L’histoire d’un bateau…

C’est l’histoire d’un bateau. Un bateau qui a parcouru la Méditerranée, emportant avec lui 600 migrants à la recherche d’une terre où ils pourraient enfin vivre en paix. C’est l’histoire de ces femmes et de ces hommes qui avaient connu le viol, les massacres et les pillages, les destructions et la misère. Ils avaient tout abandonné, leur village, leur pays pour fuir ceux qui y semaient la mort. Mais jamais ils n’oublièrent de transmettre à leurs enfants, aux enfants de leurs enfants, et jusqu’à aujourd’hui, le souvenir de ces temps de désolation.

C’est l’histoire d’un gouvernement qui leur avait concédé le droit de s’installer sur une terre déjà habitée par d’autres. Une terre pauvre, mais une terre de soleil et de paix. Alors, ce qui devait arriver arriva : la population locale vit en eux les alliés d’une autorité qui leur imposait sa loi. Et une menace pour leurs maigres richesses. Comment auraient-ils pu bien les accueillir ? Du rejet à la violence, le pas fut vite franchi. Surtout quand les habitants de cette terre voulurent s’affranchir de la tutelle d’un pouvoir lointain et peu attentif à leur sort. Et puis le temps passa. Les armes se sont tues. Avec les années, les décennies, le calme est revenu. Les filles des migrants ont épousé des fils de cette terre. Les vieilles querelles ne sont pas toutes oubliées, mais enfin, ils vivent en paix. Ils étaient grecs, ils étaient corses. Ensemble, ils ont combattu les pirates barbaresques au XIXème siècle. Ensemble, ils ont pris le maquis pour résister à l’occupation nazie. Aujourd’hui, à Cargèse, deux églises se font face et illustrent cette cohabitation qui avait débuté dans la douleur en 1676.

Non, ce n’était pas l’Ocean Viking. Et l’histoire de ce bateau qui s’appelait le Saint Sauveur ne saurait être transposée en 2022. Pourtant, elle nous en dit long sur les méfiances et les haines qui s’invitent chez nous dès lors qu’arrivent des étrangers qui ne parlent pas notre langue, ne partagent ni notre religion ni notre culture. Elle nous en dit long aussi sur les décisions que prennent parfois des autorités éloignées des populations qu’elles gouvernent. Elle nous en dit long enfin sur les difficultés de l’intégration et la nécessité de lui donner le temps de faire son oeuvre… A la condition que chacun accepte de dépasser ses peurs.  

Ne soyons pas naïfs. L’histoire de ce bateau  de 1676 où se trouvaient certains de mes ancêtres, ne se répète pas. C’est une toute autre histoire qui s’écrit aujourd’hui même si, en toile de fond, règnent la violence et la mort, la misère et la détresse. C’est une histoire qui nous confronte à un mouvement migratoire planétaire d’une ampleur sans précédent et que rien ne semble pouvoir arrêter. Le vieillissement et le déclin démographique de nombre de nos pays occidentaux fait face à la pression de la jeunesse des pays du sud, singulièrement en Afrique. Les murs, les barbelés, les étendues d’eau sont des barrières illusoires qui ne pourront jamais, quoi qu’on fasse, arrêter les plus déterminés de ceux qui espèrent, chez nous, ramasser les miettes de nos sociétés d’abondance. 

Alors, nous avons le choix : nous retrancher avec nos peurs derrière des murs de plus en plus hauts à l’efficacité douteuse, ou faire preuve de créativité pour aborder enfin cette question migratoire avec deux exigences : la régulation et l’intégration car sans elles, il ne saurait y avoir de coexistence harmonieuse. La dignité, la notre comme celle de ceux qui arrivent sur notre sol, est à ce prix.

 

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