Religion française, ou religion importée ?..

L’une déclare : « l’Islam est une religion française ». Aussitôt, l’autre réplique : « elle se trompe, l’Islam est une religion importée ». L’affrontement entre la première, Valérie Pécresse, et la seconde, Nadine Morano, n’aurait que peu d’intérêt s’il ne s’agissait que d’une querelle entre deux figures de la droite. En revanche, cette controverse n’est pas vaine au sujet de la place des religions dans la société française. Et elle mérite au moins une explication de texte.

Si l’on s’en tient aux mots, Nadine Morano a raison. Mais alors reconnaissons que les mots nous conduisent à constater que christianisme et judaïsme sont également des religions importées ! D’une autre manière, Valérie Pécresse a également raison car l’Islam est, qu’on le veuille ou non, une « religion française ». C’est le cas depuis le XIXème siècle et la conquête de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie et d’immenses territoires situés dans une Afrique en partie musulmane. Religion française aussi car elle était celle de la plupart des tirailleurs sénégalais ou des goumiers marocains qui ont participé aux deux grandes guerres, et versé leur sang pour la libération de la France en 1944.

Match nul, donc ! A ceci près que derrière ces mots, des idées méritent d’être clarifiées. Si l’on parle, à propos de l’une d’elles, de « religion importée », c’est bien que l’on considère sans doute que l’antériorité fait la légitimité. Comme si l’importation réussie du christianisme voici 1500 ans devait nous conduire à faire abstraction de ce qui s’est produit depuis. En effet, si le baptême de Clovis a incontestablement marqué l’entrée du royaume des Francs dans la chrétienté, n’oublions pas qu’au fil des siècles, le pouvoir royal n’a cessé, en France, de vouloir s’affranchir de la tutelle de Rome en application d’un principe de séparation des pouvoirs temporel et spirituel *. En outre, la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, a définitivement rompu le lien de subordination qui pouvait parfois subsister entre la loi de l’Etat et celle de l’Eglise. Au surplus, force est de constater aujourd’hui qu’à peine un Français sur deux se reconnaît comme chrétien, un nombre grandissant de personnes affirmant ne relever d’aucune religion. Pas de raison donc de laisser entendre qu’une religion serait légitime sur notre sol et l’autre pas. Quoique…

Derrière l’idée selon laquelle l’antériorité ferait la légitimité, apparaît une volonté politique : celle qui consiste à affirmer une identité française fantasmée, purifiée des apports qu’elle a connus au cours des siècles. Pour autant, rejeter l’expression « religion importée » pour ce seul motif serait une autre erreur. En effet, si l’incorporation de l’Islam dans notre empire date de la colonisation, et est donc antérieure à la loi de 1905, son arrivée sur notre sol est postérieure. Il s’agit donc bien d’une « importation » récente.

Or, quoi qu’on dise, on ne peut établir de strict parallèle entre les religions. Le christianisme a traversé des siècles de confrontation avec le pouvoir temporel avant de connaître la séparation de 1905. Le judaïsme, quant à lui, aura connu des fortunes et infortunes diverses, mais n’a jamais connu le risque d’être suspecté de vouloir dicter sa loi à la Nation. La situation de l’Islam est toute autre.

D’une part, nulle mémoire pour les musulmans (comme c’est le cas pour les catholiques) d’une confrontation qui aurait conduit à des aggiornamentos successifs jusqu’à parvenir au point d’équilibre défini en 1905 entre l’Etat et l’Eglise **. D’autre part et surtout, divers courants traversent l’Islam dont le plus visible est celui qui voudrait faire fi des lois de la République, que ce soit en matière de liberté de penser et de croire ou pas, d’égalité entre les femmes et les hommes, de distinction entre croyance et connaissance en matière d’enseignement. De ce point de vue, on peut donc considérer qu’à l’importation réussie du christianisme correspond une importation inachevée de l’Islam. Et c’est cet inachèvement qui suscite de vives tensions.

On aurait tort à la fois de rejeter une religion au motif qu’elle serait d’importation récente, et de nier les problèmes posés par cette importation. Ce serait une forme de déni de la réalité, parce qu’aujourd’hui une part minoritaire, mais non négligeable de la population de notre pays se réclame de cette religion.

Grande est la tentation du rejet qui simplifierait tout. Aussi grande est celle de l’accommodement avec ce que certains définissent comme les exigences de leur religion, sous couvert de respect de cultures différentes.

L’une et l’autre sont mortifères. La première parce qu’elle aboutit à une logique de ghetto qui, loin de servir la cause d’une intégration des populations qui se réclament de l’Islam, les pousserait à une forme de séparatisme. La seconde parce qu’elle conduit à laisser des règles différentes s’appliquer selon que l’on se trouve dans une zone ou une autre de notre territoire. En clair une forme d’abandon et donc de soumission. Paradoxe : c’est ainsi qu’une vision adoptée par une partie de la droite française rejoint l’attitude de l’extrême gauche qui, loin de chercher à les intégrer, encourage les musulmans au communautarisme, au risque de les laisser manipuler par les plus radicaux d’entre eux.

Pour la société française comme pour les musulmans eux-mêmes, réussir l’importation de l’Islam est donc plus que jamais une nécessité. Cela ne se fera pas sans lucidité ni courage. Pour que l’Islam soit vraiment, demain, une « religion française », respectueuse de la République et de ses valeurs, tout comme des autres religions…

* On lira à ce sujet avec intérêt le remarquable essai que Jean-François Colosimo vient de publier : « La religion française » (394 pages, éditions du Cerf)

** Faut-il rappeler que si cette séparation de l’Eglise et de l’Etat s’est faite dans la douleur pour les catholiques, ceux-ci l’ont aujourd’hui pleinement adoptée.

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