand profit d’une droite extrême qui, elle, ne varie pas d’un pouce et semble seule à garder sa cohérence.

L’état d’urgence ressemble donc à une panique. Panique de dirigeants obsédés par la sécurité et qui se croient sommés d’obtenir des résultats immédiats. Panique car nous sommes confrontés à des lames de fond et aux effets cumulés de décennies d’évolutions mal comprises parce que rarement analysées, tant dans notre propre société qu’au Proche-Orient.

En assassinant des dizaines de personnes, les terroristes avaient gagné la première manche. En restant debout, en répondant « même pas peur », certains pensaient gagner la seconde. Hélas, la panique et l’urgence nous engagent dans un tourbillon infernal où nos repères se dissolvent peu à peu, mettant à mal nos valeurs essentielles qui sont comme aspirées vers le néant. Les terroristes seraient-ils en train de gagner la troisième manche ? Serions-nous en train de perdre notre âme ?

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