Le dernier parti conservateur ?..

Il paraît que le libéralisme, c’est le diable ! Alors, dès qu’un projet de réforme s’annonce, il est par avance dénoncé parce qu’inspiré, dit-on, par cette idéologie. Ce qui se prépare pour la SNCF n’échappe pas à la règle. Nous serions donc sommés de choisir entre un pacte avec le diable et le refus du changement…

Regardons la réalité en face. La SNCF c’est, rien que pour le réseau ferré, une dette de 46 milliards d’euros, qui s’accroît de trois milliards chaque année. C’est aussi une entreprise publique qui souffre cruellement de sous-investissement. A l’heure où les personnels des hôpitaux, des EHPAD, des prisons, des tribunaux crient misère ; à l’heure où le travail des soignants tourne parfois à la maltraitance de nos aînés faute de temps, où les magistrats ne parviennent plus à statuer et à prononcer des peines contre des délinquants qui profitent de l’impunité, où les gardiens de prison vivent quotidiennement dans une insécurité qu’aggrave l’insalubrité et l’indignité des conditions de vie des détenus, peut-on sérieusement faire comme si cette dette abyssale et ce sous-investissement n’existaient pas ?

Alors osons les questions qui fâchent ! Peut-on, dans ce contexte, continuer à affirmer que l’on ne peut toucher au statut des cheminots ? Peut-on perpétuer un système – payé par l’Etat – qui permet aux cheminots de partir à la retraite en moyenne 7 ans plus tôt que la moyenne nationale des salariés de notre pays ? Peut-on continuer de refuser de s’interroger sur la pertinence d’augmentations de salaires annuelles automatiques et sans que soient pris en compte ni les résultats de l’entreprise, ni la productivité, ni la qualité du travail des salariés ? Peut-on persister à dépenser chaque année 100 millions d’euros pour les billets gratuits* dont ils bénéficient ainsi que les membres de leur famille sans jamais mettre en balance ce montant avec celui des quelques dizaines de millions d’euros lâchés par le gouvernement ces dernières semaines pour les EHPAD ?

Sans doute répliquera-t-on que tenir ce discours, c’est stigmatiser une profession ! Sans doute le mot de « privilèges » employé parfois est-il de nature à susciter des tensions inutiles dans le débat qui s’ouvre. Mais à l’inverse, bien mal avisés sont ceux qui lient de manière indissociable l’intégralité de son statut et la mission de service public ferroviaire assumée par la SNCF. Car, enfin, rappelons une évidence trop souvent oubliée dans notre pays : le statut octroyé à une profession ne se réduit pas à l’accumulation de droits, parfois obtenus de haute lutte par les syndicats, parfois accordés par une direction ou un pouvoir soucieux d’obtenir la paix sociale. Un statut, c’est l’ensemble des conditions qui permettent l’exercice d’une mission de service public dans l’intérêt de la société.

Dès lors que l’on s’attache à cette définition du statut, force est de constater que certains droits se justifient pleinement tandis que d’autres deviennent aujourd’hui contestables eu égard aux conditions techniques et physiques d’exercice d’une profession qui ont considérablement changé au fil du temps. Ainsi, en vertu de l’exigence de continuité du service public, on considérera comme légitimes les journées de congés ou de RTT octroyées en contrepartie du travail effectué les week-ends et les jours fériés. En revanche, apparaît plus contestable l’âge de départ à la retraite que justifiaient les rudes conditions de travail des conducteurs de locomotives à vapeur. Comme est aujourd’hui plus discutable l’octroi de billets gratuits pour les familles alors que les moyens de transport et les conditions de mobilité ont profondément changé dans notre société…

D’un strict point de vue comptable, le problème posé aux contribuables que nous sommes est de savoir si nous allons sur le long terme continuer à combler les pertes de la SNCF. Et il nous pose d’autres questions : peut-on s’interroger collectivement sur le bon emploi des deniers publics ? A-t-on le droit de mieux traiter nos aînés et pour cela, y consacrer des moyens, fût-ce en mettant un terme à certaines dépenses, notamment pour la SNCF ? Ou alors considère-t-on l’Etat comme un compte bancaire inépuisable dans lequel on puiserait en oubliant que nous faisons indéfiniment peser cette dette sur les épaules de nos enfants et de nos petits-enfants ?

Soyons sérieux, le problème à résoudre est celui de la faillite de notre système ferroviaire. Une faillite qu’illustrent les retards, les conditions dans lesquelles sont aujourd’hui transportés quotidiennement des millions de voyageurs, l’état d’abandon dans lequel se trouvent certaines lignes, etc. Il est donc grand temps de redéfinir ce service public et les principes économiques et écologiques qui le fondent. Il est temps de revoir la carte des dessertes avec les représentants des régions. Il est essentiel de préciser la conception que l’on se fait du service en zones rurales, et pas seulement en zones urbaines ou suburbaines, et du coût que la collectivité est prête à supporter pour cela. Il est enfin urgent que l’on se penche sur le ferroutage comme alternative au transport routier…

Sauver le service public, c’est d’abord se poser ces questions, et celle des moyens qu’il faut y consacrer, pour investir de manière opportune. L’adaptation des structures juridiques, le statut des personnels ne sont que les conséquences des réponses qui seront apportées à ces questions.

Pour cette simple raison, poser comme principe que le statut des personnels est intangible, ce serait refuser le changement et condamner à mort l’entreprise et le service public. Tout à leur rivalité pour conserver leurs bastions syndicaux, la CGT et Sud-Rail sont tentés de faire monter les enchères sur ce terrain. Ils le feraient au risque d’enfermer la réflexion dans de faux débats pour que rien ne bouge. Au risque d’apparaître alors comme le dernier « parti » conservateur de notre pays…

* Selon la Cour des Comptes

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