L’utopie pour faire progresser le Droit

Le conformisme ne se situe pas toujours là où on l’attend. L’audace et l’innovation non plus. Prenons l’exemple de la construction européenne en matière juridique. Le conformisme, c’est de camper sur des positions, de rester sur des principes sans en examiner l’application ni les conséquences. L’audace, l’innovation, c’est de rechercher des solutions qui répondent aux attentes d’une société en mouvement, de faire fi des tabous, d’essayer de surmonter les blocages. En l’espèce, le conformisme se situe du côté de certains services de la Commission européenne qui persistent à considérer le Droit comme une marchandise et qui entendent de ce fait déréguler les professions qui l’exercent et y instaurer une concurrence sans limite. De ce point de vue, les années passent, rien ne change.

A l’inverse, ceux que l’on aurait volontiers a priori qualifiés de conformistes, de conservateurs, au motif que l’une de leurs fonctions est d’être les gardiens de notre mémoire, créent parfois la surprise par une capacité à se projeter dans l’avenir, et à proposer des innovations auxquelles nul n’avait pensé avant eux. Les notaires, puisqu’il s’agit d’eux, ont en effet profité de leur dernier congrès à Strasbourg pour signer de manière symbolique au Parlement européen une charte par laquelle les 40 000 notaires d’Europe s’engagent à mettre en œuvre des solutions visant à répondre au besoin de sécurité juridique de nos concitoyens en France et dans les autres pays de l’Union. Ce projet pourrait se réduire à une déclaration d’intention symbolique s’il ne s’accompagnait d’une démarche visant à terme à faire du sceau qu’ils apposent sur leurs actes non pas un sceau national, mais un sceau européen. Folle utopie, disent certains qui ne peuvent concevoir les compétences des notaires et la reconnaissance de leurs actes qu’à l’intérieur des frontières de chaque Etat…

En l’espèce, l’utopie est porteuse d’avenir. D’abord parce qu’elle vise à surmonter des difficultés quasiment insolubles, pour des citoyens et des familles qui vivent désormais dans une Europe sans frontières, pour obtenir la reconnaissance des actes d’un pays à l’autre de l’Union. Ensuite, parce qu’elle se situe dans une perspective d’évolution radicale des prérogatives régaliennes des Etats. Les officiers publics sont nommés par le ministre de la Justice de l’Etat où ils exercent leur fonction. Il s’agit donc de donner à une autorité supra-nationale le soin de leur déléguer le sceau qui donnerait demain à leurs actes, sur tout le territoire de l’Union, la force et la reconnaissance qui sont aujourd’hui les leurs au sein de chaque Etat. Enfin et surtout, cette utopie est porteuse d’avenir, car loin de s’arrêter à des principes, elle prend d’abord en considération le besoin très concret de sécurité de nos concitoyens et vise à y apporter une réponse.

Ne l’oublions pas, pour que le Droit ne soit pas source d’insécurité, il convient que la règle soit pérenne, c’est à dire qu’elle ne change pas trop fréquemment au gré des humeurs de nos politiques. Il faut ensuite qu’elle soit claire et connue par ceux auxquels elle s’applique. Il faut enfin qu’elle s’exerce sur l’ensemble du territoire où vivent et se déplacent nos concitoyens. Ce territoire a aujourd’hui la dimension de l’Union européenne. C’est donc dans cette perspective désormais que doivent se concevoir le Droit et les instruments qui l’accompagnent. Même si c’est une utopie. Même si cela prendra du temps !

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