Et Gilbert Bécaud chantait…

Comme elle nous paraît loin, cette France que l’on regarde avec cinquante années de distance ! Les images sont le plus souvent en noir et blanc comme dans les photos de Doisneau, plus rarement en couleurs. Les tenues, les coiffures, tout nous semble désuet, jusqu’au ton des actualités de l’époque, un brin grandiloquent au point de paraitre quelque peu ringard comparé à celui de nos chaines d’info en continu. Non, pas de nostalgie : ne les regrettons pas, ces années-là ! Pourtant, on ne peut regarder les informations télévisées de ce 9 novembre 1970 sans penser que ce jour-là, avec le Général de Gaulle, c’est une part de la grandeur de notre pays qui s’en est allée.

Pour les uns, l’émotion est intacte. Et, même s’ils se sont opposés à lui, ils se souviennent avec exactitude de la tristesse qui les a envahie lorsqu’ils ont appris la disparition de l’homme du 18 juin. Ils se souviennent de ces images d’une foule envahissant à Paris la place de l’Etoile pour la rebaptiser, avant toute décision officielle, du nom de Charles de Gaulle. Ils se souviennent encore de ce matin brumeux du 12 novembre où, à Colombey les Deux Eglises, un cercueil drapé de tricolore, porté par un véhicule blindé a franchi le portail de la Boisserie pour des obsèques à la simplicité toute familiale tandis que les grands de ce monde et les officiels étaient rassemblés sous la voûte de Notre Dame de Paris… Et tant d’autres images leur restent en mémoire, comme autant de témoignages intacts de leur admiration et de leur reconnaissance.

Pour d’autres, les plus nombreux, ceux qui n’ont pas vécu ces jours de novembre d’il y a cinquante ans, c’est l’occasion de découvrir ou re-découvrir des pages de notre histoire. Et quelles pages ! Des combats de la 1ère guerre mondiale à l’homme du 18 juin et de la Libération de Paris ; des ultimes soubresauts de la IVème République perdant son honneur dans la guerre d’Algérie jusqu’à la proclamation de nouvelles institutions et à l’élection du Président de la République au suffrage universel ; de la décolonisation à la politique extérieure qui, dans les balbutiements de la construction européenne, assurait à notre pays une place singulière dans un monde marqué par la guerre froide et l’opposition entre l’Est et l’Ouest… Que d’événements où la tragédie côtoie les querelles de peu d’importance, où la grandeur ne s’embarrasse pas de nos faiblesses. Une époque où sa vision du monde nous appelait à voir plus haut, plus loin.

Des années d’une vie où quoi qu’on en dise, la rectitude morale, l’intérêt général et une haute idée de la nation française primaient sur toute autre considération. Peut-être est-ce de cela plus que de tout autre chose que nous sommes nostalgiques aujourd’hui ? A moins que nous ne cherchions aussi dans son exemple les ressorts d’un sursaut dont nous avons tant besoin. Lui qui, à maintes reprises, n’a craint ni les obstacles, ni les condamnations les plus sévères et les critiques les plus acerbes, ni la solitude enfin pour tracer un chemin qui n’était pas seulement le sien, mais surtout celui du sursaut. Une voie qui soit capable d’inverser le cours du destin quand celui-ci était funeste.

Le temps n’est pas aux regrets, mais ces années-là, – qui s’en souvient encore ? – Gilbert Bécaud chantait :

« … Cet homme légendaire

Au milieu des vivants,

Le jour où on l’enterre, je te parie cent francs…

Tu le regretteras, tu le regretteras

Tu le regretteras longtemps ».

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