Changement de civilisation ?..

Christiane Taubira avait raison. En déclarant lors des débats parlementaires sur le projet de loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe qu’il s’agissait là d’un « changement de civilisation », la Ministre de la Justice de François Hollande avait le mérite de la franchise. Le fait qu’elle ait ensuite tenté de corriger son propos n’y change rien : il y avait bien là l’ouverture d’une évolution qui, malgré les dénégations d’alors, aboutissait inévitablement à la « PMA pour toutes » aujourd’hui et, demain, à la légalisation de la GPA. Illustrations d’un changement radical de conception de la naissance et de l’enfant, de la maternité, de la paternité et de la filiation. Bref, de notre rapport à notre humanité.

Ce ne sont d’ailleurs pas les opposants au projet qui l’affirment, mais bien ses promoteurs dont quelques déclarations révèlent le fond de la pensée. Ainsi, lorsque la Ministre de la Justice, Nicole Belloubet affirme que « l’accouchement ne fait pas la filiation », comment ne pas voir là une remise en cause majeure de notre droit de la filiation ? Celui-ci, rappelons-le, a été conçu pour protéger l’enfant (nourriture, soins, éducation…) tout en assurant la continuité des droits au sein d’une lignée : droit à un nom, transmission d’un patrimoine. La présomption de paternité, c’est à dire la reconnaissance implicite du père par les liens qu’il a avec la mère de l’enfant (mariage ou liaison régulière) suffit, dans notre droit, pour assurer cette protection de l’enfant. Dès lors que « l’accouchement ne fait pas la filiation », comment s’établit-elle ? Quelle déclaration nécessitera-t-elle ? Au-delà, ne soyons pas dupes : de tels propos résonnent comme l’annonce anticipée de la reconnaissance de la GPA. Quoi qu’en dise la Garde des Sceaux !..

Autres propos tenus par le député Jean-Louis Touraine, l’un des chefs de file des promoteurs de la « PMA pour toutes ». Outre le fait que celui-ci a déclaré qu’un enfant n’avait « pas droit à un père », ce qui laisse rêveur, il a affirmé que « la mère n’est plus la femme qui accouche, mais celle qui décide d’être mère ». Ainsi donc, pour une femme, ne compteraient pour rien ce qu’elle vit et ressent tout au long des neuf mois de sa grossesse jusqu’à l’accouchement ?

Quelle dose de cynisme faut-il avoir pour prononcer de tels propos ? Quel mépris pour les femmes et pour les mères, se cache derrière pareilles phrases ?… A l’écouter, seuls compteraient le désir et sa satisfaction. Comme un déni de la réalité !… On le voit bien, le projet qui est à l’œuvre repose sur une sorte d’exaltation devant un progrès technique utilisé pour assouvir des désirs individuels.

Bien sûr, nous pouvons toujours estimer que les débats ne sont pas clos. Nous pouvons aussi garder à l’esprit que seuls sont perdus les combats que l’on n’engage pas. Il reste qu’il nous faut aussi regarder plus loin, examiner avec lucidité le monde que nous préparent ces apprentis sorciers.

Le fait de savoir que J-L. Touraine soutient la cause de ceux qui entendent mettre au point l’utérus artificiel renforce cette observation. En ouvrant de telles perspectives, la reproduction sera enfin déconnectée de la sexualité ! Après s’être débarrassé des pères, on se débarrassera des mères…

Contrairement aux promesses qui nous sont faites, l’homme qui aura cru se rendre maître de la machine et de la technique en sera dépendant. Pire, dépendre de la technique c’est, en ce domaine, dépendre du marché et de ses lois. Un marché qui, par ce biais, aura enfin réussi à imposer la loi du profit au vivant. Celle d’un libéralisme sans régulation, celui qui générera les profits de centres privés de conservation des ovocytes, des cliniques spécialisées, des médecins qui ne soigneront plus mais deviendront des techniciens, auxiliaires et alibis de ces pratiques. Quant aux femmes, la prétendue maîtrise totale de la reproduction les laissera plus que jamais soumises à la pression d’employeurs qui leur demanderont avec insistance de repousser à plus tard une grossesse ou – mieux encore – de faire porter leur enfant par une autre en attendant de pouvoir faire appel à un utérus artificiel ! Soumises, aussi à l’obligation de l’enfant parfait, celui dont les gènes seront enfin débarrassés de toute incertitude, au QI pré-programmé, comme le seront son sexe, la couleur de sa peau, de ses yeux ou de ses cheveux…

Alors, malheur aux enfants qui ne seront pas conformes ! Ces enfants qui, au fil des ans, se révéleraient (du fait de leurs personnalités ou de leurs capacités intellectuelles) inadaptés aux désirs de leurs « parents d’intention ». Car, après tout, ce qu’une intention a fait, une autre intention – contraire celle-là – pourrait le défaire… Qu’adviendra-t-il d’eux ? Refusés parce que non conformes à la commande des « parents d’intention » comme dans certains cas de GPA ? Mis sur le marché comme aux USA ces enfants dont les parents d’adoption ne veulent plus et qui se retrouvent dans des foires aux enfants où ils s’efforcent de se montrer sous leur meilleur jour pour séduire de nouveaux et potentiels parents adoptifs ? Pour justifier le tout, on nous répondra que cela n’est qu’affaire de contrat !…

Bien sûr, face à de telles perspectives, on nous assène déjà des heures d’antenne et des témoignages émouvants pour nous rappeler que les enfants nés de PMA au sein de couples de femmes ou de GPA et adoptés par des couples d’hommes vivent heureux au sein de foyers aimants. Ce qui n’est pas faux. Mais l’émotion est ici instrumentalisée pour nous interdire toute réflexion basée sur la raison. Faut-il se soumettre à de tels débordements de bons sentiments ? Faut-il occulter la face moins reluisante de ces pratiques (exploitation de femmes, contrats juteux, associations à but lucratif, business-plans de cliniques spécialisées, trafics d’enfants…) pour mieux nous faire avaler la pilule du changement ?

Bien sûr aussi, on nous assène l’argument de l’égalité, du refus de la discrimination comme s’il fallait confondre pathologie et états de vie, ce qui est une forme d’insulte à l’égard des couples hétérosexuels qui souffrent d’infertilité.

Au surplus, à l’heure où notre société connaît de multiples fractures, au point de devenir un archipel morcelé qui menace notre avenir, l’affirmation par la loi de la primauté de désirs individuels n’est que la reconnaissance du fait que ce qui nous sépare est plus important que ce qui nous unit. Et l’on voudrait en même temps prétendre réaffirmer la notion de bien commun ! Comprenne qui pourra. Mais surtout, l’exercice sera vain. Alors, oui, c’est bien au naufrage de notre civilisation que nous assisterons. Parce que celle-ci a élaboré notre droit sur des bases radicalement différentes. Parce qu’elle a su jusque-là assurer la primauté du bien commun face aux désirs individuels. A rebours de ce qui se trame aujourd’hui.

Quant à ceux qui ne s’y résigneront pas, ils n’auront d’autre choix que d’entrer en dissidence, de se constituer en contre-culture pour garder intacte la flamme d’une commune humanité…

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