Fonction Publique : sortir de la dictature des chiffres

Où s’arrêtera cette liste de nos services publics en difficulté ? Les tribunaux et les prisons, les hôpitaux et les EHPAD… Et, chaque fois, de bonnes âmes interpellent le gouvernement pour qu’il sorte son carnet de chèques. On en vient ainsi à parer au plus pressé, à calmer la colère des mécontents, à éteindre provisoirement un incendie. Jusqu’à ce que cela reparte de plus belle, là ou ailleurs…

Dans ce contexte, il n’y a pas que de mauvaises nouvelles : le projet de réforme de la Fonction Publique est de nature à susciter une lueur d’espoir pour ceux qui broient du noir. Bien sûr, dès que l’on y touche, certains esprits s’enflamment. Cela va de « arrêtez de taper sur les fonctionnaires ! » à « pas touche à mon statut ! » en passant par «  pas assez d’agents pour le travail à faire ! ». Si l’on se contente de ces discours qui mêlent plaintes récurrentes quant à la stigmatisation des fonctionnaires et revendications catégorielles, si l’on y greffe une logique comptable, l’échec et la paralysie sont assurés. En revanche, si l’on examine la question en changeant de point de vue, peut-être peut-on se donner les moyens de réussir. Or, il est urgent de trouver un remède à ce qui suscite de profonds malaises chez les agents de l’Etat comme chez les usagers de ces services publics.

Force est de le constater, le statut de la Fonction Publique instauré en 1945 à l’initiative de Maurice Thorez, Secrétaire général du Parti Communiste, alors membre du gouvernement, a permis la constitution d’une administration qui a contribué à la reconstruction du pays et a été un instrument puissant au service de l’Etat et de tous les Français. Mais l’égalitarisme qui a prévalu, les modes de rémunération et d’avancement, une organisation pyramidale, etc. ont peu à peu figé la machine étatique qui y a perdu toute capacité d’adaptation. Au point d’oublier le sens de ses missions au profit d’un mode de fonctionnement inadapté à une société qui, elle, avait profondément évolué.

La querelle annuelle sur l’évolution du point d’indice comme les récriminations contre le manque de moyens dans la police, la Justice, les hôpitaux, etc. sur fond de déficit chronique des finances publiques sont les symptômes d’une dérive comptable dans laquelle nous étions entrés sans que les gouvernements successifs aient eu la volonté de s’attaquer aux causes d’un malaise plus profond que la simple rémunération des fonctionnaires.

C’est au nom de cette logique comptable que la « Révision Générale des Politiques Publiques » (RGPP) initiée par Nicolas Sarkozy avec le ministre du Budget de l’époque, Eric Woerth, avait imposé une baisse des effectifs de la Fonction Publique de manière quasi-identique dans toutes les administrations. Erreur d’appréciation ! Il eût mieux valu réduire de manière significative certains départements ministériels pour mieux doter ceux qui manquaient cruellement de moyens. Comme il eût mieux valu procéder à un changement radical de la répartition des fonctionnaires dans les services et sur le territoire, notamment pour mettre un terme à l’hypertrophie de certaines administrations centrales…

Mais pour cela, encore eût-il fallu repenser l’Etat, ce qui aurait signifié réaffirmer ses fonctions régaliennes pour les doter des moyens nécessaires et, dans le même temps, ne pas hésiter à renoncer à certaines autres activités. Cela aurait conduit à redéployer des personnels en se dotant d’une gestion des ressources humaines digne de ce nom, facilitant notamment la formation et les reconversions pour donner des moyens supplémentaires aux services qui en manquent cruellement. Au passage, les règles relatives à la contractualisation, à la rémunération, à l’avancement auraient été revues, de même que les modes d’organisation du travail, ce que permettent les technologies. A l’évidence, cela aurait imposé de traiter de manière différenciée les agents de l’Etat en fonction de leur affectation et de leurs missions, ce qui constitue une révolution culturelle…

Cette démarche est engagée. Il était temps ! Bien sûr, cela ne se fera pas en claquant des doigts. D’abord parce que la concertation avec les fonctionnaires et leurs représentants prendra quelques mois. Ensuite parce que les formations, les reconversions et le redéploiement des effectifs en fonction des besoins sera plus long encore. Mais redonner des perspectives aux agents de l’Etat, redonner du sens à leurs missions, répondre aux besoins de la société, faire appel à leur intelligence et à leur capacité d’engagement, sont des atouts indispensables pour la réussite de cette réforme

Nous avons trop longtemps estimé, comme on le croit parfois à Bercy, que savoir compter, faire des additions et des soustractions suffisait pour gouverner. Malheureusement, à suivre cette logique des chiffres depuis des années, à vouloir toujours faire plus avec moins, nous sommes parvenus au point où certains services de l’Etat ne parviennent plus à fonctionner. Au point où leurs dysfonctionnements se paient au prix fort en terme de sécurité, de santé, de dignité des personnes…

Par peur du conflit, par confort ou par conservatisme, nos gouvernants ont préféré compter plutôt que penser. Alors, pour paraphraser le regretté Francis Blanche, en sortant le chéquier, ils ont « changé le pansement » alors qu’il fallait « penser le changement ». Aujourd’hui, repenser l’Etat nous permettra peut-être enfin d’oublier la dictature des chiffres…

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