L’indifférence, le cynisme et les eaux de la Manche…

Ils avaient affronté la chaleur et le froid, le désert et, pire encore, l’indifférence et la haine. Victimes de passeurs sans scrupules, la mer les a emportés. Hélas, le tragique décompte de ces damnés de la terre qui ont connu la fin du voyage dans les eaux grises et froides de la Manche, pourrait n’être que le prélude à d’autres drames tant il est vrai que depuis des années, chaque pays de l’Union affronte la crise migratoire à sa manière. Avec une consternante inefficacité.

Ce qui se passe dans la forêt qui sépare la Pologne de la Biélorussie, à la frontière de l’Espagne et du Maroc, en Grèce sur les plages de Lesbos ou en Italie sur l’ile de Lampedusa, tout comme chez nous, aux abords de Calais ou dans les vallées de l’arrière pays niçois en est une constante illustration.

Nos gouvernants sont écartelés entre des opinions hostiles à l’arrivée de migrants, des contraintes juridiques et, malgré tout, un devoir humanitaire minimal, tout cela sur fond d’instrumentalisation politicienne. Des femmes, des enfants, des hommes sont à chaque fois victimes du sinistre jeu qui consiste à les parquer dans des camps de rétention, à les renvoyer plus loin, à externaliser leur traitement administratif. Comment s’étonner que certains tentent de trouver une issue à l’impasse dans laquelle ils sont aculés et tentent le tout pour le tout pour atteindre leur but ?

Le cynisme et l’indignité prévalent lorsque la réponse à ce flux de réfugiés se réduit au déploiement de kilomètres de barbelés, lorsque les forces de l’ordre ont pour mission de détruire les tentes et abris de fortune qui les protègent tant bien que mal de la pluie et du froid, de brûler leurs maigres effets. Ou encore lorsque les organisations humanitaires voient détruire le matériel de survie qu’elles mettent à leur disposition ou quand elles se voient interdire de distribuer nourriture et boissons chaudes. Comme s’il fallait dépenser davantage d’argent et d’énergie à cela plutôt qu’à poursuivre les passeurs !

Mais combien de morts leur faudra-t-il pour que la honte empêche enfin nos gouvernants de dormir tant qu’ils n’auront pas trouvé de solution ? Combien de temps faudra-t-il encore pour que les pays qui constituent l’Europe prennent conscience de leur communauté de destin ? Face aux vagues migratoires qui se succèdent, le désolant chacun pour soi auquel nous assistons n’a pas seulement pour effet de retarder les solutions où le respect des personnes et la dignité seraient enfin pris en compte. Il renforce les positions des populistes qui instrumentent la haine. Il aboutit enfin à la négation des valeurs humanistes sur lesquelles s’est fondée l’Union Européenne.

Ne soyons ni naïfs ni moralisateurs : oui, nos gouvernants affrontent des opinions hostiles aux migrants. Alors, ne nous indignons pas à bon compte face au comportement du dictateur biélorusse Loukachenko ou de son homologue turc Erdogan ! Pour eux, les migrants ne sont que des otages dans leurs bras de fer avec l’Union Européenne. Quant aux britanniques, forts de leur situation insulaire, ils n’avaient pas attendu le Brexit pour faire bande à part et se débarrasser du problème… Mais sommes-nous donc aveugles au point de ne pas nous rendre compte que la politique menée en notre nom est teintée d’hypocrisie ? Entre refus d’accorder le droit d’entrée sur notre sol et incapacité de reconduire les recalés à la frontière, nous encourageons les campements sauvages, la misère qui y règne, le travail clandestin et le repli communautariste. Et l’indignité avec laquelle nous traitons les candidats à l’immigration met durablement à mal les valeurs que nous prétendons défendre.

Si nous ne définissons pas de politique migratoire commune, si nous ne trouvons pas de solution à ce qu’il faut bien appeler non une crise migratoire mais une crise du droit d’asile* ce sont, à coup sûr, les nationalismes les plus étroits que nous encourageons. C’est le retour aux démons d’hier qui ont ensanglanté notre continent voilà des décennies. C’est l’abandon programmé d’une vision commune. C’est pour cela que le sort de l’Europe se joue aussi aujourd’hui dans les eaux de la Manche comme à la frontière polonaise ou en Méditerranée.

* Le fait que les victimes du naufrage soient d’origine Kurde illustre pleinement l’impasse dans laquelle se trouvent ceux qui sont légitimement en quête d’une terre d’asile…

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