La citadelle de Bercy, ultime Bastille ?…

Les quelques 40 000 notaires, huissiers, avocats… qui ont manifesté le 10 décembre, sont descendus dans la rue pour plaider leur cause. Mais gardons-nous de n’y voir qu’un acte de défense corporatiste. Car, ce faisant, ils ont aussi mis le doigt sur la manière dont Bercy prétend imposer son autorité à tous les domaines d’activité, qu’ils relèvent ou non de sa compétence. Et, au-delà de leur cas, cette observation pose en réalité trois questions.

La première est celle de l’exercice du pouvoir dans notre pays. Force est de constater que dans un contexte où le pouvoir est exercé de manière inconstante – pour ne pas écrire inconsistante – par le gouvernement et le chef de l’Etat, tout se passe comme si l’autorité de l’Etat s’était réfugiée dans cette citadelle de Bercy. Au point que celle-ci s’empare de tous les sujets et prétend leur imposer sa loi, y compris en s’immisçant dans les compétences des autres départements ministériels. Pas surprenant d’ailleurs que le projet de loi « pour l’activité et l’égalité des chances économiques » ait fait l’objet d’une présentation solennelle à l’Elysée. Il fallait bien faire de ce texte « fourre-tout » un acte d’autorité du gouvernement tout entier… La nature a horreur du vide. Et Bercy s’engouffre dans l’espace qui lui est laissé par un pouvoir faible.

La seconde porte sur les compétences réelles de ceux qui dirigent et animent cette administration. Au fil des semaines, la multiplication des affirmations fantaisistes sur tel ou tel secteur économique, telle ou telle profession, démontrait la méconnaissance de la réalité par une administration qui prétend tout régenter. Méconnaissance des équilibres propres à chaque activité ; des contraintes législatives et réglementaires qui s’imposent aux professionnels ; des effets induits de leur activité ; du droit… A l’ignorance, s’ajoute l’arrogance de ceux qui ne reconnaissent jamais leurs erreurs ! Et lorsque le Conseil d’Etat souligne l’insuffisance et la faiblesse des études d’impact qui accompagnaient ce projet de loi, cela ne fait que révéler l’incapacité de cette administration à assurer pleinement l’une des missions qui, pourtant, lui incombent.

La troisième question peut se résumer d’une formule : toute activité se réduit-elle à une vision économique ? Si tel était le cas, c’est une seule logique, économique et comptable, qui s’appliquerait à tous les services de l’Etat. Ainsi, par exemple, la Justice, la Santé, l’Education… seraient analysées à l’aune de cette seule vision. Alors, fini le droit à une justice égale pour tous. Fini le droit aux soins. Fini le droit à l’éducation. Mais, bien sûr, le Ministère de l’Economie n’échapperait pas à une telle analyse appliquée à sa propre activité. Et l’on y découvrirait des résultats décapants… Pas sûr que la citadelle de Bercy se révèle la plus performante. Pas sûr que la citadelle de Bercy figure au top-ten de la compétitivité. Pas sûr qu’elle parvienne à démontrer son efficacité !..

Et alors, la citadelle de Bercy ne manquerait pas d’apparaître au grand jour ce qu’elle est devenue : une dernière Bastille à prendre et à abattre.

 

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2 réponses à La citadelle de Bercy, ultime Bastille ?…

  1. chanoz dit :

    Comme je partage totalement cette analyse quant à l’hégémonie de la citadelle de Bercy; Pour notre profession la situation est exactement la même, les préfets ayant été déchargés au profit de Bercy de la réglementation (la déréglementation?) des annonces légales. Nous n’avons donc plus d’interlocuteurs directs et l’administration prend des décisions sans vouloir comprendre les problématiques du terrain. Résultats la baisse incontrôlée des tarifs entraine des pertes d’emplois inéluctables comme cela risque de se produire dans le notariat.

    • Bruno Voisin dit :

      L’hégémonie de Bercy sur les autres départements ministériels est d’autant plus préoccupante qu’elle s’accompagne, en effet, d’une méconnaissance de la réalité du terrain. Et, loin de « libérer » croissance et emplois, elle contribue à la destruction de valeur sans rien proposer d’efficace. Nous pourrions prendre l’image de la maille de tricot que l’on tire jusqu’à obtenir une pelote en faisant peu à peu disparaître le pull !.. Que restera-t-il après que ces messieurs aient tiré les mailles pour imposer leurs dogmes ?

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