Coup de crosses…

Ils n’y sont pas allés par quatre chemins, les évêques ! Et chacun en prend pour son grade : les gouvernants pour leur « absence de projet ou de vision à long terme », ceux parmi les politiques qui instrumentalisent les événements pour « durcir les relations entre les Français musulmans et le reste de la population », les catholiques qui, parfois tentés de voter pour le FN, devraient « lire plus souvent l’Evangile que les textes politiques », jusqu’aux militants de la « Manif pour tous » qui réclament une fois encore l’abrogation de la loi Taubira sur le mariage de personnes de même sexe et dont Mgr Pontier, Président de la Conférence des évêques de France, dit qu’il « faudrait qu’ils ne militent pas que pour cela », d’autres causes méritant que l’on se mobilise pour elles…

On ne fera pas ici l’analyse détaillée des 94 pages du livre* qu’ils viennent de publier et qui nous invite à « retrouver le sens du politique ». Mais il comporte notamment des développements sur les différences culturelles et l’intégration, sur le rapport de la nation aux religions qui méritent que l’on s’y arrête.

Certains voudraient-ils que la hiérarchie catholique prenne fait et cause pour défendre « l’identité chrétienne de la France », tandis que d’autres la suspecteraient de vouloir garder sa position de religion dominante ? La réponse des évêques les prend à contre-pied – et nous avec ! Ils le disent sans ambages : « le danger serait d’oublier ce qui nous a construits, ou à l’inverse de rêver du retour à un âge d’or imaginaire ou d’aspirer à une Eglise de purs et à une contre-culture située en dehors du monde, en position de surplomb et de juge ». C’est clair : ils prennent acte de la sécularisation de notre société et de la baisse de la pratique religieuse. Et ils ne craignent pas de mettre les mains dans le cambouis en posant les questions qui dérangent, y compris certains catholiques : « comment gérer la diversité dans notre société ? » ; « comment l’identité nationale peut-elle perdurer avec des revendications d’appartenances plurielles et des identités particulières ? ».

Au passage, on notera avec intérêt leur invitation à « une juste compréhension de la laïcité ». Sur ce point, ils prennent parti pour une laïcité ouverte contre les tenants d’une « laïcité étroite qui voient dans toute religion un ennemi potentiel de la République et de la liberté humaine ». Fondant leur analyse sur la conception de la laïcité telle que voulue par ceux qui, voilà plus de cent ans, l’ont imposée après un rude combat contre l’Eglise elle-même, ils estiment qu’elle « ne doit pas dépasser son objectif », c’est à dire « faire de la laïcité un projet de société, qui envisagerait une sorte de neutralisation religieuse de cette société ». Pour eux, expulser le religieux de la sphère publique vers le seul domaine privé est néfaste car cela ne respecte pas les personnes et engendre des frustrations qui confortent le communautarisme. On ne peut mieux dire qu’une conception étroite de la laïcité aboutit à l’effet inverse de celui qu’elle recherche !

Les évêques ne se contentent pas de distribuer quelques coups de crosses à droite et à gauche et de pousser coups de gueule et cris d’alarme. Ils nous invitent – politiques et citoyens – « à un travail de refondation », à retrouver le sens du politique qui est une manière de concevoir le bien commun en évitant les pièges de la politique faite de parole non tenue, de calculs et de manœuvres. Pour eux, « redéfinir ce qu’est d’être citoyen français » nécessite un large débat où toutes les composantes de la société doivent apporter leur contribution, et implique « que nous reprenions le temps de la parole et de l’écoute pour éviter que le dernier mot reste à la violence ». Débattre, écouter, c’est aussi accepter d’être dérangé par ceux qui ne partagent pas nos idées. Alors, conservateurs, les évêques ? Allons donc !..

P.S. En publiant la semaine dernière un billet intitulé « Ces chrétiens qui nous emm… », j’ignorais que les évêques me donneraient si vite l’occasion de me pencher sur leur prose. Mais les convergences de l’actualité s’imposent et font de ce billet comme une suite naturelle au précédent.

* « Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique » 94 pages éditeurs : Bayard-Cerf-Mame ou sur le site de l’Eglise catholique de France : www.eglise.catholique.fr

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