Etat d’urgence, urgence d’Etat

L’instauration de l’état d’urgence au lendemain de la tragédie du 13 novembre éclaire d’un jour nouveau le constat que l’on dresse du fonctionnement de notre état et les nécessaires réflexions que l’on doit engager à son sujet. Certes, la situation est exceptionnelle, mais qu’observe-t-on ?

On voit d’abord des forces armées et une police qui ont atteint, et parfois même dépassé les limites de leurs capacités d’intervention. Sollicités en permanence depuis le début de l’année, confrontés à une tension maximale, les femmes et les hommes qui les composent et font preuve d’un grand dévouement, se retrouvent au bord de l’épuisement. Cela, tandis qu’on s’apprête à leur demander davantage d’efforts encore. Dans le même temps, notre système judiciaire se retrouve lui aussi dépassé, au risque d’apparaître comme le maillon faible pour la protection des citoyens. Pour les uns comme pour les autres, des questions d’effectifs, de moyens techniques, d’adaptation des compétences, d’arsenal juridique se posent. Et si l’on nous annonce un renforcement de moyens, force est de reconnaître qu’il faudra des mois pour recruter, former, doter en équipements, envoyer sur le terrain et intégrer dans des équipes déjà constituées les effectifs nouveaux. Cela est aussi vrai des forces de police que de l’armée. Et ne parlons pas de la magistrature qui manque cruellement de moyens. Les peines jamais appliquées comme les délais de la moindre procédure en sont de navrantes illustrations.

Bref, nous constatons que dans ses fonctions régaliennes, notre état n’est plus en mesure d’assurer de manière efficiente sa mission essentielle qui est de protéger les habitants de notre pays. L’armée est parvenue péniblement – et encore, très récemment – à faire reconnaître qu’elle ne pouvait davantage restreindre ses troupes. Quant aux effectifs de la police, de la gendarmerie, de la magistrature, ils ont fait l’objet depuis des années d’une réduction d’effectifs au motif que tous les départements ministériels devaient être logés à la même enseigne, et appliquer la seule logique mise en œuvre, une logique comptable…

Or, en la matière, nulle trace d’une quelconque réflexion sur un éventuel resserrement du nombre de fonctionnaires dans d’autres secteurs de la fonction publique. Ainsi notre état, hypertrophié dans certaines de ses composantes, se trouve démuni là où il lui faudrait davantage de moyens. Et si certains ont cru nécessaire de tirer argument de la mobilisation des policiers, pompiers, et autres personnels des services de santé pour tenter de démontrer qu’il faut davantage de fonctionnaires, c’est faute de raisonner en termes de besoins et de missions.

Ne soyons pas naïfs, on ne va pas en quelques mois faire passer des agents de l’état mal employés dans certains services administratifs, à des missions de maintien de l’ordre ou de sécurité. Car le principe des vases communicants ne peut s’appliquer. Mais si l’on raisonne à masse salariale égale, ne serait-ce que pour limiter à la fois les déficits publics et la pression fiscale, on peut s’interroger sur la pertinence de la répartition des effectifs de la fonction publique. Ce qui conduit nécessairement à poser la question : quel doit être notre Etat demain ?

Nous savons que la construction européenne a pour effets des transferts de compétence et des abandons de souveraineté. Sauf que certaines missions ne peuvent être transférées à Bruxelles. Et les débats menés sur l’avenir de l’espace Schengen démontrent que l’on parvient aux limites de certains abandons.

Alors, comment penser autrement l’Etat ? Pour cela, interrogeons nous sur ses missions, les besoins de nos concitoyens, les moyens que ceux-ci sont prêts à lui accorder (et donc les efforts à consentir), sur sa structure. Penser autrement l’Etat, c’est envisager de le recentrer sur ses missions régaliennes, c’est redéfinir ce qui relève de la cohésion nationale comme de la solidarité. Penser autrement l’Etat, c’est renoncer à vouloir tout faire (car à vouloir tout faire, l’Etat le fait mal !), et ne pas hésiter à confier à des professionnels mandatés, assermentés et contrôlés, des missions qu’il n’a pas les moyens d’assumer seul. Les officiers publics assurent, après tout, des missions pour le compte de l’Etat sans rien lui coûter puisqu’ils sont rémunérés par leurs utilisateurs.

N’attendons pas : c’est aussi parce qu’il y a état d’urgence qu’il y a urgence à repenser l’Etat !

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