Devoir de mémoire, repentance, réparation ?

A l’occasion de la commémoration de l’abolition de l’esclavage et l’inauguration à Pointe à Pitre du Mémorial ACTe, des plaintes ont été déposées, notamment contre l’Etat Français, la Caisse des dépôts ou encore Ernest-Antoine Sellière, pour « crime contre l’humanité » et « recel de crime contre l’humanité ». Une démarche qui impose une réflexion sur ce que sont devoir de mémoire, repentance, et réparation.

Le devoir de mémoire c’est ne pas oublier les souffrances que nos ancêtres ont pu imposer à d’autres peuples. Ne pas oublier pour ne pas recommencer. Il repose sur un travail d’historien complet, rigoureux, sans concession, qui fasse la lumière sur les actes officiels ou non, les crimes commis, ceux qui en ont été les victimes, sur les intérêts des uns, les complicités des autres, l’idéologie sur laquelle ces faits se sont appuyés, la conception de l’Homme de l’époque… Un travail qui ne saurait être dicté par des considérations politiques ou émotionnelles. Si l’Histoire nous émeut, sa finalité reste de nous dire ce qui s’est réellement passé. C’est pourquoi le devoir de mémoire est incompatible avec une conception officielle de l’Histoire, une Histoire qui refuserait de prendre en considération les faits qui dérangent. Au risque de ne pas en faire comprendre tous les ressorts.

La repentance est la démarche qui consiste à vouloir porter aujourd’hui le poids de la culpabilité pour ce qui a été commis par les générations qui nous ont précédés. Si l’Etat a pu, dans le passé, commettre des fautes, il n’est pas vain que ceux qui le gouvernent aujourd’hui sachent rappeler la responsabilité qui a été la sienne des décennies plus tôt. Pour autant faut-il que l’on se repente ad-aeternam des fautes commises par nos ancêtres ? Faut-il que je me sente coupable d’un acte commis au XVIIème siècle par l’un de mes ancêtres ? Suis-je responsable des fautes de mon père ? Ne l’oublions pas, c’est en vertu d’un principe identique que certains ont considéré le peuple juif comme déicide, justifiant de ce seul fait les persécutions qui l’ont visé au cours des siècles.

La réparation qui s’appuie sur les deux notions précédentes procède quant à elle d’une autre logique. Réparer, c’est remettre en état. Elle consiste donc à faire payer aux descendants des fautes qu’ils n’ont pas commises, comme s’ils pouvaient revenir en arrière. Comme si l’on pouvait faire que ce qui a été ne soit pas ! S’agit-il d’appliquer les règles de l’article 1134 du Code civil qui instaure la responsabilité civile ? Ce principe qui veut que quiconque ayant causé un préjudice à autrui soit conduit à le réparer ? Si des familles clairement identifiées qui ont été spoliées dans l’histoire récente ont pu bénéficier de la restitution de biens qui leur avaient été confisqués, il ne s’agit pas là de réparation d’un préjudice, mais de restitution. Et se posent deux questions : d’abord jusqu’où revenir en arrière ? Ensuite et surtout : certains préjudices, en particulier la violence et la mort peuvent-ils seulement être évalués des générations plus tard, et de quelle manière ?

Gardons-nous d’entrer dans une comptabilité sordide et injuste dont nul ne viendra à bout faute de pouvoir établir avec rigueur la liste des débiteurs et des créanciers de l’Histoire. En outre, la réparation comporte ici un autre risque : celui de devenir l’enjeu de sordides batailles entre des descendants d’esclaves qui n’endurent pas les souffrances de leurs ancêtres et des descendants de négriers, ciblés pour des raisons symboliques, et qui n’en peuvent mais. Des batailles qui auront pour effet d’empêcher de comprendre ce qui fait qu’à un moment donné de l’Histoire, une certaine conception de l’Homme, le regard que l’on porte sur l’autre, l’état du Droit, ont entrainé violences et ignominies. D’une certaine manière, la réparation occulte alors le devoir de mémoire et par là s’oppose à lui.

C’est l’honneur d’une société démocratique que de regarder en face son passé, de reconnaître les fautes commises, les injustices dont elle a pu se rendre coupable ou qui ont été commises en son nom et d’en tirer les leçons. Mais, de grâce, pas de fausse repentance, pas d’inutile ni de vaine réparation !

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