Derrière les mots, un Etat divinisé ?…

Ils auraient mieux fait de se taire… C’est ce que l’on pense parfois après les déclarations de certains responsables politiques. Et cela est d’autant plus frappant lorsque ces réactions interviennent après un événement dramatique qui suscite une forte émotion dans l’opinion. Le tragique accident de Puisseguin en Gironde en apporte, une fois de plus, la démonstration.

La première est celle de ce haut responsable de l’Etat qui a affirmé dès l’accident, que le gouvernement était « tout entier mobilisé » sur cette affaire. Pourtant, au-delà de l’émotion partagée, au delà de la compassion à exprimer, comment imaginer que chaque ministre ou secrétaire d’Etat s’arrêterait soudain de traiter ses propres dossiers pour se mobiliser sur cette tragédie ? Fallait-il vraiment dire : dormez, bonnes gens, nous nous occupons de tout ? Fallait-il affirmer que l’on agit alors que l’on fait face à l’imparable ?

La seconde déclaration provient d’un député écologiste et met en cause la politique du gouvernement qui serait, par ses effets sur les infrastructures routières, responsable de ce dramatique accident. Cela est à la fois indécent et stupide. Indécent parce qu’une telle déclaration vise à exploiter le malheur pour créer une polémique. Stupide parce qu’elle établit un lien qui n’a pas lieu d’être entre le déplacement d’un club de retraités et, en l’espèce, la libéralisation récente du transport par autocar.

Il est facile d’ironiser sur ceux qui ont tenu de tels propos, d’autant qu’ils contribuent à la perte de crédit de la parole publique. Mais à bien y réfléchir, ces deux déclarations illustrent, chacune à sa manière, une autre dimension de la vie politique : la prétention à l’omnipotence, à l’omniprésence des responsables de l’Etat. On connaissait l’Etat – Providence, celui qui veille sur le citoyen de sa naissance à sa mort. Un Etat qui, à force de prétendre nous protéger, y compris contre nous mêmes, à force de prendre des précautions tous azimuts, n’a plus les moyens d’assumer de manière efficiente toutes ses missions, et en particulier ses missions régaliennes (défense, diplomatie, police, justice..). Nous avons désormais un Etat dirigé par des femmes et des hommes qui, non contents de régner sur leurs départements ministériels, doivent avoir un avis sur tout, agir et assurer leur présence dans tous les domaines de la vie, y compris ceux qui leur échappent. Comment s’étonner dès lors qu’un député provocateur trouve dans la politique gouvernementale la cause de chaque événement, y compris d’un tragique fait divers ?

En effet, ces déclarations sont, l’une et l’autre, les deux faces opposées d’un même travers. D’un côté on prétend que l’Etat agit sur tout ; de l’autre on lui reproche tout et n’importe quoi. Un travers qui consiste à ériger l’Etat en puissance quasi – divine. Illusion qui pourrait faire croire qu’il aurait pu éviter cela. Illusion pour un citoyen – consommateur invité à tout attendre de l’Etat, surtout ce qu’il ne peut en recevoir. Une illusion génératrice de frustrations, de désenchantement et de mécontentement. Et qui accroît le décalage entre les politiques et des citoyens.

C’est sans doute pour justifier leur inlassable quête de reconnaissance et de suffrages que nos élus et nos gouvernants prétendent à cette omnipotence et ne veulent pas être en retard d’une émotion. C’est sans doute parce que la politique est d’abord verbe avant d’être action – surtout à l’époque des chaînes d’infos en continu et de Twitter – que nos politiques ne résistent pas aux micros qui leur sont tendus et disent parfois n’importe quoi. Au risque de confondre émotion et raison. Au risque de ne plus être crus.

 

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